Quand le 3ème âge sombrera
dans la délinquance
Par Guillaume Roche, Fluctuat.net
18 juillet 2011
Monde
La délinquance des seniors a déjà explosé
au Japon. Portée par le veillissement de la population et la
précarisation des retraités, elle devrait aussi connaitre
un boom en France dans les années à venir.
La web bd Mamie
taga, créée par les graphistes Cyrille Plenchette et
Benoit Le Ray, caricature un phénomène amenée
à prendre de l'ampleur dans les années à venir :
la délinquance des personnes âgées. "Nos
grands-parents ne consommaient pas de drogues, nos parents sans doute
un peu plus. Ce ne serait pas surprenant à l'avenir que de plus
en plus de papys et mamies dealent. La retraite est précaire et
le besoin d'argent facile tentant, non ?", lance Cyrille Plenchette.
Bref, le sénior, cible de choix pour les auteurs d'agressions et
autres vols à l'arrachée, peut à son tour plonger
dans la délinquance par nécessité. Le minimum
retraite avoisine très péniblement les 700 euros par mois
pour une personne seule, et la tentation d'arrondir ses revenus est
grande. "Quand on traite ce genre d'affaires, c'est vraiment au cas par
cas, mais l'argent est un gros moteur. Ils tentent de survivre", avance
Pierre Azema, délégué national pour le syndicat,
Alliance Police Nationale.
La senior connection ?
Les personnes âgées peuvent être inculpées
pour "escroquerie, braquage, agression sexuelle et affaire de
stupéfiant", énumère Pierre Azema. Et s'organisent
parfois en petit réseau dans des affaires liées à
la drogue. Et Azema de continuer : "un couple de retraités a
été attrapé avec 10 kilos de shit. Dans les
Yvelines, une grand-mère revenait de Thaïlande avec de la
came depuis plusieurs années. Il s'agit d'affaires locales qui
ne sont pas structurées comme dans les cités". Les deux
faits divers énoncés ci-dessus s'inscrivent dans une
fresque d'événements du même type qui se sont
déroulés depuis le début de l'année en
France. En juin, deux gramounes (personnes âgées en
créole réunionnais), Georges (69 ans) et Aimé (79
ans), doivent payer une amende car ils avaient tous les deux
plantés du cannabis dans leur jardin. Dans le courant du mois de
mars, Victor
Bokboza (83 ans et pas mal d'années dans le métier
de dealer) a été condamné à 4 ans de prison
pour trafic de drogue. A la même période, "l'Abbé
Pierre" (63 ans) est jugé pour avoir vendu 3 kg d'herbe, 1,5
kg d'héroïne et 200 g de cocaïne. En janvier 2011, le
petit business de "Mamie
Pétard" est démasquée par son aide
ménagère.
L'âge élevé de ces délinquants donne
à ces affaires un caractère hors norme. Elles attirent
forcément les médias qui flairent l'occasion de raconter
une bonne histoire. Mais, si la répétition de ces faits
isolés venait à se confirmer dans les prochaines
années, on pourrait commencer à parler d'une Senior
Connection, portée par la pyramide des âges.
Une mécanique
démographique...
En France, dans le courant de l'année 2010, le Centre d'analyse
stratégique a publié un rapport au titre fleuve dont
l'administration seule possède le secret. Dans les 308 pages de
Vivre ensemble plus longtemps : enjeux et opportunités pour
l'action publique du vieillissement de la population française ( voir
le rapport en pdf), le problème de la délinquance des
séniors est brièvement mentionné à la page
139 : "si les personnes âgées de plus de 60 ans ne
représentent pour l'instant que 2,13 % des mises en cause par
les services de police, ce pourcentage devrait augmenter de
manière mécanique dans les prochaines années." Les
plus de 60 ans comptaient en 2010 pour 22,5% de la population. En 2050,
un Français sur 3 entrera dans cette catégorie
d'âge. Avec la précarisation des retraites et la
fragilisation du système de répartition, tout est
réuni pour voir croitre la délinquance du
troisième âge dans un futur proche.
... et une galère
à venir
Cette nouvelle problématique annonce également un
casse-tête pour le système carcéral
français, les prisons n'étant actuellement pas
équipées pour accueillir ce public. A ce propos, Pierre
Azema livre un constat sans appel : "Il y a des personnes
âgées en prison. Certaines y meurent. La soixantaine
passée, il faut reconnaître que ce n'est plus
adapté. Ils n'ont pas de quartiers pour elles, d'infirmiers pour
les suivre, d'aménagements pour les handicaps physiques. En
France, on va y avoir droit à un moment donné et
l'administration pénitentiaire n'est pas adaptée !".
Aujourd'hui, le phénomène constaté en France n'est
pas aussi important qu'au Japon, où des gens vont jusqu'à
se "faire enfermer pour avoir de meilleures conditions de vie",
rappelle Azema, pour échapper à une misère sociale
provoquée par les crises successives. Nous avons encore quelques
années devant-nous. Mais, le temps que la classe politique
française se penche sur la question des seniors
délinquants, il sera probablement trop tard y apporter une
réponse rapide et efficace.
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