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Où sont passées les blouses blanches? 

Par: Eric Favereau
Libération, 6 février 2001

Pénurie d'infirmières et de médecins... La situation de l'hôpital public se détériore sans cesse. Journée nationale de grève aujourd'hui.

Depuis plusieurs semaines, on opère de moins en moins dans les hôpitaux publics français. Une grève chronique des infirmières anesthésistes paralyse en silence les blocs chirurgicaux. Qui le sait? C'est juste une grève parmi d'autres. Apparemment, rien que de très banal: ce sont les petits conflits qui secouent régulièrement les hôpitaux. On pourrait presque s'y habituer. Et ce mardi 6 février, toutes les fédérations de la fonction publique hospitalière appellent à une journée nationale de grève. Classique. Pourtant, une tempête s'annonce. Inédite celle-là et sans égale. Dans les mois qui arrivent, les hôpitaux français vont être confrontés à une situation impossible : l'absence de médecins et d'infirmières. Les deux principaux acteurs dans la chaîne des soins qui désertent l'hôpital. Un comble... Dans dix ans plus de 8.000 médecins hospitaliers manqueront et près de 20. 000 infirmières font déjà défaut. «Nous sommes devant une crise majeure. Même si les pouvoirs publics réagissent très vite et très fort, rien ne dit que cela sera suffisant», lâche un ancien directeur des hôpitaux.

Les infirmières

Mais où diable sont-elles passées? On les croyait en nombre, à l'image des énormes manifestations de 1988. Aujourd'hui, on peut bel et bien parler de pénurie. Il y a 15.000 à 20.000 postes inoccupés. Elles ont disparu. Partout, mais surtout dans l'hospitalisation privée - les salaires y sont plus faibles -, où l'on estime qu'il manque 6.000 infirmières sur 35.000 postes. Dans le public, la situation n'est guère plus favorable: tous les hôpitaux ont des lits fermés pour cause d'infirmières absentes. «On se débrouille», note un directeur d'un hôpital général de province qui jongle avec les plannings.

Comment a-t-on pu en arriver là? D'abord, avec une erreur monumentale de planification : alors que la baisse globale du nombre d'infirmières commençait à poindre, on a continué une politique malthusienne de formation dans les écoles d'infirmières. En particulier au milieu des années 90. En 1996, le numerus clausus a même baissé, passant de 18.000 places à 16.000. «C'était l'époque où l'on disait qu'il fallait dégraisser l'hôpital, que le coût de la santé était trop élevé. Alors, on a fermé les portes», note un haut fonctionnaire de la santé. Résultat : «On s'est planté. En 1996, en 1997 et encore en 1998, on a continué à la baisse, alors qu'il fallait déjà augmenter fortement.» En 1999, il a fallu que la direction des hôpitaux se batte pour arracher 1.000 places de plus. Un an plus tard, tout le monde a compris. On a sonné le tocsin, et multiplié par deux le nombre de places dans les écoles d'infirmières. Pour arriver à 26.000 par an.

Erreur de planification, mais aussi changement de climat. La profession a perdu son aura, les écoles ont du mal à se remplir (lire ci-contre). Celles qui exercent préfèrent délaisser l'hôpital pour travailler en ambulatoire. 50.000 infirmières de moins de 55 ans ne travaillent plus. Enfin, arrivent les 35 heures qui là aussi vont accroître fortement le manque de personnel.

Les médecins

«Globalement, il n'y a pas de pénurie actuelle», affirme la direction des hôpitaux. «Il y a juste des problèmes particuliers, liés à certaines régions et à certaines disciplines.» Certes. Mais aujourd'hui, la situation est déjà tendue. On évalue à 2 400 le nombre de postes de praticiens hospitaliers vacants ou occupés par des non titulaires. Dans le secteur public, des disciplines comme la psychiatrie ou l'anesthésie sont sinistrées: qui plus est, les médecins sont très mal répartis sur le territoire français. «Que voulez-vous, les anesthésistes préfèrent aller exercer dans le Sud qu'en Lorraine», explique-t-on, fataliste, au ministère de la Santé pour justifier les tensions actuelles.

Pourtant demain, cela va craquer de tous les côtés. Une enquête de la Drees (Direction de la recherche des études de l'évaluation et des statistiques) enfonce le clou. Le temps moyen du médecin hospitalier est aujourd'hui de 53 heures par semaine. Or, un arrêt de la Cour européenne de justice du 3 octobre 2000 - portant sur l'application aux médecins hospitaliers des directives européennes - fixe la référence du temps de travail à 48 heures par semaine, garde comprise. Pour s'y adapter - et c'est une obligation - cela va nécessiter la création de 1.800 postes supplémentaires. Auxquels il faudra ajouter près de 3.500 nouveaux postes, liés à la mise en place des 35 heures. «C'est ainsi que l'on arrive à plus de 8 000 postes de médecins, chirurgiens, psychiatres ou pharmaciens des hôpitaux qu'il faut recruter dans les années à venir», explique la Coordination médicale hospitalière.

8.000 postes sur 18.000 titulaires actuels, c'est loin d'être une goutte d'eau. D'autant que se pose une question subsidiaire: où aller les chercher? Il faut dix ans pour former un médecin et quinze ans pour un spécialiste. Or, aujourd'hui, nous sommes dans une période de démographie médicale particulièrement défavorable. Depuis près de vingt ans, pour cause de numerus clausus sévère, on ne forme plus que 4.000 médecins par an (contre 15.000 en 1969, année où le numerus clausus avait atteint son maximum).

«Il faut des mesures d'urgence massives», répète la CMH (coordination médicale hospitalière). «Il n'y a pas d'autres solutions que de faire revenir les médecins spécialistes de ville à l'hôpital.» Pour les infirmières, comment gérer les quelques années noires à venir? «On a des pistes, en particulier développer la promotion interne avec les aides-soignantes», remarque-t-on au ministère de la Santé. «Mais cela ne suffit pas. Quand on regarde les pays voisins, ils ont le même problème. Certains, comme l'Allemagne ont décidé d'importer un grand nombre d'infirmières tchèques. Les Anglais tentent de faire venir 5.000 infirmières d'Espagne.» L'état d'urgence est décrété. Mais bien tardivement.