Japon : l'Archipel des retraites perdues
Le Monde
Japon
28 Mars 2008
Au Japon, ce n'est pas la réforme des retraites qui fait tomber les gouvernements mais leur gestion. Après avoir contribué à la chute du gouvernement de Shinzo Abe en septembre 2007, ce que la presse appelle "le scandale des retraites" pourrait accélérer celle de son successeur Yasuo Fukuda.
Depuis mai 2007, la Sécurité sociale doit faire face à un problème insoluble : retrouver les propriétaires de 50,95 millions de cotisations mensuelles de retraite. Le gouvernement avait promis de résoudre ce problème pour la fin mars. Il a dû admettre le 14 qu'il lui était toujours impossible d'identifier l'origine de 20,25 millions de versements. Logiquement, les cotisants ne pourront pas recevoir les versements qui leur sont
dus.
Quelques centaines de milliers de Japonais seraient concernés. Comme, par définition, on ne connaît pas le nombre exact de personnes lésées, une véritable panique a gagné la population. Nombreux sont ceux qui se sont rués vers les agences de la Sécurité sociale. Mais le personnel, incapable de les rassurer, s'est vite retrouvé débordé. Dans ce pays où le service est supposé être parfait, les consultations téléphoniques, mises en place dans l'urgence avec des intérimaires recrutés pour l'occasion, n'ont fait qu'ajouter à la confusion et au
ressentiment.
Comment en est-on arrivé là ? Depuis 1961, tout adulte âgé de 20 à 60 ans cotise à la retraite de base et paye 14 140 yens (90,84 euros) chaque mois. Jusqu'en 1997, les cotisants étaient inscrits à la Sécurité sociale de manière nominative et selon leur emploi et leur lieu de résidence. "Pendant ma carrière, j'ai occupé trois postes, explique le professeur d'économie Noriyuki Takayama. Le premier dans le privé. Puis j'ai intégré l'université Musashi avant d'obtenir mon emploi actuel, à l'université Hitotsubashi." M. Takayama avait donc trois comptes de retraite, matérialisés par la possession de trois petits carnets, les "Nenkin techo". Ce système concernait aussi les salariés d'une même entreprise mutés dans une autre région. Dépendant d'un autre bureau local de Sécurité sociale, ils recevaient un nouveau carnet.
En 1997, le gouvernement a décidé d'attribuer à chaque affilié un numéro unique, comme en France. C'est là que les ennuis ont commencé. La Sécurité sociale s'est lancée dans une opération d'unification des comptes. Dix ans après, elle a dû reconnaître que près de 51 millions de cotisations restaient non identifiées. Et comme personne n'a pris la peine de demander aux mairies qui détenaient les dossiers originaux de les conserver, nombre de municipalités les ont détruits, empêchant à tout jamais de reconstituer les données individuelles.
Cette modernisation a révélé d'autres dysfonctionnements qui remontent à l'époque de l'informatisation de la Sécurité sociale, en 1980. Il avait alors fallu entrer les noms de tous les cotisants, mais les premiers systèmes informatiques ne permettaient pas l'inscription des patronymes avec leurs caractères chinois, les kanjis. Les noms ont donc été enregistrés en fonction de leur prononciation, au moyen des caractères de l'alphabet phonétique katakana. Or, chaque kanji ayant plusieurs prononciations possibles, les mauvaises transcriptions se sont multipliées. Un phénomène aggravé par la mauvaise volonté de fonctionnaires hostiles à
l'informatisation.
"MONTÉE DU NIHILISME"
Des erreurs ont aussi été commises sur les périodes et années de naissance. Les cotisants sont enregistrés selon le calendrier encore très utilisé des ères japonaises, qui correspondent au règne des empereurs. Une personne née en 1960 se voit inscrite comme née "la 35e année de l'ère Showa", ou 35e année depuis le début du règne d'Hirohito. Une autre ayant vu le jour en 1923 sera enregistrée comme "née la 12e année de l'ère Taisho".
Pour ne rien arranger, ces dysfonctionnements ont engendré certaines malversations : l'argent des cotisations a notamment servi à payer des week-ends de golf aux fonctionnaires de
l'agence...
L'ampleur du scandale a suscité de vives réactions dans la population. Déjà jugée responsable de l'éclatement de la bulle spéculative au début des années 1990, l'administration est vouée aux gémonies. Ce scandale a prouvé au public "qu'il n'existe aucune relation entre les individus et la société dans laquelle ils vivent", constate le professeur Matsubara Ryûchiro, de l'université de Tokyo. Il ne peut donc, selon lui, qu'aggraver "la montée du nihilisme". Cette défiance rejaillit sur les politiques, notamment sur les membres du Parti libéral-démocrate, au pouvoir de manière quasi ininterrompue depuis 1955.
Espérant tourner la page, le gouvernement a choisi de faire disparaître l'Agence de la Sécurité sociale, pour la faire renaître en 2010 sous la forme d'une nouvelle entité de statut semi-public. Un projet qui ne résout pas le problème des 20 millions de cotisations non identifiées.
More
Information on World Pension Issues
Copyright © Global Action on Aging
Terms of Use |
Privacy Policy | Contact
Us
|