La grand-mère aux 600
médailles d'or
Par Anne Pélouas,
Le Monde
6 Janvier 2012
Canada
Le
coffre de son Oldsmobile renferme de
curieux trésors : marteau, javelot,
poids, disque... C'est que, quand elle
n'est pas à la piscine municipale,
Olga Kotelko gare sa vieille voiture
près d'une école pour aller
s'entraîner, trois fois par semaine,
sur le terrain de sport d'un
collège situé sur les
hauteurs de West Vancouver, en
Colombie-Britannique. "Les jeunes me
surnomment la mamie olympique",
lâche Olga Kotelko, qui a en effet
l'âge d'être leur
arrière-grand-mère : 92
printemps.
Avec son 1,52 m pour une soixantaine de
kilos, sa chevelure blanche, son legging
noir et ses baskets, la "mamie" ne passe
pas inaperçue. En 2010, on l'a vue
portant la flamme olympique avant les Jeux
d'hiver organisés dans sa ville.
Car, depuis une quinzaine d'années,
le petit bout de femme parcourt le monde
et collectionne les médailles d'or
et les records du monde dans toutes les
disciplines. Pourtant, Olga Kotelko n'a
jamais été une
athlète professionnelle. Pis
encore, elle n'a commencé à
faire du sport qu'à... 77 ans. Son
leitmotiv ? "Rester jeune et active, en
santé, vibrante et aussi sexy" !
Septième
enfant sur onze d'une famille rurale
ukrainienne, Olga Kotelko ne connaît
du sport que le softball de sa jeunesse et
la marche pour l'école. Adulte,
elle déménage de la
Saskatchewan pour la Colombie-Britannique,
se marie, a deux enfants puis divorce. A
sa retraite d'institutrice, elle se remet
au softball, puis se lance, à 77
ans, à corps perdu dans
l'athlétisme.
Depuis sept ans, elle n'a plus ni
entraîneur ni club, "parce que les
clubs coûtent trop cher et qu'on y
perd beaucoup de temps". Mais elle n'a pas
l'intention de mettre fin avant longtemps
à cette seconde carrière :
"J'aime trop voyager et me faire de
nouveaux amis", confie-t-elle en citant un
proverbe chinois : "L'important n'est pas
quel âge vous avez mais comment vous
vieillissez."
Olga Kotelko vieillit surtout
"sportivement". Elle ne rate aucune
compétition senior importante et
son programme à l'étranger
est chargé : Finlande en 2012,
Brésil en 2013, France (Lyon) en
2015... Seule femme de plus de 90 ans
à sauter en longueur, elle
détient des records du monde en
lancer du poids, du marteau, du disque et
du javelot, comme en course, sur plusieurs
distances ! "Il me manque celui du 100 m,
ma course préférée",
note-t-elle en promettant de s'y attaquer
cette année. A son dernier relais 4
× 200 m, elle a dû
intégrer une équipe de plus
de 80 ans. Elle était seule dans la
catégorie des 90 ans...
Surtout fière de ses records du
monde en saut chez les 90-94 ans (82 cm en
hauteur, 1,77 m en longueur, 4,28 m en
triple saut), elle détient plus de
600 médailles d'or qu'elle
distribue allègrement au gré
des rencontres. Aux World Masters
d'athlétisme, parmi les plus de 90
ans, il y a - il est vrai - de moins en
moins de concurrence. "Nous
n'étions que quatre aux derniers,
raconte la mamie. Et j'étais la
seule assez folle pour m'inscrire à
tout", sauf à la course longue
distance.
Du coup, c'est souvent à
elle-même qu'elle se mesure. Non
sans fierté cependant, notamment
quand elle évoque son dernier
record du monde au lancer du marteau
(16,71 m) en 2011, à Sacramento, en
Californie : trois mètres plus loin
que l'année
précédente, et au premier
essai. Le lancer du marteau est sa
discipline préférée,
"pour la liberté ressentie dans un
mouvement plein d'énergie qui fend
l'air comme un oiseau".
Quand elle ne court pas, ne saute pas ou
ne lance pas sur les stades, Olga Kotelko
enchaîne les conférences.
Pour essayer de transmettre le secret de
sa forme éternelle. Ce
matin-là, dans un centre
communautaire grec de Vancouver, elle
s'adresse à des enseignants
retraités. Infatigable avocate de
la santé par l'exercice physique,
elle livre à son auditoire de
cheveux blancs un message bien senti : "La
vieillesse n'est pas plus une maladie que
l'enfance. (...) Nous n'avons qu'un corps
et qu'un esprit pour vivre, et c'est
à chacun d'en prendre soin."
Pour rester "le plus actif possible", elle
prescrit "de l'entraînement et
encore de l'entraînement",
suggère qu'il n'est jamais trop
tard pour commencer, et développe
le programme qui lui a si bien
réussi : 30 à 60 minutes
d'activité modérée
(marche ou vélo) et 20 à 30
minutes d'activité soutenue
(aérobic, course à pied,
natation, aquaforme...). Tous les jours,
bien sûr. Et des exercices de
renforcement musculaire (gymnastique,
jardinage...) plus de deux fois par
semaine.
Etre en santé est un "trésor
à entretenir, en améliorant
flexibilité et force",
affirme-t-elle en montrant comment elle
utilise des balles antistress pour
renforcer les muscles de ses mains et
lutter contre l'arthrite. Adepte de
réflexologie, elle masse ensuite
ses mains, son visage et son cuir chevelu
pour "garder l'élasticité de
la peau". Elle prescrit encore des
exercices de stretching, "un jour sur
deux, pendant une heure et demie". Ou
plutôt une nuit sur deux, dans son
cas, "à 2 heures du matin, quand
j'ai des insomnies".
Olga Kotelko, elle, s'applique une
discipline de fer pour faire ses exercices
quotidiens, en plus d'un cours d'aquaforme
trois matins par semaine et, donc, d'un
entraînement d'athlétisme
trois autres jours. Pour le régime
alimentaire, elle boit "toujours beaucoup
d'eau" et mange "surtout des fruits, des
légumes et du saumon".
Résultat : "J'ai plus
d'énergie, de force et de vitesse
qu'à 77 ans. Ma densité
osseuse a augmenté, et je ne prends
pas de médicaments, seulement des
vitamines et du calcium." Olga profite
aussi de la vie dans le cottage qu'elle
partage avec sa fille et deux
petits-enfants. Elle jardine, fait des
sudokus pour "entretenir" son cerveau,
chante dans deux chorales, donne des cours
en plus des conférences et fait du
bénévolat dans deux
paroisses ukrainiennes... Rares sont les
semaines où elle ne cuisine pas des
pierogi pour les paroissiens. Rares sont
aussi celles où elle ne s'accorde
pas un verre de vin ou de scotch. "Je ne
suis pas parfaite", dit-elle, le regard
bleu-gris pétillant.
Ses prouesses sportives, Olga Kotelko ne
se les explique pas : "Je fais ce dont je
suis capable, et du mieux possible." Mais
d'autres recherchent pour elle. Par
exemple Tanja Taivassalo, chercheuse en
kinésiologie, spécialiste
des maladies génétiques
mitochondriales causant des faiblesses
neuromusculaires, de l'université
McGill, à Montréal. Elle a
fait la connaissance d'Olga en 2009, alors
qu'elle allait voir son père de 70
ans courir un marathon en Finlande.
La chercheuse assiste alors aux
performances d'Olga Kotelko, qui remporte
dans le même championnat huit
records du monde. Impressionnée,
elle l'invite pour des tests visant
à déterminer si ses
performances relèvent de son
patrimoine génétique ou de
son entraînement. Olga Kotelko
pourrait l'aider à comprendre si
l'exercice physique peut amoindrir les
maladies mitochondriales pour lesquelles
il n'existe aucun traitement.
"Utiliser mon corps pour la science,
pourquoi pas ?", se dit Olga Kotelko, qui
débarque pour la première
fois à Montréal en mars
2010. Entre-temps, l'université
McGill a dû réviser un
règlement qui n'autorisait les
recherches que sur les personnes de moins
de 90 ans. On étudie sa
capacité aérobique à
l'effort, avec mesure de consommation
d'oxygène. Elle apparaît
égale à celle d'un
sédentaire de dix ans plus jeune,
souligne Tanja Taivassalo, qui ajoute que
sa force et son endurance sont aussi
remarquables. Russell Hepple, professeur
aux départements de
kinésiologie et de médecine
de McGill, travaille, lui, sur les
déterminants du "vieillissement en
santé".
La qualité exceptionnelle des
fibres musculaires d'Olga Kotelko
serait-elle responsable de sa force ? On
lui a prélevé par biopsie
des fibres musculaires qui étaient
"magnifiques, comme un sushi", s'exclame
Russell Hepple. A l'analyse, les fibres
révèlent une très
bonne qualité musculaire, alors que
"le problème-clé du
vieillissement est que la masse musculaire
se détériore, explique le
professeur Hepple. Avec l'âge, les
neurones activant les fibres meurent,
entraînant l'atrophie des muscles,
même chez les gens très
actifs".
Olga Kotelko est-elle
protégée contre cette "mort
neuronale", et, si oui, pourquoi a-t-elle
des fibres musculaires si robustes ?
Question de génétique ou
d'entraînement ? Les chercheurs
poursuivent leur analyse des
échantillons
prélevés, mais veulent aussi
les comparer à d'autres. La
nonagénaire sera donc de retour
à McGill, sans doute ce printemps,
pour une série de tests auxquels
participeront d'autres athlètes et
non-athlètes de plus de 85 ans.
Olga échappera à une
nouvelle biopsie : "Nous avons assez de
ses fibres au congélateur", estime
M. Hepple. "Il y a très peu
d'études et de données sur
les plus de 85 ans, ajoute-t-il. On
extrapole à partir de celles qui
concernent des gens moins
âgés. Le plus important pour
nous est de comprendre si
l'activité physique peut ralentir
et prévenir les maladies
associées au vieillissement."
En attendant, Olga Kotelko demeure un
"mystère" pour elle-même. Et
peu lui importe : "J'ai autant
d'énergie qu'à 50 ans, ayant
choisi de devenir une athlète jeune
de coeur plutôt qu'une vieille
femme."
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