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Les familles déplorent
les lacunes de la prise en charge des malades d'Alzheimer
By: Elisabeth Bursaux
Le Monde, September 21, 2001
À
L'OCCASION de la 8e Journée mondiale consacrée à la maladie d'Alzheimer,
vendredi 21 septembre, l'Europe a choisi de mettre l'accent sur "l'aide
aux aidants" C'est en effet sur ces "aidants" –
conjoints, compagnons ou enfants d'un malade – que repose la lourde
charge humaine, affective et financière qui est indissociable de
l'accompagnement de cette maladie fréquente (lire ci-contre), qui atteint
surtout les personnes de plus de soixante-cinq ans et dont la fréquence
augmente avec l'âge. Au point que le professeur Christian Derouesné, de
La Pitié-Salpêtrière à Paris, peut dire que "la maladie
affecte non seulement le malade lui-même, mais également, et de façon
dramatique, son entourage proche".
L'Union nationale des associations Alzheimer, qui a ouvert un site
Internet – www.francealzheimer.com
– se mobilise pour obtenir une meilleure prise en charge. Plus de la
moitié du coût de cette forme de dégénérescence cérébrale est en
effet supportée par les familles, déplore l'Union, qui estime à 400
francs par jour le prix d'une surveillance de 8 heures, soit 10 000 francs
par mois, et entre 20 000 et 30 000 francs celui d'une garde permanente.
Or la solidarité nationale est actuellement à la hauteur du problème.
Pascal Terrasse, député (PS) de l'Ardèche et rapporteur du projet de
loi sur l'allocation personnalisée à l'autonomie, a ainsi demandé,
jeudi 20 septembre, que les pouvoirs publics s'engagent davantage dans
l'aide aux familles, "qui, le plus souvent, supportent seules le
lourd fardeau de cet accompagnement". M. Terrasse plaide
notamment pour "la mise en place de centres de dépistage précoce",
de "lieux d'aide au répit des familles", et pour la
reconnaissance de la maladie d'Alzheimer au répertoire des affections de
longue durée de la Sécurité sociale.
SURVEILLANCE PERMANENTE
Souvent seul soutien du malade, "la famille, en France, ne se
désengage pas et donne des soins efficaces", souligne le
docteur Philippe Thomas, psycho-gériatre au CHU de Poitiers,
coordonnateur de l'étude Pixel, financée par les laboratoires Novartis,
sur le rôle de l'entourage dans la prise en charge des personnes
atteintes de la maladie d'Alzheimer. Plus de 7 patients sur 10 vivent à
domicile, aidés par leur conjoint ou l'un de leurs enfants. "Ce
sont les femmes qui, en majorité, s'occupent du malade: deux fois sur
trois l'épouse et, lorsque le malade est très âgé, trois fois sur
quatre sa fille", précise le docteur Thomas. Ils consacrent en
moyenne plus de six heures par jour aux soins de leur parent, en plus
d'une surveillance qui doit être permanente. Ainsi, 41 % des conjoints et
28 % des enfants déclarent ne plus avoir du tout de temps libre, au détriment,
pour les personnes âgées, de leur propre santé. Enfin, une famille sur
trois prend totalement en charge le patient, sans aucune aide extérieure.
Nicole s'occupe ainsi de sa mère depuis cinq ans. Elle avait
cinquante-trois ans lorsque sa mère, âgée de quatre-vingt-deux ans, est
tombée malade : "Il est vite apparu qu'elle ne pouvait plus
vivre seule. Je travaillais à Paris, elle vivait en province. J'ai
abandonné mon travail, et suis allée vivre avec elle", raconte-t-elle.
Elle a eu la chance alors de rencontrer un homme, devenu son époux, qui
connaissait bien la maladie. "Nous la stimulons en permanence et
elle semble très heureuse. Jamais nous ne sortons sans elle."
Les soins sont épuisants, nuit et jour. "Je veille à ce que ses
jambes ne se replient pas pendant la nuit parce qu'il est important
qu'elle se lève tous les jours. Elle adore sortir, ne supporte pas de se
sentir enfermée."
La façon dont Nicole parle de sa mère ne laisserait pas imaginer
qu'elle est si mal. En réalité, elle ne mange plus seule – "mais
elle adore les bonnes choses" –, elle ne parle plus – "mais
nous nous comprenons très bien". Une infirmière vient matin et
soir pour l'aider à lui faire sa toilette, un kinésithérapeute la masse
quatre fois par semaine. Le couple ne quitte jamais leur petite ville. A
l'évocation d'une structure qui pourrait recevoir sa mère quelques jours
pour les soulager, Nicole répond que sa mère "n'accepterait
jamais d'être avec des inconnus", que "la priver de
son monde la casserait".
Pour le professeur Jacques Touchon, du CHU de Montpellier, l'accueil de
jour des malades devrait être développé et "il faut créer des
centres de vacances où les familles viendraient avec leur malade,
conservant ainsi un cadre rassurant".
Il n'est cependant pas toujours possible de garder le malade à la
maison. Jean-Claude Cadeau a dû placer dans un lieu de vie sa femme,
atteinte d'une variante de la maladie d'Alzheimer comportant de gros
troubles du comportement et qui s'est déclarée lorsqu'elle n'avait que
cinquante-quatre ans. Il va la voir tous les jours et insiste sur la nécessité
de petites structures proches des domiciles, car cette visite quotidienne
est indispensable aux malades, comme souvent à leur famille. "Nous
partageons des regards, nous nous touchons, la communication persiste."
Président de l'antenne locale de France-Alzheimer, il décrit aussi les
énormes difficultés financières de ceux qui doivent placer leur malade.
"Avant soixante ans, il n'existe aucune aide, la réglementation
ne tient pas compte des cas réels, fulmine-t-il. En outre, dans les
campagnes, la fortune est foncière, pas financière. Les enfants refusent
que la terre soit vendue pour payer l'institution." Au stress
affectif et physique, s'ajoute encore trop souvent une grande inquiétude
financière.
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