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Retraites
: faut-il abolir les régimes spéciaux ? France 21 septembre 2006 A
peine déclenchée par François Fillon, ancien ministre des affaires
sociales, actuel conseiller du président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, dans
un entretien au Parisien du 12 septembre, la polémique sur la réforme
des régimes spéciaux de retraite a été - provisoirement ? - refermée
par le président de la République. Sur Europe 1, lundi 18 septembre,
Jacques Chirac s'est empressé d'affirmer : "Mon gouvernement n'a
aucune intention de modifier les régimes spéciaux dans l'état actuel
des choses. (...) S'ils existent, c'est parce qu'il y a des raisons spéciales.
Par conséquent, il faut peut-être les étudier." Pour
autant, la survivance des régimes spéciaux de retraite, avec leurs
"acquis" ou leurs "privilèges", relève-t-elle d'une
anomalie ? Même s'ils ne concernent qu'un peu plus de 500 000 cotisants
et 1 080 000 millions de retraités, ces systèmes, attachés à
l'histoire d'une corporation ou d'une entreprise, ont échappé à toutes
les réformes. Celle d'Edouard Balladur, en 1993, qui a porté à quarante
ans la durée de vie professionnelle des salariés du privé en calculant
leur retraite sur les vingt puis les vingt-cinq meilleures années. Celle
d'Alain Juppé qui a échoué après la grève des cheminots de l'hiver
1995. Celle, enfin, de 2003 qui doit aligner, à partir de 2008, la
situation des 5 millions de fonctionnaires sur celle des salariés du privé. Il
paraît difficile d'imaginer que, parmi les 124 régimes spéciaux en
vigueur - hors fonction publique, commerçants, agriculteurs et
professions libérales -, l'urgence soit de remettre en cause le cas des
343 cotisants et des 378 retraités de la Comédie-Française, dont le régime
remonte à 1914, celui de l'Opéra de Paris, qui date de 1698, ou des pêcheurs
et invalides de la marine, hérité d'un système d'entraide élaboré
sous Colbert, en 1670. Députés et sénateurs possèdent aussi leurs systèmes
particuliers, comme les clercs de notaire, les mineurs de fond, les
ministres des cultes d'Alsace et de Moselle, les salariés de la Chambre
de commerce et d'industrie de Paris et ceux de la Banque de France. Ces
deux dernières ont tenté de les supprimer, sans y parvenir totalement. En
réalité, sont visés essentiellement les personnels de la SNCF, de la
RATP et surtout des industries électriques et gazières (IEG), parmi
lesquels EDF, GDF, mais aussi la Compagnie nationale du Rhône (groupe
Suez). La
principale différence de traitement entre régimes spéciaux et régime général
concerne la durée d'activité professionnelle nécessaire pour bénéficier
d'une retraite à temps plein. Dans les premiers, elle est toujours fixée
à trente-sept ans et demi au lieu des quarante ans prévus, à partir de
2008 (quarante et un ans en 2012), dans le privé et la fonction publique.
L'âge de départ à la retraite reste autorisé sous certaines conditions
dès 55 ans, voire 50 ans pour les conducteurs de train et de métro. Le
calcul des pensions repose sur les derniers salaires et non sur les
meilleures années, comme dans le régime général. Enfin, aucun système
de pénalité n'est prévu lors de départs anticipés comme l'a institué,
pour les autres régimes, la réforme de 2003. "Celui
qui dira qu'il est normal que des gens cotisent quarante ans pour que les
autres cotisent trente-sept ans et demi ne respectera pas les Français",
a déclaré Nicolas Sarkozy le 14 septembre, en se gardant bien de désavouer
M. Fillon. La Cour des comptes, présidée par Philippe Séguin, avait
pointé du doigt, ce jour-là, les inégalités de traitement dans son
rapport sur la Sécurité sociale. Le
Conseil d'orientation des retraites (COR) est plus nuancé. "La
comparaison (entre les régimes) mérite des précautions, est-il indiqué
dans un document de juillet. Les régimes spéciaux (...) jouent le même
rôle que les dispositifs de préretraite, de dispense de recherche
d'emploi en fin de carrière." En effet, si le départ à la retraite
s'échelonne entre 55 ans et 60 ans pour les personnels des régimes spéciaux,
l'âge moyen de cessation d'activité des autres salariés reste de 57,6
ans. La différence n'est donc pas aussi considérable qu'il y paraît. Dans
leur réponse à la Cour des comptes, les dirigeants de la caisse de
retraite des IEG soulignent que certains dirigeants ou cadres, voire
l'ensemble des salariés de certaines entreprises dans l'industrie, la
banque ou l'assurance, perçoivent, pour leur retraite, des avantages dits
"supplémentaires" non négligeables. En raison de la diminution du nombre de cotisants par rapport à celui des
retraités, la situation financière des régimes spéciaux reste préoccupante.
La loi du 9 août 2004 avait été négociée entre les syndicats et
Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, qui avait préservé le
statu quo des salariés des IEG. L'équilibre financier de ce régime est
assuré par une "soulte", une contribution exceptionnelle des
entreprises de 7,6 milliards d'euros reversée à la Caisse nationale
d'assurance-vieillesse (CNAV) et par une contribution tarifaire
d'acheminement ( Même si François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, considère
que "l'on entre de la pire manière dans le dossier des retraites",
le chiffon rouge agité par M. Fillon a atteint son objectif. Il a relancé
le débat sur l'avenir des retraites, la durée d'activité
professionnelle et le financement, qui devraient être réexaminés en
2008. Une échéance fixée par la réforme de 2003 que les partenaires
sociaux veulent préparer en dehors de "toute frénésie politique",
selon les termes de Bernard Devy (FO). Les syndicats craignent que cette polémique ne serve de prétexte pour
aggraver les conditions générales des retraites. "Nous avons besoin
que les salariés défendent le système par répartition, poursuit M.
Devy, sans qu'ils soient obligés de se tourner vers des solutions d'épargne
individuelle." Une éventualité évoquée par M. Fillon. Laurence
Parisot, présidente du Medef, l'a rappelé, mardi 19 septembre : "Il
faut que les Français comprennent qu'il leur faudra faire encore des
efforts. Car ce qui a été entrepris n'est pas suffisant pour assurer les
retraites d'ici à dix ou quinze ans." Avec ou sans régimes spéciaux.
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