|
SEARCH | SUBSCRIBE | ||
Où sont passées les blouses blanches?Par: Eric Favereau
Pénurie d'infirmières et de médecins... La situation de l'hôpital
public se détériore sans cesse. Journée nationale de grève aujourd'hui.
Depuis plusieurs semaines, on opère de moins en moins
dans les hôpitaux publics français. Une grève chronique des infirmières
anesthésistes paralyse en silence les blocs chirurgicaux. Qui le sait?
C'est juste une grève parmi d'autres. Apparemment, rien que de très
banal: ce sont les petits conflits qui secouent régulièrement les hôpitaux.
On pourrait presque s'y habituer. Et ce mardi 6 février, toutes les fédérations
de la fonction publique hospitalière appellent à une journée nationale
de grève. Classique. Pourtant, une tempête s'annonce. Inédite celle-là
et sans égale. Dans les mois qui arrivent, les hôpitaux français vont
être confrontés à une situation impossible : l'absence de médecins
et d'infirmières. Les deux principaux acteurs dans la chaîne des soins
qui désertent l'hôpital. Un comble... Dans dix ans plus de 8.000 médecins
hospitaliers manqueront et près de 20. 000 infirmières font déjà défaut.
«Nous sommes devant une crise majeure. Même si les pouvoirs publics réagissent
très vite et très fort, rien ne dit que cela sera suffisant», lâche un
ancien directeur des hôpitaux. Les infirmières Mais où diable sont-elles passées? On les croyait en
nombre, à l'image des énormes manifestations de 1988. Aujourd'hui, on
peut bel et bien parler de pénurie. Il y a 15.000 à 20.000 postes
inoccupés. Elles ont disparu. Partout, mais surtout dans
l'hospitalisation privée - les salaires y sont plus faibles -, où l'on
estime qu'il manque 6.000 infirmières sur 35.000 postes. Dans le public,
la situation n'est guère plus favorable: tous les hôpitaux ont des lits
fermés pour cause d'infirmières absentes. «On se débrouille», note un
directeur d'un hôpital général de province qui jongle avec les
plannings. Comment a-t-on pu en arriver là? D'abord, avec une erreur
monumentale de planification : alors que la baisse globale du nombre
d'infirmières commençait à poindre, on a continué une politique
malthusienne de formation dans les écoles d'infirmières. En particulier
au milieu des années 90. En 1996, le numerus clausus a même baissé,
passant de 18.000 places à 16.000. «C'était l'époque où l'on disait
qu'il fallait dégraisser l'hôpital, que le coût de la santé était
trop élevé. Alors, on a fermé les portes», note un haut fonctionnaire
de la santé. Résultat : «On s'est planté. En 1996, en 1997 et
encore en 1998, on a continué à la baisse, alors qu'il fallait déjà
augmenter fortement.» En 1999, il a fallu que la direction des hôpitaux
se batte pour arracher 1.000 places de plus. Un an plus tard, tout le
monde a compris. On a sonné le tocsin, et multiplié par deux le nombre
de places dans les écoles d'infirmières. Pour arriver à 26.000 par an. Erreur de planification, mais aussi changement de climat.
La profession a perdu son aura, les écoles ont du mal à se remplir (lire
ci-contre). Celles qui exercent préfèrent délaisser l'hôpital pour
travailler en ambulatoire. 50.000 infirmières de moins de 55 ans ne
travaillent plus. Enfin, arrivent les 35 heures qui là aussi vont accroître
fortement le manque de personnel. Les médecins «Globalement, il n'y a pas de pénurie actuelle»,
affirme la direction des hôpitaux. «Il y a juste des problèmes
particuliers, liés à certaines régions et à certaines disciplines.»
Certes. Mais aujourd'hui, la situation est déjà tendue. On évalue à 2
400 le nombre de postes de praticiens hospitaliers vacants ou occupés par
des non titulaires. Dans le secteur public, des disciplines comme la
psychiatrie ou l'anesthésie sont sinistrées: qui plus est, les médecins
sont très mal répartis sur le territoire français. «Que voulez-vous,
les anesthésistes préfèrent aller exercer dans le Sud qu'en Lorraine»,
explique-t-on, fataliste, au ministère de la Santé pour justifier les
tensions actuelles. Pourtant demain, cela va craquer de tous les côtés. Une
enquête de la Drees (Direction de la recherche des études de l'évaluation
et des statistiques) enfonce le clou. Le temps moyen du médecin
hospitalier est aujourd'hui de 53 heures par semaine. Or, un arrêt de la
Cour européenne de justice du 3 octobre 2000 - portant sur l'application
aux médecins hospitaliers des directives européennes - fixe la référence
du temps de travail à 48 heures par semaine, garde comprise. Pour s'y
adapter - et c'est une obligation - cela va nécessiter la création de
1.800 postes supplémentaires. Auxquels il faudra ajouter près de 3.500
nouveaux postes, liés à la mise en place des 35 heures. «C'est ainsi
que l'on arrive à plus de 8 000 postes de médecins, chirurgiens,
psychiatres ou pharmaciens des hôpitaux qu'il faut recruter dans les années
à venir», explique la Coordination médicale hospitalière. 8.000 postes sur 18.000 titulaires actuels, c'est loin d'être
une goutte d'eau. D'autant que se pose une question subsidiaire: où aller
les chercher? Il faut dix ans pour former un médecin et quinze ans pour
un spécialiste. Or, aujourd'hui, nous sommes dans une période de démographie
médicale particulièrement défavorable. Depuis près de vingt ans, pour
cause de numerus clausus sévère, on ne forme plus que 4.000 médecins
par an (contre 15.000 en 1969, année où le numerus clausus avait atteint
son maximum). «Il faut des mesures d'urgence massives», répète la CMH (coordination médicale hospitalière). «Il n'y a pas d'autres solutions que de faire revenir les médecins spécialistes de ville à l'hôpital.» Pour les infirmières, comment gérer les quelques années noires à venir? «On a des pistes, en particulier développer la promotion interne avec les aides-soignantes», remarque-t-on au ministère de la Santé. «Mais cela ne suffit pas. Quand on regarde les pays voisins, ils ont le même problème. Certains, comme l'Allemagne ont décidé d'importer un grand nombre d'infirmières tchèques. Les Anglais tentent de faire venir 5.000 infirmières d'Espagne.» L'état d'urgence est décrété. Mais bien tardivement. |