Services à la personne –
L’ère des
gérontechnologies
Le nouvel
economiste
24 November 2011
France
Face à une population
vieillissante, les “gérontechnologies”
peuvent jouer un rôle important dans le
maintien à domicile des personnes
âgées en toute
sécurité et dans le confort. Mais
si les solutions de domotique aujourd’hui sur le
marché ont fait leurs preuves, les
systèmes de téléassistance
s’avèrent moins efficaces et
soulèvent des problématiques
éthiques. L’arrivée des tablettes
tactiles a quant à elle facilité
l’accès des seniors à Internet et
à ses services de communication. Ainsi,
des outils efficaces dans le maintien du lien
social pour les personnes âgées
ont-ils été
développés, en attendant que la
robotique n’ouvre de nouvelles pistes
d’expérimentation dans l’interaction
entre l’homme et la machine.
“Gérontechnologies”,
“géronto-technologies”, “technologies
pour l’autonomie” : des étiquettes
différentes censées regrouper un
ensemble vaste et
hétérogène de technologies
de l’information et de la communication (Tic)
dont la vocation principale est
d’améliorer le confort et la
qualité de vie des personnes
âgée. Et prolonger ainsi le plus
possible leur maintien à domicile. Un
véritable enjeu de société,
puisque selon un rapport du Centre d’Analyse
Stratégique paru en juillet 2010, un
Français sur trois aura plus de 60 ans en
2050. Parmi eux, nombreux seront ceux en
situation de dépendance : 50 % de plus
par rapport à aujourd’hui, selon l’Insee.
Face à un Etat contraint par la
conjoncture économique à couper
dans ses budgets et à réduire les
transferts en faveur des collectivités
locales, la prise en charge de cette population
est d’ores et déjà au cœur des
réflexions. C’est dans ce contexte que
nombre d’entreprises françaises ont
misé sur la recherche et
développement de solutions technologiques
dans des domaines allant de la prévention
des accidents à la communication.
L’Association solutions innovantes
pour l’autonomie et gérontechnologies
(Asipag), fédère vingt des plus
importants concepteurs et fabricants de
technologies pour l’autonomie. Elle a
récemment publié des chiffres qui
font état d’un marché naissant
mais promis à une forte croissance. En
2010, le chiffre d’affaires des
“gérontechnologies” en France
dépassait les 55 millions d’euros avec
une croissance par rapport à 2009 de
l’ordre de 60 %.
Ce sont pourtant les exportations
qui croissent le plus, à cause du retard
pris par le débat sur la
dépendance en France. Initialement
prévu pour 2011, il a été
reporté après les élections
présidentielles de 2012, le plan de
rigueur annoncé début novembre par
le gouvernement ayant légèrement
modifié le calendrier. De quoi geler les
grands donneurs d’ordres, les assurances
notamment, qui pourraient booster le
déploiement en masse de ces produits.
Mais en cause, il y aurait
également une certaine timidité
des acteurs du secteur, du moins selon l’avis de
Jérôme Pigniez, observateur
attentif de ce marché depuis son portail
Web Géronthecnologie.net. On trouve en
effet principalement ces dispositifs,
conçus pourtant pour le maintien à
domicile, en maison de retraite, dans le cadre
d’expérimentations.
“Chaque fois, face aux limites
constatées lors de ces tests, les
sociétés françaises
préfèrent retarder la mise sur le
marché de leur produit, explique-t-il.
Or, si cette quête du Graal n’aboutira
jamais au produit parfait, elle suscite des
réticences dans les distributeurs qui
n’osent pas parier sur les innovations.” La
commercialisation est alors retardée, ce
qui freine le développement de la demande
et du marché.
Domotique de
l’autonomie
Aujourd’hui, la domotique
représente l’une des branches les plus
abouties de la gérontechnologie. D’une
part parce que, paradoxalement, le domicile est
l’un des lieux les moins sûrs : selon les
statistiques Eurostat, 10 000
décès causés par des
accidents ont lieu chaque année entre les
murs du domicile. Les chutes domestiques tuent
désormais autant que la route : 4 000
morts par an. De l’autre, la domotique a
l’avantage, par rapport à d’autres
solutions, d’être moins stigmatisant
vis-à-vis des personnes
âgées.
Il n’est pas nécessaire en
effet d’avoir dépassé la
soixantaine pour bénéficier de
systèmes automatiques de pilotage
à distance des équipements
électroménagers, des volets des
fenêtres, des portes ou de
l’éclairage. Néanmoins, il existe
des solutions de domotique spécifiquement
conçue pour les personnes
âgées : des solutions simples,
voire anecdotiques, comme les adaptateurs de
robinet ou les distributeurs de savon à
infrarouge pour les personnes ayant des
problèmes de motricité fine,
jusqu’à des solutions de
prévention des chutes.
La société Legrand,
l’un des leaders du secteur, commercialise par
exemple une solution baptisée “chemin
lumineux”. Il s’agit d’un système qui
permet l’allumage automatique et
simultané de sources de lumières
le long du parcours qui mène de la
chambre aux toilettes. “C’est sur ce trajet, la
nuit, que se produisent 80 % des chutes
domestiques”, explique Giovanni Ungaro, chef de
projet “assistance à l’autonomie”.
Expérimenté en Corrèze sur
100 logements, le dispositif s’est
avéré performant : selon les
estimations du CHU de Limoges, il aurait
réduit de 30 % les chutes et de 20 % les
hospitalisations.
“Depuis, le conseil
général de la Creuse a
installé le pack domotique de Legrand
dans quelque 3 000 foyers”, explique Michael
Carré, directeur général
associé de Médialis, une
société mixte
privée-publique qui évalue, en
partenariat avec le pôle “allongement de
la vie” de l’hôpital gériatrique
Charles Foix d’Ivry-sur-Seine, le “service
rendu” des gérontechnologies.
Télé-assister
sans stigmatiser
Un chemin lumineux ne concentre pas
pour autant une haute valeur technologique. Pour
observer des applications plus poussées
des Tic, mieux vaut se tourner vers la branche
de la téléassistance. On y trouve
une gamme de produits assez variés,
principalement conçus pour lancer des
alertes en cas de chutes. Les plus simples
consistent en des médaillons où
les téléphones dotés d’une
touche pour déclencher une alerte.
Problème : en cas de chute
accompagnée de perte de conscience, ces
dispositifs s’avèrent inefficaces.
Certaines entreprises travaillent
alors à des solutions capables de
détecter automatiquement les chutes
graves. L’entreprise Vivago propose par exemple
une montre capable d’analyser les phases
d’inactivité et ainsi détecter des
pertes de connaissance.
LinkCare Service a mis au point
Edao, un service de vigilance basé sur un
capteur vidéo capable d’analyser les
déplacements de la personne, et ainsi
lancer une alerte en cas de chute ou d’errance.
Ces dispositifs peuvent d’ailleurs
détecter toute sorte de danger
extérieur comme par exemple les fuites de
gaz, les incendies, les inondations, ou les pics
de chaleur. Ou alors contrôler les
comportements des seniors : des systèmes
intégrés aux toilettes qui
pèsent la personne et envoient des
alertes en cas d’écarts de poids trop
importants, voire des capteurs qui
vérifient que le frigo a
été ouvert au moins une fois par
jour !
Des avancées technologies
“border line” sur un plan éthique pour
Florence Leduc, présidente de
l’Association française des aidants (AFA)
: “détecter n’est pas un fin en soi,
rappelle-t-elle. Le recours à ces outils
ne devrait pas être systématique
autrement les personnes refuseront, et c’est
tant mieux ! Si en revanche on apporte des
réponses permettant d’accéder
à des informations pertinentes et
adaptées aux besoins, alors on aura tout
gagné”.
Technologies du
lien social
Ces dernières années,
la percée de l’Internet haut débit
auprès des seniors a ouvert de nouvelles
pistes à la R&D dans les
gérontechnologies. En effet, des
enquêtes du Credoc montrent qu’entre 2003
et 2009, la part des ménages de plus de
60 ans ayant accès à Internet est
passée de 13 % à 76 %. Qui plus
est, une personne âgée de plus de
70 ans sur cinq arrive aujourd’hui à
franchir la fracture numérique alors
qu’il y a encore quelques années, cette
tranche d’âge était totalement
à l’écart d’Internet.
Résultats : les entreprises
développent des boîtiers
communiquant capables de mettre en relation la
personne âgée avec son entourage,
à la fois les proches, les équipes
soignantes ou les prestataires de services.
L’objectif est toujours de rompre la solitude,
grande cause nationale en 2011, entretenir le
lien social et jeter les bases pour des
approches de télémédecine.
Ce qui différencie ces dispositifs est
plutôt la solution technologique retenue
pour l’interface avec la personne
âgée.
Ainsi, le “Li1” (lire “lien”)
d’Ubiquiet utilise des cartes à pouce
RFID, une solution déjà
appliquée avec succès depuis 2006
par la société i-pocarte pour
l’animation en maison de retraite. “Chaque carte
est programmable pour exécuter des
actions simples comme appeler un proche et
lancer la radio, ou alors plus complexes et
personnalisables, explique Dominique
Guénaux. Nous aurions pu doter notre
appareil d’un écran tactile, mais nous
craignons d’une part l’effet gadget, de l’autre
de mettre mal à l’aise les personnes
âgées qui pourraient se sentir
intimidées, voire espionnées.”
Un choix à contre-courant.
L’entreprise japonaise Toshiba, partenaire
technologique du projet Déméter
initié par l’Abrapa (Association d’aide
et de services à la personne), a par
exemple fait le choix du papier spécial
sur lequel écrire à l’aide d’un
crayon numérique pour permettre aux
usagers d’échanger des messages au format
PDF. Mais elle a également doté
son dispositif d’une tablette
équipée pour la
visioconférence.
L’e-lio de Technosense utilise la
télévision comme interface, y
compris pour la visioconférence, à
l’aide d’un boîtier et d’une
télécommande. Legrand, avec la
solution Visiobox, a développé une
tablette tactile adaptée à l’usage
par les personnes âgées. Elle peut
équiper son boîtier communiquant
Intervox pour en augmenter les
possibilités de communication. Autant
d’exemples qui prouvent bien la maturité
du secteur.
La
rupture ergonomique
“Les tablettes communicantes sont
des produits qui suscitent beaucoup
d’intérêt en ce moment”, confirme
Jérôme Pigniez. “Des fournisseurs
d’accès comme SFR
réfléchissent déjà
à une offre de services consacrés
aux seniors, accessibles à travers une
tablette tactile branchée à leur
box”, confie Michael Carré. Après
des années de défiance, les
aidants aussi se montrent ouverts à ces
technologies : “Quand les personnes
âgées sont face à des Tic
qui sont conçues pour elles et qui
fonctionnent à l’aide de photos,
écrans tactiles et pictogrammes clairs,
elles se les approprient, affirme Florence
Leduc. L’avantage est que, dans un même
outil, on trouve de quoi entretenir les liens
familiaux et sociaux, mais aussi accéder
de manière sécurisée aux
médecins et autres services.”
Et pourtant, certains obstacles
restent à franchir, notamment dans les
pratiques d’usage de ces technologies. “Les
tests ont montré que les familles se
servent peu de la visioconférence”,
souligne par exemple Jérôme
Pigniez. Histoire de rappeler que, même
avec la meilleure technologie du monde, il faut
être au moins deux pour que le lien social
se crée…
Malgré certaines
réticences, beaucoup d’espoirs reposent
aujourd’hui sur l’utilisation des tablettes
auprès des personnes âgées.
Nombreux sont ceux qui pensent que ces terminaux
mobiles de nouvelle génération
représentant une véritable
“rupture ergonomique” capable d’ouvrir aux
seniors l’accès à l’usage
d’Internet. Charles Tijus est directeur du
Laboratoire des usages en technologies
d’information numériques (Lutin Userlab)
à la Cité des Sciences et de
l’Industrie : “le développement des Tic
pourrait non seulement aider le quotidien des
personnes âgées et favoriser le
maintien à domicile, mais surtout
retarder leur déclin cognitif”.
Dans le cadre du programme de
recherche “Seniors et tablettes interactives”,
il a observé 24 personnes
âgées confrontées à
l’usage d’une tablette iPad d’Apple. “La
tablette permet de faire tout ce qu’on fait avec
l’ordinateur, mais avec une incroyable
facilité, car on ‘voit’ ce qu’il faut
faire et on le fait directement avec son doigt,
explique-t-il en rappelant la difficulté
pour une personne âgée de manipuler
un périphérique comme une souris.
De plus, il offre une grande mobilité et
une aussi grande maniabilité.”
Il n’empêche que pour que les
tablettes puissent répondre aux besoins
des personnes âgées, elles doivent
mieux prendre en compte les modifications
physiques et cognitives liées au
vieillissement. “Il s’agit de concevoir des
‘interfaces pardonnantes’, qui permettent aux
usagers de revenir rapidement sur une mauvaise
manipulation. Il faudra également
éviter les icônes trop petites et
un déclenchement des applications trop
rapide. Idéalement, ces interfaces
devraient pouvoir s’adapter automatiquement
à l’usager.” Des recommandations
formulées dans un livre blanc à
destination des développeurs et
réalisé avec le chercheur Claudio
Vandi.
“Homo Textilus”, le prochain
programme de recherche du professeur Tijus,
s’intéressera aux vêtements
intelligents, capables de surveiller des
paramètres physiologiques tels le rythme
cardiaque, la température ou le stress,
de dialoguer avec les équipements de la
maison pour qu’ils s’adaptent, mais aussi de
détecter des chutes, voire en amoindrir
l’effet. Science-fiction ? Pas vraiment, si l’on
considère le consensus autour de
l’idée que l’avenir des
gérontechnologies passe par la robotique.
“Ces machines pourraient accomplir
toutes ces tâches lourdes,
rébarbatives et parfois
désagréables qui absorbent
aujourd’hui beaucoup de temps aux aidants,
résume Jérôme Pigniez.
Ceux-ci pourraient alors dégager du temps
à consacrer à ce qui reste la
spécificité des êtres
humains et qu’aucune machine ne pourra pas
remplacer, à savoir le lien social.” Mais
ce ne sera pas pour demain.
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