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Et toujours
les retraites. France 7
avril 2006 C’est
la nouvelle « réforme » à la mode. Dans plusieurs pays européens (Allemagne,
Espagne, Danemark, Royaume-Uni) de nouveaux projets sont avancés, qui
consistent tous à repousser l’âge de la retraite : de 65 à 67 ans au
Danemark, de 60 à 65 ans pour les fonctionnaires britanniques. Cette
nouvelle offensive vient de se heurter au Royaume-Uni à un mouvement
social massif, le plus important depuis 80 ans, qui a concerné tous les
services publics : écoles, transports, éboueurs, pompiers et même ...
policiers. Pourtant
la logique de ces réformes semble à première vue convaincante : si les
salariés partent plus tard à la retraite, ils resteront par définition
actifs plus longtemps et la progression du nombre de retraités sera freinée
d’autant. Dans le scénario du COR (Conseil d’Orientation des
Retraites), la réforme Fillon fait ainsi gagner 0,9 % de PIB à
l’horizon 2020 et 1,2 % à l’horizon 2050. Mais cette économie (assez
modique) ne pourrait être dégagée qu’à une condition : même si les
salariés acceptent de travailler plus longtemps, il faut encore que leurs
emplois ainsi prolongés s’ajoutent à ceux créés pour les jeunes.
Autrement dit, il faut supposer que le nombre d’emplois s’adapte à
celui des demandeurs d’emplois. Dans
l’absolu, l’allongement de la durée de vie et le vieillissement des
populations devraient rendre possible un tel scénario : baisse du chômage,
progression des salaires (et donc des ressources des régimes de retraite)
et allongement de la vie active. Mais les projets à long terme des
capitalistes sont différents, et les représentants du Medef au COR (dont
Guillaume Sarkozy) ont vertement critiqué cette perspective d’une
stabilisation, voire d’un redressement de la part de la masse salariale
dans le revenu national. Le patronat entend bien que les choses se passent
autrement, et que le chômage continue à exercer son influence «
bienfaisante » sur le niveau des profits. Les
fonctionnaires anglais ont parfaitement compris la logique implacable qui
se cache derrière ce type de réforme. En pratique, compte tenu de l’état
du marché du travail, les salariés devront prendre leur retraite à peu
près au même âge qu’avant, mais avec une pension réduite d’autant
en fonction de systèmes de « décote » semblables à celui que la réforme
Fillon a introduit en France. Le but de la manoeuvre n’est donc pas de
faire travailler les gens plus longtemps mais bien de baisser le niveau de
leur pension. Ce
qui se passe dans les pays voisins préfigure alors ce qui risque de se
passer en France. La réforme Fillon est en effet une réforme glissante.
On sait qu’elle conduit à reculer l’âge de départ à la retraite :
en 2008, il faudra avoir cotisé 40 ans pour avoir droit à une retraite
à taux plein. Mais ce n’est pas tout : à partir de 2009 - c’est
explicitement prévu par la loi - la durée de cotisation augmentera à
nouveau dans le public et le privé, de telle sorte que les salariés qui
devront partir à peu près au même âge en retraite verront leur pension
diminuée d’autant. Il faut ajouter à ce mécanisme celui de
l’indexation des pensions, sur les prix et non pas sur les salaires, qui
conduit d’ores et déjà à une baisse relative des retraites.
Aujourd’hui, la pension moyenne représente environ 72 % du salaire
moyen : ce taux de remplacement ne sera plus, selon le COR, que de 65 % en
2020 et de 59 % en 2050. Les
alternatives à cette régression sociale existent, et elles ont été
largement discutées pendant le mouvement sur les retraites de 2003. Elles
reposent sur un schéma, évidemment inacceptable par le patronat, qui
consiste à relever la part de la masse salariale dans le revenu national,
puis à la stabiliser. Cela veut dire que le salaire va augmenter au même
rythme que la productivité, ce qui rend possible d’accompagner l’évolution
du rapport entre actifs et retraités, moyennant une augmentation
progressive du taux de cotisation patronale. Quant
à l’argument selon lequel l’allongement de la durée de vie en bonne
santé devrait permettre de travailler plus longtemps, il n’est pas
d’actualité. Avant de le prendre en considération, il faut d’abord
revenir au plein emploi, parce qu’il serait absurde de vouloir faire
travailler plus longtemps ceux qui ont un emploi quand tant d’autres en
sont privés. L’autre préalable est de réduire la durée et
l’intensité du travail, sinon on verra dans dix ou vingt ans les salariés
arriver à la cinquantaine dans le même état d’usure que les générations
précédentes. Michel Husson, Fondation Copernic, administrateur de l’INSEE, chercheur à l’IRES
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