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Les Français Face Au Grand Âge
Par Jacqueline Remy, Marie Huret, l'Express
France
Le 28 Février 2005
Jamais, sans doute, les Français n'auront tant pris conscience qu'il était temps de se bouger face aux problèmes posés par le grand âge: 67% d'entre eux se déclarent insatisfaits de la prise en charge des personnes âgées par les pouvoirs publics. Au-delà de la rituelle mise en cause du gouvernement et de l'administration, par définition coupables d'incurie, ces chiffres dénotent une réelle attente. On ne fait pas assez pour les vieux et on n'en parle pas assez: c'est le principal enseignement du sondage réalisé par la Sofres pour la Fédération hospitalière de France, dont L'Express, en exclusivité, révèle la teneur.
6 Français sur 10 ont le sentiment d'être mal informés sur les dispositifs d'aide et de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Les mêmes, sans doute, trouvent qu'on devrait en parler davantage. Et ces déclarations ne sont pas liées à leur situation familiale: 31% ont, dans leur entourage proche, une personne âgée dépendante et ils ne stigmatisent ni plus ni moins que l'ensemble de la population le manque d'informations ou la défaillance des pouvoirs publics. En revanche, au-delà de 75 ans, tout en émettant aussi un jugement négatif, les personnes âgées elles-mêmes sont un brin moins sévères (53% d'insatisfaites).
Tous et toutes admettent pourtant qu'on a fait des progrès par rapport aux générations précédentes. La prise en charge médicale des vieillards est jugée plutôt meilleure (67%), de même que le travail des mairies et des associations (56%), l'aide apportée par la solidarité nationale (52%) et les structures d'accueil ou les maisons de retraite (51%). Mais, revendiquent les Français, il faut en faire beaucoup plus. Il n'est pas certain qu'ils seront définitivement rassurés par les propositions de Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux Personnes âgées, et de Philippe Douste-Blazy, son ministre de tutelle, qui, au moment du salon Geront Handicap Expo (du 8 au 10 mars prochain, à Paris) devraient annoncer un effort supplémentaire. Car les Français ont commencé à comprendre, bien qu'ils n'aiment guère y penser, que nous allons vers des temps difficiles. Ils savent que l'espérance de vie s'est envolée en un siècle - de 49 ans en 1900 à 79 ans en 2000 - et que les courbes démographiques sont implacables. Ils pressentent que les classes nombreuses nées au milieu des années 1920 vont faire peser une pression terrible sur les structures d'accueil dès 2007 et que nous ne sommes pas prêts à y faire face. Ils devinent enfin que le débarquement des enfants du baby-boom dans le grand âge va tout faire exploser: on recense 6 000 centenaires en France aujourd'hui, ils seront 150 000 dans quarante ans (18% seulement des personnes interrogées par la Sofres s'imaginent centenaires) et le nombre de plus de 85 ans aura quadruplé.
«Vieillir, c'est le seul moyen de ne pas partir» Les morts de la canicule ont secoué les esprits. «Les Français ont compris qu'il fallait s'équiper», affirme Catherine Vautrin, qui défend la Journée de solidarité instituée au profit des vieux et des handicapés, à partir de cette année, grâce à la suppression d'un jour férié, le lundi de Pentecôte. Les Français, aussi, se sentent vaguement coupables, à titre collectif: 36% estiment que l'image des personnes très âgées s'est dégradée dans notre société jeuniste. Et 50% déclarent que les anciens, dont le pouvoir d'achat leur semble en baisse (45%), sont moins bien pris en charge qu'avant par leurs proches. Effet canicule, ce pessimisme? «On pense aux 50 morts qui n'ont pas été réclamés, observe David Causse, de la Fédération hospitalière de France, et on oublie les 4 950 que leur famille n'avait pas perdus de vue.»
C'est une évidence, la vieillesse fait peur. Encore faut-il savoir de quoi et de qui on parle. Quelle vieillesse? A quel âge est-on âgé, très âgé? Sûrement pas à l'âge de la retraite. A 83 ans, répondent en moyenne les personnes sondées par la Sofres, alors que l'espérance de vie est de près de 77 ans pour les hommes et de 84 ans pour les femmes. On n'a pas non plus la même perception pour les autres et pour soi-même. Ce que les Français redoutent le plus en général - oubliés, les rhumatismes, la surdité, l'incontinence - ce sont les dégénérescences neurologiques comme les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer (80%), qui ligotent esprit et corps. Quand on leur demande ce qu'ils craignent d'abord pour eux-mêmes, les chiffres chutent - ils ne veulent même pas y songer - mais 33% répondent encore: «La dépendance et la perte d'autonomie.» Puis il cochent «la solitude» (19%), «les problèmes de santé». On craint tant la dépendance qu'on évite d'y penser (47%): 8% seulement des 50-64 ans et 16% des 65-74 ans ont exprimé leurs souhaits, 7% et 11% ont pris des dispositions.
Et pourquoi imagineraient-ils le pire? Pour Liliane Delwasse et Frédéric Delpech, qui viennent de publier Passionnément vieux, portraits intimes chez Anne Carrière, la longévité est «une chance extraordinaire». Ils ont interviewé une brigade de vieux battants qui dégustent leur âge, aiment la vie et n'ont pas l'intention d'en perdre une miette. «Avec l'âge, on peut quitter son petit Moi, un peu vain», dit sagement Jacqueline de Romilly. «Je suis presque devenu mon propre sujet d'étude», ironise non sans élégance le Pr Etienne Emile Baulieu. «La vieillesse apporte un cadeau inespéré: la liberté», explique Edmonde Charles-Roux. «Demain réserve toujours quelque chose de neuf», insiste Willy Ronis. «Pour l'esprit, je rajeunis à vue d'oil», renchérit Robert Laffont. Et Micheline Dax hausse les épaules: «L'âge, je m'en fiche. Vieillir, c'est le seul moyen de ne pas partir. Tout le monde vieillit. Ce n'est pas une agression personnelle!» Encore faut-il, pour vieillir sereinement, ne pas avoir l'impression qu'on est mis au rebut.
Où nicher ses derniers rêves? Chez soi ou dans une maison de retraite? 75% des Français plébiscitent le domicile personnel. La maison de retraite est jugée supérieure sur deux points: pour être en sécurité et rompre l'isolement. Pour les soins, on a médiocrement confiance en l'institution, dont l'image générale est tout juste passable. Selon la Sofres, 87% des personnes interrogées se disent prêtes à consacrer du temps à une personne âgée de leur entourage, 79% à lui payer une aide à domicile, 61% à lui offrir une place en maison de retraite, 59% à la prendre chez elles. «La vérité, c'est que les Français veulent tous mourir chez eux, précise Catherine Vautrin. L'autre vérité, c'est que les familles n'ont pas toujours le choix, c'est un parcours du combattant pour trouver une solution, quand on la trouve.» La secrétaire d'Etat ajoute: «Aujourd'hui, on arrive en institution à 85 ans en moyenne, on y vient parce qu'on est dépendant. Et on y reste en moyenne quatre cents jours.» Pascal Champvert, à la tête de l'Association des directeurs d'établissement d'hébergement pour personnes âgées, tonne contre la disparition prochaine de 5 500 emplois-jeunes.
Mais Catherine Vautrin déclare qu'elle aura créé 22 000 nouveaux emplois entre 2004 et 2005. Elle annonce l'ouverture de 100 maisons de retraite (5 000 places) en 2005: «Il faut maintenant médicaliser les maisons de retraite», dit-elle, afin d'éviter l'hôpital à des vieillards qui n'ont rien à y faire. Elle dira au début de mars qu'elle veut aussi épauler les familles, en prévoyant des solutions souples pour faire jouer pleinement les nouvelles dispositions sur l'aide à la personne, quitte à aménager le droit du travail. Exemple: afin de donner de l'oxygène et du répit aux proches, elle voudrait importer la formule suédoise et canadienne du «baluchonnage», en clair le séjour ponctuel d'une aide à domicile qui s'installerait chez la personne âgée et jouerait le rôle d'un membre de la famille, le temps de brèves vacances.
Catherine Vautrin espère susciter des vocations d'aides à domicile. Selon le sondage Sofres, 61% des personnes interrogées affirment qu'elles conseilleraient à un proche ou à leurs enfants de s'orienter vers un métier d'assistance aux personnes âgées. Signe qu'il s'agit d'un secteur d'avenir et qu'il n'est pas indigne de s'intéresser aux grands vieillards. En réalité, c'est politiquement inévitable: les personnes âgées vont représenter une force de frappe électorale. C'est socialement vital: un livre intelligent, publié ces jours-ci aux éditions la Découverte, rappelle le rôle joué par les vieilles dames, figures toutes-puissantes de nos contes d'enfant et «métamères» modernes, tisseuses de lien (Grand-mères, dirigé par Véronique Cohen). C'est culturellement incontournable. Car les vieux baby-boomers ne se laisseront pas ignorer.
Combien seront-ils demain à protester, comme aujourd'hui Claude Sarraute ou Pierre Tchernia, contre le «racisme antivieux» et le «délit de sale gueule» dont ils s'estiment victimes?
Retrouvez ce sujet avec Valérie Expert dans l'émission quotidienne On en parle sur ce lundi de 9 heures à 10 heures. Rediffusion à 15 heures.
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