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Traitement de la ménopause : le désarroi des femmes et des médecins
Sandrine Blanchard, Le Monde
December 3, 2003
Que faut-il penser du traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause ? Prescrit très largement en France depuis plus de vingt ans, paré jusqu'à présent de toutes les vertus, le THS est désormais mis en cause à la suite de la publication, ces derniers mois, de deux grandes études scientifiques - l'une américaine (WHI), l'autre anglaise (MWS) - qui ont suscité un large émoi chez les gynécologues et chez les femmes qui l'utilisent. Une Française sur deux récemment ménopausée (entre 50 et 55 ans environ) suit un THS. En 2002, ce traitement, qui permet de traiter des symptômes très pénibles (bouffées de chaleur, insomnie, sécheresse vaginale) et de prévenir l'ostéoporose (fragilité des os), a été délivré à deux millions de femmes.
En concluant que le THS entraîne une légère hausse du risque cardio-vasculaire - alors que les médecins pensaient jusqu'à présent qu'il avait un effet protecteur - et augmente le risque de cancer du sein, ces études ont été vécues comme "un véritable coup de massue sur la tête", reconnaît Henri Rozenbaum, président de l'Association française pour l'étude de la ménopause (AFEM). Face aux troubles engendrés par ces résultats, les autorités sanitaires et scientifiques multiplient les recommandations. Dans un rapport qui devait être rendu public mardi 2 décembre, l'Académie nationale de médecine "ne remet pas en cause le THS dans la prise en charge des symptômes fonctionnels de la ménopause" mais préconise un traitement "le plus court possible et avec les plus faibles doses efficaces". De son côté, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) devrait indiquer, mercredi 3 décembre, les éventuelles modifications des autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments utilisés et rendre publiques les conclusions des experts européens commissionnés par le Comité des spécialités pharmaceutiques. L'Agence avait par ailleurs émis des recommandations de bonne pratique en janvier
(http ://agmed.sante.gouv.fr).
DEMANDE D'INFORMATIONS
Largement médiatisées, les études sur les effets secondaires du THS ont eu un fort retentissement dans les cabinets médicaux. Les médecins ont dû répondre aux inquiétudes des femmes. Selon une enquête de la Sofres commandée par l'AFEM, 32 % des femmes qui prenaient un THS ont arrêté leur traitement entre septembre 2002 et juillet 2003. "Toutes nos patientes en parlent et sont très demandeuses d'informations", reconnaissent bon nombre de gynécologues, qui doivent désormais réévaluer la "balance bénéfices-risques" du THS.
"Ces études nous amènent à modifier notre pratique médicale", reconnaissent les docteurs Guy-Marie Cousin, secrétaire général du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens (Syngof), et Bruno Carbonne, son homologue du Collège national des gynécologues-obstétriciens. "Je fais quelque chose de nouveau, je réévalue l'intérêt du traitement et les posologies, notre pratique est de plus en plus à la carte", explique le gynécologue David Elia, qui propose à ses patientes sous traitement depuis plusieurs années de le "suspendre pour voir si les symptômes réapparaissent ou non". Pour le docteur Rozenbaum, il n'est plus question de délivrer le THS à titre "préventif" aux femmes asymptomatiques, ce qui, dans un passé récent, se faisait régulièrement. "Ce traitement reste indiqué dans un grand nombre de cas, mais il faut désormais davantage réfléchir sur sa nécessité réelle et pas simplement sur la notion de confort", estime le gynécologue Gilles Dauptain.
D'autres médecins s'inquiètent, au contraire, de la trop forte répercussion des études scientifiques sur le comportement des femmes. "Le gros problème, actuellement, c'est leur réticence à débuter un traitement. Des patientes préfèrent prendre un antidépresseur plutôt que d'équilibrer leur état avec un traitement hormonal alors que ce dernier a fait ses preuves pour le confort de vie et la prévention de l'ostéoporose", témoigne Pia de Reilhac, membre de la Fédération des collèges de gynécologues médicaux.
"J'attends qu'une étude soit menée en France avec nos produits et nos doses pour changer d'avis sur les bienfaits et méfaits du THS", lance-t-elle. "Les médecins ont été ébranlés parce que personne n'a envie de se retrouver devant les tribunaux avec une femme victime d'un cancer du sein qui aura pris pendant dix ans un traitement hormonal et qui dira à son gynéco, c'est de votre faute", analyse le docteur de Reihlac.
"LE TRISTE RETOUR D'AGE"
Certains praticiens se remémorent l'affaire du Distilbène. Cette hormone de synthèse, censée prévenir les fausses couches, avait été prescrite en France jusqu'en 1977 alors qu'elle avait été interdite dès 1971 aux Etats-Unis à la suite de plusieurs études scientifiques américaines montrant que ce médicament pouvait provoquer des cancers et des malformations génitales chez les enfants dont les mères avaient été traitées avec ce produit.
"Le grand remue-ménage des dernières publications a terni l'image d'un savoir médical triomphant, donnant aux patientes le désagréable sentiment d'avoir été quelque peu flouées", reconnaît Michèle Lachowsky, vice-présidente de l'AFEM. Mais, redoute-t-elle "la ménopause va-t-elle redevenir le triste "retour d'âge" marquant la fin de la joie de vivre des femmes ?"
Les médecins n'entendent pas jeter aux orties un traitement qu'ils ont encensé pendant des années. "Il y a un retour de balancier mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse et diaboliser le THS", insiste le docteur Rozenbaum. Comme d'autres confrères, il a parfois le sentiment de "revivre l'époque du début de la contraception", lorsque les femmes entendaient dire que la pilule entraînait des risques de cancer du sein, de stérilité et même de frigidité.
Des gynécologues redoutent désormais que la question de la médicalisation du phénomène naturel de la ménopause soit à nouveau posée. "Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'à chaque fois que la médecine offre des moyens pour que les femmes vivent mieux, on assiste à des tentatives de retour en arrière", regrette le docteur Elia.
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