Des centaines
de médicaments ne seront plus remboursés
By :
Isabelle Mandraud
Le Monde, September 25, 2002
Le tableau est
suffisamment sombre et les perspectives de croissance modestes pour que
Jean-François Mattei évoque une évolution possible qui "nous
ramènerait aux pires années (...) 1992-1993", lorsque la Sécurité
sociale accusait plusieurs dizaines de milliards de francs de déficit.
Par pudeur, le ministre de la santé, "décidé à tourner la page
de la régulation comptable", a soigneusement évité toute référence
à 1995, année du plan Juppé. A l'occasion de la réunion de la
commission des comptes de la "Sécu", mardi 24 septembre,
M. Mattei a exposé les grandes lignes du projet de loi de
financement 2003 qu'il doit présenter au conseil des ministres du 9 octobre.
Ce "texte traduit
les lignes directrices et la philosophie de la nouvelle politique de santé
et d'assurance-maladie", a-t-il souligné. Mais il reste "un
texte de transition, car tout n'est pas possible tout de suite".
L'assurance-maladie
justifie, à elle seule, la dégradation des comptes du régime général
(4,6 milliards d'euros de déficit en 2003), hors mesures
correctrices. Les dépenses ont, en effet, progressé de 7,2 % par
rapport à 2001, alors que l'objectif national des dépenses
d'assurance-maladie (Ondam), voté par le Parlement, l'avait fixé à 4 %
(soit 112,8 milliards d'euros). Jamais un tel dépassement n'avait été
enregistré. Pour 2003, M. Mattei propose de fixer l'évolution de
l'Ondam à 5,3 % (4 % pour les produits pharmaceutiques). "Je
prends l'engagement de déposer au printemps un projet de loi de
financement rectificatif, un "collectif social", en cas d'écart
significatif constaté", a-t-il annoncé. Il promet également de
déposer, au printemps 2003, un projet de loi de programmation quinquennal
en santé publique, afin de définir, "avec des indicateurs détaillés,
les objectifs prioritaires pour les cinq années à venir".
FORFAITS-REMBOURSEMENT
En attendant, les seules
économies escomptées concernent le médicament. D'ici à trois ans, le
gouvernement envisage de supprimer le remboursement des 835 médicaments
(18,6 % des 4 500 spécialités) ayant, selon les experts, un
service médical rendu (SMR) insuffisant. En 1998, Martine Aubry avait
confié à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps) le toilettage de la pharmacopée française. Achevée en
2000, ce travail a déjà abouti à une réduction de la prise en charge
de certains produits, malgré les protestations des petits laboratoires
français, particulièrement concernés, qui ont toujours brandi la menace
de suppressions d'emplois.
La première étape du
plan de M. Mattei concerne toutes les classes de produits, une
vingtaine, "contenant des antibiotiques ou de la cortisone",
pour une économie estimée à 300 millions d'euros. La deuxième étape
viserait tous les médicaments qui "peuvent, sans risque, faire
l'objet d'une automédication" (magnésium, vénotoniques, anti-tussifs,
soit 700 millions d'euros d'économies). La troisième vague,
qui comprendrait notamment les vasodilatateurs, rapporterait 400 millions
d'euros. Par ailleurs, des forfaits-remboursement vont être créés pour
tous les 105 médicaments possédant leur "double" sous forme de
générique. "Libre à chacun de choisir, mais l'assurance-maladie
ne paiera plus désormais le surcoût attaché à la marque",
souligne le ministre de la santé. L'économie atteindrait 600 millions
d'euros en année pleine. Le gouvernement prévoit ainsi de ramener le déficit
de la "Sécu" à 3,9 milliards en 2003.
S'agissant des soins de
ville, M. Mattei souhaite promouvoir l'évaluation des médecins et
mettre fin au "MICA", un système de financement de la retraite
anticipée. Au contraire, le gouvernement veut permettre "aux médecins
et aux infirmières qui le souhaitent de reprendre une "activité
complémentaire" après leur départ en retraite" afin de
pallier la pénurie de personnels médicaux. La première tranche du plan
"Hôpital 2007" sera lancée, avec l'apport de 300 millions
d'euros pour l'investissement. Des "partenariats public-privé"
permettraient de porter l'effort à 1 milliard. Deux cents millions
supplémentaires seront accordés pour l'achat de médicaments innovants.
Enfin, dans le but d'améliorer la gestion hospitalière, une "mission
permanente d'audit et d'expertise" serait créée, "faisant
notamment appel à des auditeurs privés".
Côté "philosophie",
M. Mattei annonce l'ouverture de trois chantiers. Un premier groupe
de travail concernera la nouvelle "gouvernance" du système
de santé et le rôle des différents acteurs (Etat, partenaires sociaux,
professionnels de santé, usagers). Confié à Rolande Ruellan, conseiller
maître à la Cour des comptes, et ancienne directrice de la "Sécu",
il remettra un état des lieux le 15 novembre, avant le dépôt d'un
projet de loi spécifique à l'automne 2003. Le deuxième chantier, piloté
par Alain Coulomb, délégué-général de la Fédération de
l'hospitalisation privée, devra plancher sur "la crédibilité de
l'Ondam" et remettre ses conclusions au premier trimestre 2003.
Le troisième suscitera le plus de débats. Sous la responsabilité de
Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, il étudiera
"les champs de compétence de l'assurance de base et de l'assurance
complémentaire", afin d'"évaluer la place de la
solidarité nationale". Autrement dit, il devra faire le tri
entre ce qui doit être financé par le régime général et ce qui reste
à la charge des mutuelles, des assureurs et des ménages.
Enfin, sans remettre en
cause le Forec, le fonds créé par le précédent gouvernement pour
financer les allégements de charges sociales, M. Mattei a annoncé
que le remboursement de la moitié de la dette de l'Etat vis-à-vis de la
"Sécu" (1,2 milliard d'euros) sera financé par une
ponction sur la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), "sans
allonger ni la durée de vie de la Cades, ni le niveau du CRDS".
Par ailleurs, l'assurance-maladie recevra 600 millions d'euros de
transferts de recettes du tabac, dont les prix vont être relevés de 15 %.
Les pensions revalorisées
de 1,5 % en 2003
Pour établir ses prévisions
2003, la commission des comptes de la Sécurité sociale a dû arrêter le
taux de progression de certaines prestations. Ses experts, avec l'accord
du gouvernement, ont retenu une revalorisation des retraites de base de
1,5 %, soit l'inflation prévisionnelle (hors tabac) pour l'an
prochain. Ainsi, la Caisse nationale d'assurance-vieillesse verra ses dépenses
augmenter de 3,6 %. Elle restera cependant excédentaire.
De leur côté, les prestations familiales devraient être revalorisées
de 1,7 %, un taux qui prendrait "en compte le rattrapage de
l'inflation pour 2001". La Caisse nationale des allocations
familiales verrait ses charges progresser de 2,6 % l'an prochain. Le
projet de loi de financement prévoit une mesure en faveur des familles
nombreuses : 70 euros seront versés chaque mois aux familles de
trois enfants et plus dont l'aîné a atteint 20 ans. Le gouvernement
estime l'avantage à 840 euros sur un an. Cette mesure prendra effet au
1er juillet 2003 et coûtera 65 millions d'euros (130 millions
en année pleine).
.