Accompagner son parent en maison de retraite
La Croix
Tu
verras, tu seras bien : c’est le
titre plein d’espérance du livre
témoignage de Catherine
Sarrazin-Moyne, publié en septembre
2011 (1). Pour cette psycho-praticienne de
formation, âgée de 61 ans,
tout a basculé en 1990.
Dans un accident de la route, son
père décède, sa
mère survit avec de graves
séquelles physiques et psychiques.
Henriette vit un temps dans la maison
d’hôte de sa fille, est
hospitalisée à plusieurs
reprises, connaît d’importantes
difficultés pour marcher, perd ses
repères. Un jour, Catherine
Sarrazin-Moyne est mise au pied du mur :
sa maman est devenue dépendante. Il
lui faut trouver pour elle une solution en
urgence.
« Comment oser prendre une
décision à la place de son
parent ? », s’interroge l’auteur,
bien consciente que sa mère n’avait
jamais envisagé d’entrer en
institution. À l’époque,
elle se raccroche aux mots maternels
entendus des années plus tôt
: « Je ne veux ni montrer ma
décrépitude, ni peser sur
mes enfants. » « Cette parole
m’a habitée, c’était mon
bâton de maréchal pour
avancer », se souvient-elle,
contrainte alors de se démener pour
chercher une place en maison de retraite.
ASSOCIER
ASSEZ TÔT LA PERSONNE
CONCERNÉE
Un parcours douloureux ponctué de
visites, de refus, d’inscriptions sur
liste d’attente, de tentatives
échouées, de retour à
l’hôpital… Enfin la situation se
stabilise dans un établissement, au
prix d’un solide accompagnement affectif.
« Je m’y rendais presque tous les
jours, et ma sœur tous les week-ends :
nous avons mis notre énergie au
service de notre mère pour lui
apporter ce qui lui manquait,
essentiellement de l’écoute et du
temps », confie Catherine
Sarrazin-Moyne, devenue, après la
disparition d’Henriette en 2008, «
accompagnante » et visiteuse
bénévole en maison de
retraite.
« À un moment donné,
j’en ai voulu à maman de ne pas
avoir décidé de son avenir,
avoue-t-elle. Chacun est responsable de sa
propre vie. Cette femme si autonome, si
indépendante, si allergique
à la collectivité a
compté sur nous pour la placer en
institution. Alors qu’il s’agit d’une
décision intime. » «
Dans les six derniers mois de sa vie, au
terme d’un chemin accompli ensemble, j’ai
gagné sa confiance et sa
reconnaissance », confie l’auteur,
enfin apaisée.
Préparer l’entrée en
établissement et y associer assez
tôt la personne concernée,
c’est la conviction de la psychologue
Claudine Rodriguez (2). Selon la
praticienne, de plus en plus
d’entrées se font dans l’urgence,
à la suite d’une chute.
Dans 90 % des cas, complète Thierry
Darnaud, psychologue clinicien et
maître de conférences
à Toulouse, l’entrée en
institution se fait à la sortie
d’une hospitalisation, ou dans les trois
mois qui suivent.
«
PRÉPARER » LE PARENT
À CETTE ÉCHÉANCE
La majorité sont des personnes
souffrant de la maladie d’Alzheimer ou
d’un trouble apparenté, ne pouvant
plus rester chez elles. Pourtant, la
plupart ne souhaitent pas quitter leur
maison mais se résignent,
poussées par l’entourage.
« C’est une situation difficile pour
les enfants : la famille est
renvoyée à elle-même
et est seule pour décider »,
déplore Claudine Rodriguez qui
plaide pour « une aide à la
décision, fruit d’un travail
pluridisciplinaire (médecin
gérontologue, infirmière
à domicile, assistante sociale…)
prenant en compte la situation sociale,
médicale et psychologique de la
personne âgée. Selon cette
évaluation, on trouverait la
solution la plus adaptée »,
préconise-t-elle.
Les meilleures conditions sont
réunies lorsqu’on peut envisager
bien en amont cette
éventualité avec son parent,
aller visiter avec lui différents
établissements, tout en sachant que
le moment venu, son choix ne pourra
peut-être pas être satisfait.
Il n’empêche, ces démarches
contribuent à le «
préparer » à cette
échéance.
Dans certaines circonstances, un temps
d’adaptation facilite l’appropriation des
lieux : prendre un repas sur place avec
lui, passer une demi-journée voire
une journée. On peut aussi l’aider
à personnaliser sa chambre avec des
meubles, objets personnels et autres
photos qui lui sont chères.
Il faut aussi l’accompagner dans ce
changement de vie : il va quitter son
environnement, ses habitudes de vie, son
domicile qui est le reflet de son
identité, pour arriver dans un
établissement où il devra se
plier à des règles
collectives, des contraintes horaires, un
personnel changeant. Il sait aussi que sa
nouvelle maison sera sa dernière
demeure, ce qui est très lourd au
plan symbolique.
LE POIDS
DE LA CULPABILITÉ
Pour les enfants aussi,
l’expérience est difficile à
vivre. Et ce d’autant plus qu’ils sont
eux-mêmes bouleversés par les
événements. Le poids de la
culpabilité (impression de se
« débarrasser » de son
père ou de sa mère),
l’état d’épuisement
psychologique dans lequel se trouve
souvent la famille qui a attendu la
dernière extrémité
pour prendre une décision.
L’entrée en maison de retraite,
comme la vieillesse ou la
dépendance des parents, constitue
une étape susceptible de
réactiver l’histoire familiale et
de raviver des conflits psychiques enfouis
avec les frères et sœurs ou les
parents d’autrefois.
Selon la psychanalyste Catherine
Bergeret-Amselek (3), « la
génération des 50-60 ans est
elle-même dans une période de
transition. Elle s’interroge sur le sens
de l’existence. À la fois
peiné et encombré de
sentiments filiaux ambivalents, le «
grand » enfant est de nouveau aux
prises avec des sentiments œdipiens ; il
doit faire le deuil de son parent vaillant
et protecteur ; il se sent coupable de le
lâcher, impuissant de ne pas pouvoir
l’empêcher de vieillir, lui en veut
de le quitter, d’être parfois un
poids.
LE PARENT
SOUFFRE AUSSI, HONTEUX DE PESER SUR SES
PROCHES
De son côté, le parent
souffre aussi, perd ses repères,
ses capacités, honteux de peser sur
ses proches. L’entrée en
institution est une étape qui fait
rupture avec la vie d’avant. Pour que
cette étape soit bien
intégrée, il faut que
l’environnement familial et institutionnel
puisse rétablir par un soutien
affectif le fil conducteur de la vie, le
sentiment continu d’exister. »
Entre rupture et culpabilité,
l’entourage vit souvent l’entrée en
institution d’un aîné comme
un échec, analyse Thierry Darnaud
(4) qui a accompagné l’accueil de
nouveaux arrivants et de leurs familles,
afin, précisément, de ne pas
laisser cette faille s’agrandir.
Le psychologue clinicien conseille aux
proches de ne pas se substituer au
personnel et de prendre leur place dans le
quotidien de l’établissement :
partager un repas, participer à une
toilette, à une animation…
À l’inverse, le résident
continue à prendre part, quand il
le peut, à la vie de famille
à l’extérieur de la maison
de retraite, en allant au restaurant par
exemple. Le lien familial ainsi
réorganisé pourra continuer
à se tisser.
(1) Tu verras, tu seras bien, 2011,
Éd. Yves Michel, 7,50 €.
(2) La Vie en maison de retraite :
comprendre les résidents, leurs
proches et les soignants, de Claudine
Rodriguez, 2003, Éd. Albin
Michel,18 €.
(3) La Vie à l’épreuve du
temps, de Catherine Bergeret-Amselek,
2009, Éd. Desclée de
Brouwer. La Cause des aînés :
Pour vieillir autrement… et mieux, 2010,
Éd. Desclée de Brouwer
(ouvrage collectif).
(4) L’Entrée en maison de retraite.
Une lecture systémique du temps de
l’accueil : rupture ou
réorganisation du lien familial ?
de Thierry Darnaud.
Réédité en
février 2012, Éd. ESF, 22 €.
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