Les à-coups de la
réforme des retraites
Source
Par Anne Rodier, Le Monde
France
L'âge
légal de départ à la retraite
à 62 ans et le report à 67 ans de
l'âge à partir duquel un
salarié peut partir sans décote,
même s'il n'a pas cotisé toutes les
années nécessaires pour avoir une
retraite, s'appliqueront pleinement dès la
génération 1955, et non plus 1956,
comme le prévoyait initialement la
réforme du 9 novembre 2010.
C'est la menace d'une dégradation de la
note AAA de la France, liée à son
endettement, qui a incité le gouvernement
à prendre des mesures de rigueur.
A peine six mois après l'entrée en
vigueur de la réforme des retraites, le
premier ministre, François Fillon, a
proposé, le 7 novembre, une
accélération de sa mise en
application, aussi justifiée par la
révision à la baisse des
prévisions de croissance pour
l'année 2012, à 1 % du produit
intérieur brut (PIB).
La limitation du nombre de personnes à la
charge des caisses de retraite permettrait une
diminution des déficits cumulés des
régimes de retraite à hauteur de 4,4
milliards d'euros entre 2012 et 2016, dont 0,1
milliard dès 2012, selon le plan
d'équilibre des finances publiques. Le
total des économies prévues par les
nouvelles mesures de rigueur étant de 64,7
milliards, la mesure concernant les retraites
paraît symbolique.
C'est donc pour rassurer les agences de notation,
que les générations 1952, 1953, 1954
et 1955 verront l'âge légal de
départ à la retraite reporté
de quelques mois supplémentaires (+ 1 mois
pour ceux nés en 1952, + 2 pour les 1953, +
3 pour les 1954 et + 4 pour les 1955).
Alors que ces nouvelles mesures étaient
initialement intégrées dans un
projet de loi de financement rectificative de la
Sécurité sociale pour 2012, le
gouvernement a finalement choisi de
procéder par voie d'amendement ; ce qui
permet une entrée en vigueur plus rapide du
texte. Elle est prévue avec le projet de
loi de financement de la Sécurité
sociale (PLFSS) pour 2012, le 1er janvier
prochain.
Adopté par les députés le 22
novembre, rejeté par le Sénat le
lendemain, le sort de l'accélération
du calendrier de la réforme des retraites
devait être fixé in fine par
l'Assemblée nationale, où
l'amendement sera à nouveau à
l'ordre du jour mardi 29 novembre.
Combien de personnes concerne-t-il ? "Globalement,
pour les prochaines années, on estime
à 650 000 personnes en moyenne, tous
âges confondus, le flux annuel de
départs à la retraite pour le
régime général", estime le
président du conseil d'administration de la
Caisse nationale d'assurance- vieillesse (CNAV),
Gérard Rivière.
TOUS NE SONT PAS
TOUCHÉS
Mais toutes ne sont pas touchées par les
changements. "A la suite des mesures visant
à relever l'âge légal, parmi
la génération 1952, 63 % devraient
reporter leur départ, 70 % pour la
génération 1953, 73 % pour la
génération 1954 et 76 % pour la
génération 1955", indique Vincent
Poubelle, directeur statistiques, prospective et
recherche de la CNAV. Les personnes restantes
partent à la retraite avant 60 ans, dans le
cadre de départs anticipés pour
carrière longue par exemple, ou
après 65 ans.
Du côté des salariés, cette
nouvelle accélération du calendrier
est plutôt mal reçue. "Les reports
d'âge successifs, qui soulagent un peu les
comptes, donnent surtout le sentiment que les
droits sont sans cesse remis en cause. La
perception des salariés est qu'on repousse
toujours plus loin l'échéance de la
retraite", rapporte Jean-Louis Malys,
secrétaire général de la
CFDT, en charge du dossier retraites.
Les générations 1951, 1952, 1953,
1954, 1955, ont à peine
intégré un premier report de
l'âge de départ, qu'un
deuxième est annoncé. "Pour ceux qui
sont en emploi, c'est vécu comme une
contrainte supplémentaire ; pour ceux qui
n'y sont déjà plus dans les
années qui précèdent la
liquidation, c'est une nouvelle période de
précarité et une menace sur leur
niveau de pension ; pour les plus jeunes,
ça décrédibilise la retraite
par répartition", ajoute-t-il.
Du côté des entreprises, l'attentisme
prévaut. Depuis la réforme de 2010,
afin que les salariés ne se retrouvent pas
dans une trappe "sans indemnisation ni retraite",
des directions des ressources humaines avaient
dû revoir ou compléter, par des
avenants, les accords d'entreprise par lesquels un
certain nombre de salariés avaient
quitté l'entreprise dans des plans de
départ volontaires ou des
aménagements de fin de carrière,
sans avoir prévu
l'éventualité d'un changement
législatif sur l'âge légal de
départ à la retraite.
NOUVELLES
NÉGOCIATIONS CHEZ MICHELIN
Michelin, par exemple, avait ainsi
prolongé, par avenant au plan volontariat
France, la période de prise en charge par
l'entreprise jusqu'à l'âge
reporté de la retraite. La nouvelle
accélération du calendrier de la
réforme pourrait donner lieu à de
nouvelles négociations. "Les accords qui
avaient été signés dans le
cadre du plan de départ volontaire et les
avenants liés à la réforme
seront revus avec les organisations syndicales,
à partir de janvier", indique la direction
de Michelin. Toutefois, le texte n'étant
pas définitivement validé par
l'Assemblée nationale, "on ne peut pas dire
aujourd'hui ce qu'il en sera
précisément", ajoutent-ils.
Chez Renault, qui avait fait l'objet de
protestations de salariés signataires du
plan Renault volontariat de 2009, la direction "a
privilégié l'approche au cas par
cas, en recevant individuellement les personnes
éventuellement concernées pour leur
proposer des missions d'activité".
Plus généralement, au sein des
directions des ressources humaines des grands
groupes, "le report d'âge crée un
problème de visibilité sur la
volonté de départ des
salariés", indique Simon Desrochers,
directeur général du bureau de Paris
du cabinet de conseils Towers Watson.
Or la gestion de l'emploi des seniors s'inscrit le
plus souvent dans des programmes pluriannuels. "Le
report d'âge légal de départ
à la retraite concerne peu les cadres, qui
entrant généralement tard sur le
marché du travail n'envisageaient pas de
partir avant 62 ans, mais pour tous les autres,
entre le report d'âge et l'interdiction de
faire partir les seniors en retraite d'office
avant 70 ans, les DRH sont dans le flou", note M.
Desrochers.
De fait, à la CNAV, dont le conseil
d'administration avait émis, le 17
novembre, un avis majoritairement négatif
sur l'accélération du calendrier de
réforme des retraites, le plus grand
changement a été le travail
d'information auprès des salariés et
des entreprises. "La convention d'objectifs et de
gestion négociée entre la CNAV et
les pouvoirs publics a anticipé les besoins
et les attentes des entreprises en
expérimentant une offre de conseil
dédiée", indique Gérard
Rivière.
Mais un long chemin reste à parcourir pour
promouvoir les dispositifs de départs
progressifs compatibles à la fois avec le
report de l'âge légal de
départ à la retraite et la
conjoncture défavorable à l'emploi
des seniors.
Le cumul emploi-retraite a été
assoupli, mais son usage reste marginal. "La
réforme des retraites a confirmé le
dispositif "retraite progressive" - qui cumule la
liquidation d'une partie de la rente et le travail
partiel -, mais les entreprises ne s'en saisissent
pas ou très peu", constate M. Desrochers.
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