Peut-on être séduisant après cinquante ans  ?

  By Yves Mamou, Le Monde

 January 17, 2003

Les tempes argentées sont et demeurent un atout de séduction masculine. Au cinéma, Pierce Brosnan, 50 ans, incarne James Bond avec le même naturel qu'il y a dix ans. Johnny Hallyday, la "soixantaine rugissante" (L'Express du 19 décembre 2002), se retrouve au hit-parade des ventes de disques avec deux autres seniors, Renaud et Bashung. Quant à Jean-Paul Belmondo, septuagénaire, son mariage avec une jeunesse a fait la "une"récente de Paris Match (2 janvier).

Côté femmes, en revanche, la valeur médiatique des rides et de la cellulite demeure faible. Dans les magazines, l'éternelle sylphide de 25 ans focalise toujours les regards... et les affres de l'amour. Et la mode et les produits de beauté s'affirment plus que jamais comme des industries de la jeunesse.

Au regard de la séduction, la différence de statut entre les hommes et les femmes qui vieillissent serait-elle consommée ? Pas si simple : en réalité, ce décalage médiatique institué fait l'objet d'authentiques transgressions. Des femmes (actrices, chanteuses...) qui, en raison de leur avancée en âge, auraient dû sortir du champ de la renommée occupent soudain le terrain. Dans Elle du 23 septembre, Isabella Rossellini, 50 ans, affirme que " vieillir ne -lui- fait pas peur". Catherine Deneuve a occupé, elle aussi, la couverture de Elle ("La star raconte la femme"), Fanny Ardant celle de Version Femina, le supplément du Journal du dimanche, Mireille Darc, qui se marie, celle de Paris Match, Nicole Garcia celle de Questions de femmes... En 2003, dans la presse féminine, le surgissement de la cinquantaine se révèle être de moins en moins un facteur d'exclusion. Il n'est même pas rare de trouver des articles expliquant qu'à 45 ans les femmes sont plus belles qu'à 25 (Marie Claire, mai 2001).

DISCOURS DE STARS

Mariette Darrigrand, directrice de Des faits et des signes, société d'études et de réflexion stratégique, a analysé le 13 décembre 2002, au cours du colloque Senioscopie qui avait lieu à Nantes, les règles qui fondent "l'élargissement des critères de la séduction à des classes d'âge qui en étaient auparavant exclues". Elle explique : "Les médias ne disent pas : "Regardez comme les quinquas sont beaux !" Plus subtilement, ils utilisent des stars pour mettre en place un discours, une mythologie, qui justifie la présence des quinquas dans le champ de la séduction."

Quatre fils tricotent ce nouveau discours amoureux. Le premier – et sans doute le plus puissant de ces ressorts mythologiques – s'énonce ainsi : "Etre désirable, c'est être désirante". Bien entendu, le "désir" dont il est question ici ne se réduit pas à la sexualité. Ainsi, "le grand péché, c'est l'indifférence. Si on se résigne, si on renonce, on devient un vieux tromblon." dit Fanny Ardant (Paris Match 19 septembre. Dans le même magazine, Jean Rochefort renchérit : "La jeunesse, c'est garder le plus longtemps possible la curiosité, l'enthousiasme et le désir d'entreprendre." (Paris Match, 26 septembre.) La sexualité n'est bien sûr pas exclue : "Comment rendre votre libido bouillonnante", titrait le magasine Isa en mars 2002.

La seconde mythologie fondatrice de la nouvelle séduction des quinquas institue les cycles contre la linéarité de l'âge. Se remarier, retomber amoureuse, c'est relancer le cycle d'une authentique jeunesse. "Je suis dans la cinquantaine, et quand je me retourne sur ma vie je ne vois que des cycles. Des bons et des mauvais. Il y en a ou rien ne marche, j'ai l'impression d'avoir 100 ans. Et après, un nouveau cycle arrive, on se sent comme des bébés", explique Charlotte Rampling dans le numéro de mai de Marie Claire. Ou bien c'est Mireille Darc qui a l'occasion de son remariage brûle son ancienne vie –"Quand j'ai rencontré Pascal, j'ai tout brûlé" (Paris Match, 10 octobre 2002) – pour mieux resurgir à l'instar d'un phénix : "Aujourd'hui, je suis toute neuve, j'ai une grande faculté à me reconstituer, me régénérer et repartir sur de nouvelles bases."

Le troisième discours est celui qui évoque "la vie comme une construction". Aimer à 50 ans, se remarier, lancer de nouveaux projets, cela n'a de sens qu'en bonne santé. Le corps est un capital qu'il faut entretenir et faire fructifier avec une nourriture adaptée, des médicaments, du sport, voire un peu de chirurgie esthétique... Pas trop néanmoins : "Laissez-moi vieillir, dit Victoria Abril dans Paris Match du 2 janvier. Je ne veux pas passer par des cauchemars opératoires pour avoir l'air d'avoir cinq minutes de moins." Mais, sur ce sujet, les stars cèdent volontiers la parole aux "experts". Tous les médecins qui ont un jour ou l'autre écrit un livre grand public ont une chance d'être invités sur un plateau de télévision ou de figurer en couleurs dans les magazines "people". Ils diffusent une connaissance utile qui permet aux quinquas de refonder un ego parfaitement séducteur.

Enfin, dernière mythologie : la durée devient une valeur montante. L'amour qui dure, la séduction toujours... sont le fait de petits secrets – la gestion de la jalousie, le maintien du désir – qui s'apprennent au fil du temps et permettent aux seniors de valoriser leur expérience. Pour Mariette Darrigrand, ce "progressisme intime des seniors" ouvre la voie aux femmes de 60 ans et plus. Mais tout dépendra en réalité de ce qu'inventera Madonna pour rester dans le coup au cours de ces quinze prochaines années.