Silver surfers
Le Nouvel Economiste
7
Février 2012
France
Drôle
de concept que les “silver surfers”,
catégorie d’acheteurs sur Internet
qui bat visiblement tous les records : en
proportion plus nombreux que les juniors,
ces seniors aux tempes argentées
ont tout le temps pour eux et un pouvoir
d’achat aux mêmes nuances
brillantes. Lançant ces jours-ci
son activité de vente aux
enchères d’objets d’art, Thierry
Ehrmann, créateur d’Artprice, les
cible d’ailleurs
délibérément comme la
clientèle qui va faire son
succès. Il n’est pas le seul.
“Non seulement les 50 ans et plus
représentent la première
catégorie de cyberacheteurs – 30 %
de l’ensemble – mais leur progression est
quasi fulgurante : +23 % au cours du
dernier trimestre. Plus étonnant
encore : la proportion de ces quinquas
connectés et faisant leurs
emplettes sur la Toile (79 %) est plus
importante que celle des 16-24 ans
s’adonnant au même exercice (76 %).
Ce sont les plus âgés qui ont
fait les bonds les plus spectaculaires :
les deux tiers des 65 ans et plus se
livrent en effet aux délices du
cyberachat”, précise Marc
Lollivier, délégué
général de la
Fédération e-commerce et
vente à distance.
Tandis que chez Médiamétrie,
Bertrand Krug évalue ce
phénomène : “En 2011, les
silver surfers représentent 17 %
des achats en ligne, avec une progression
d’un trimestre à l’autre de l’ordre
de 30 %. Les cybermarchands qui en
bénéficient le plus sont les
enseignes fortes ayant déjà
souvent un réseau de magasins, donc
davantage le multicanal que les pure
players.”
Mais
est-on un senior à 50 ans ?
Mais le périmètre de ces
seniors en ligne est encore bien flou.
Surtout si, pour cette
génération, on distingue
l’âge réél de
l’âge ressenti. Est-on un senior
à 50 ans ? Les quinquas le
récusent. Certains mettent la barre
à ce niveau quand d’autres
attendent l’ex-âge officiel de la
retraite – 65 ans – pour considérer
l’évolution marketing de ces
acheteurs chenus. En fait, actuellement la
différence se creuse entre la
génération des
retraités qui utilisaient
déjà Internet dans leur vie
professionnelle et ceux qui le
découvrent à cette occasion,
ce qui fait largement chuter le taux
d’usage. Vrai clivage entre les familiers
de l’outil et les autres. Autre clivage
encore, par-delà des
phénomènes d’âge : le
pouvoir d’achat des différentes
catégories socio-professionnelles.
Quoi qu’il en soit, du point de vue
démographique, les cybermarchands
ne peuvent être qu’euphoriques : si
les plus de 60 ans représentent
actuellement près du quart de la
population, cette proportion devrait
atteindre les 30 % dans une vingtaine
d’années. Le sens de l’histoire
annonce une croissance continue de la
population des “silver surfers”. Raison de
plus pour en étudier les
comportements et attitudes.
Le mortar
les rassure
Les plus “branchés” ne sont pas
ceux que l’on pense, comme le constate
Sophie Schmitt, associée de
“Séniorsphère”, qui se
consacre à ce type de consommateurs
afin de conseiller les grandes entreprises
comme Danone ou la BNP : “Ces
cyberacheteurs ont surtout confiance dans
les distributeurs ayant de grandes marques
connues – donc déjà
établies côté “mortar”
– comme par exemple la Fnac ou Darty.
Leurs achats sont plus sûrement
drainés par des
“commerçants-institutions” comme
peut l’être la SNCF avec laquelle
une relation de confiance est possible.
Ces “silver surfers” veulent
essentiellement limiter les risques dans
leurs emplettes, d’où une attitude
plutôt conservatrice et la recherche
de distributeurs ou de marques qui
rassurent.”
Ils sont fidèles aux marques qui
leur sont familières et dont ils
connaissent les magasins. Lorsque ces
derniers sont passés du mortar au
clic – phénomène
relativement nouveau -, ils les ont suivis
sans réticences. Ils ont besoin de
rassurance et sont moins sensibles
à l’argument prix, aux promos, bons
plans, etc. Et ceux qui s’imaginent qu’en
raison de leur âge et de leur
pouvoir d’achat, ces acheteurs-là
sont “faciles” auront tôt fait de
déchanter. Consommateurs matures et
avertis, ils ne s’en laissent pas compter.
“Vigilants, ils deviennent même
parfois experts dans les domaines qui les
intéressent, comparent les offres
et sont de plus en plus difficiles”, note
Marc Lolivier.
D’ailleurs, comme ces “silver surfers” ont
du temps, ils en passent pas mal à
comparer prix, prestations et produits,
quitte à aborder un vendeur dans un
magasin riche de nombreuses informations.
Ils sont donc de plus en plus
informés, donc exigeants.
Difficiles et susceptibles aussi. “C’est
une clientèle qui intéresse
fortement les annonceurs pour toute une
gamme de produits et prestations du
domaine des loisirs. Elle accède
à de multiples sources
d’informations pratiques, culturelles,
voire encyclopédiques. Nous avons
donc un peu de mal à les trouver,
ce qui rend difficiles les ciblages.
Très peu de sociétés
opèrent des segmentations
dédiées aux seuls silver
surfers. Pour une raison simple, ils ont
horreur d’être
considérés en tant que tels,
selon le seul critère de
l’âge. Il ne faut jamais afficher ce
critère de façon ouverte et
renvoyer une image qui n’est pas
souhaitée”, remarque Claudie
Voland-Rivet, directrice marketing et
innovation de l’Union des annonceurs.
Les
règles du jeu
Une fois connectés, les commandes
d’achats en ligne sont pour eux devenues
un jeu d’enfant mais pour les recevoir,
encore faut-il respecter un certain nombre
de règles du jeu. “La clé de
toute cette activité marchande –
notamment pour ce type de consommateurs
qui interviennent en terrain connu et
n’achètent que très peu
à l’étranger – est la
confiance. Préoccupation qui
d’ailleurs structure la plupart du temps
le marketing de ces sociétés
en ligne. Elles y parviennent, si l’on en
croit le taux de satisfaction
particulièrement
élevé enregistré par
Médiamètrie : 98 %. Et une
fois qu’ils y ont goûté, ils
ont compris”, explique Bertrand Krug,
directeur du département des
mesures d’efficacité “online” de
Médiamétrie.
Des seniors qui n’ont sans doute pas dit
leur dernier mot. Avec eux, les sites en
ligne devraient voir leur activité
se démultiplier si l’on en croit
une tendance récente qui doit tout
à Steve Jobs. Un
élément va encore sans doute
fortement accélérer l’avance
de ces consommateurs sur les autres
catégories : la
quasi-généralisation de
l’Ipad chez ces internautes
expérimentés. Toutes les
données des différents
baromètres montrent en effet que
ces acheteurs sont
suréquipés en tablettes et
smartphones, ce qui est un indicateur fort
d’achat futur sur le Web.
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