Ces préretraités contraints de retourner sur le
marché du travail
Anne Rodier, Le Monde Economie
27 juin 2011
France
A partir du 1er juillet, la
retraite à 60 ans c'est fini ! La loi "portant réforme
des retraites" de novembre 2010 entre en vigueur progressivement. Pour
tous ceux qui sont nés à partir du 1er juillet 1951, il
faudra patienter quatre mois de plus, pour la génération
1952, huit mois de plus, etc., jusqu'à la
génération née en 1956 qui inaugurera la retraite
à 62 ans. A partir du 1er juillet également, la
durée de cotisation sera plus longue d'un trimestre pour les
générations 1953 et 1954, et les conditions de
départ sont modifiées pour les carrières longues.
Autant de sources de mauvaises surprises pour les candidats au
départ volontaire, qui avaient signé avant la
réforme et ses décrets d'application, en 2008 et en 2009,
des plans de départs volontaires, des mesures d'âge
négociées, qui devaient les conduire après des
périodes de formation ou de chômage jusqu'à
l'âge légal de départ à la retraite. Ils se
retrouvent, pour certains, obligés aujourd'hui de retourner sur
le marché du travail.
"IL ME MANQUE UN AN DE TRAVAIL"
"A 58 ans, je suis à la
recherche d'un emploi, car il me manque un an de travail pour atteindre
le nouvel âge. Pourtant, quand j'ai signé pour le plan,
tout était calé, le nombre de trimestres, l'âge de
départ", témoigne Gilbert Barro.
Cet ancien ouvrier spécialisé de Renault à
Sandouville (Seine-Maritime) a signé en 2009 le Plan Renault
Volontariat (PRV) qui, après trois mois de carence, neuf mois de
formation et trois ans de chômage, l'amenait en 2013 à
l'âge légal de départ à la retraite qui
était alors de 60 ans. "Avec
la réforme, je n'aurai l'âge de départ qu'en 2014 !
Je me suis retourné vers Renault, mais leur réponse a
été : "Vous ne faites plus partie de l'entreprise.""
Du fait des changements
législatifs, ils seraient ainsi, sur le site de l'usine Renault,
à Sandouville (Seine-Maritime), quelque 200 à 300
personnes des générations 1952, 1953 et 1954, à se
retrouver avec une période non couverte entre la fin du
chômage et la retraite, selon Jean-Louis Lefebvre, un autre
ouvrier de Sandouville qui a signé aussi en 2009 le PRV.
" Moi j'ai mes trimestres, car j'ai
commencé à travailler à 15 ans. Mais, en tant que
carrière longue, mon âge de départ est
reporté de huit mois, ça me fera un mois et demi
problématique, mais certains collègues ont plus d'un an
sans couverture." M. Lefebvre a créé un collectif
de salariés pour demander à l'entreprise de " les réintégrer pour couvrir
la période du report d'âge".
Selon Nicolas Guermontres, le délégué syndical CGT
de l'usine de Sandouville, " sur la
seule génération 1953, 213 salariés ont
signé le PRV à Sandouville. A l'époque où
il a été mis en place, les Laguna se vendaient mal.
Beaucoup ont signé dans l'idée de faire de la place aux
jeunes, d'autant qu'on nous assurait qu'en signant le plan avant la
réforme on ne serait pas concernés." De nombreuses
entreprises, outre Renault, avaient négocié des plans de
départs volontaires avant la réforme : Michelin, France
Télécom, Le Monde,
etc. Les exemples sont légion.
DÉCONVENUES
C'est à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV) que de
nombreux préretraités constatent leur déconvenue.
Combien sont-ils ? Il n'y a pas d'évaluation officielle. "J e ne suis pas sûre qu'il s'agisse
d'un problème à grande échelle. On constate les
cas, mais on ne les comptabilise pas, affirme Annie Roses,
directrice de la réglementation de la CNAV. La seule chose qu'on sache est que pour
les générations 1953 et 1954, 780 000 à 790 000
personnes sont susceptibles de partir à la retraite par
génération. Mais cela ne dit pas grand-chose sur le
nombre de signataires d'accords d'entreprise qui auraient pu être
surpris par la réforme et qui, faute d'avoir l'âge
légal de départ en retraite, n'ont plus aujourd'hui que
trois recours : se retourner vers leur entreprise, vers Pôle
emploi ou sur le marché du travail."
Pour la CNAV, le
problème est du ressort de l'entreprise. "On se heurte au problème
d'employeurs et de salariés pressés de réaliser
des accords de fin de carrière sans forcément
prévoir les évolutions futures de la
réglementation. La CNAV ne peut donner d'informations que sur la
base de la législation existante. Pour préparer les
départs en retraite anticipés, nous ne délivrons
pas d'attestation valant engagement au-delà d'un délai de
six mois. C'est donc aux entreprises de prévoir dans leurs
accords comment prolonger les conditions financières en cas de
modification de la législation", estime Mme Roses.
RENÉGOCIATIONS
La question a pourtant été posée en 2010 en marge
de l'élaboration de la réforme des retraites. Michelin ou
France Télécom ont alors décidé de
renégocier des accords récemment signés. Le Plan
Volontariat France mis en place par Michelin en 2009, qui concernait
essentiellement les générations 1951 et 1952, a
été l'objet d'un avenant pour prolonger la période
fixée par l'accord jusqu'à l'âge reporté de
la retraite.
A France Télécom, les aménagements de fin de
carrière proposés fin 2009 à toute personne
partant à la retraite dans les trois ans et fixés par
accord d'entreprise ont également fait l'objet d'un avenant
négocié juste après la réforme, en
décembre 2010, avec les partenaires sociaux. "L'accord étant ouvert sur plusieurs
années, le dispositif, qui concerne aujourd'hui 4 000 personnes,
aurait été bancal faute d'avenant. On a donc
repoussé le terme de l'accord de deux ans et prolongé
l'accès au dispositif jusqu'en 2014", explique Alain
Gueguen, directeur "rétribution" à la direction des
ressources humaines de France Télécom.
"Il y avait urgence car, dès janvier
2011, les possibles entrées dans le dispositif sont
reportées, de huit mois ou plus, et de ce fait de nombreux
salariés en perdaient tout simplement le bénéfice.
Tout ça devrait coûter quelque 400 millions d'euros, mais
quand on signe un accord, on préfère que ça dure
plus d'un an", ajoute-t-il.
Renault a une autre approche quant au devenir de son plan de
départs volontaires mis en place fin 2008. "Les salariés qui sont partis n'ont
plus de liens contractuels avec l'entreprise", confirme la
direction. "Pour faire face à
la crise qui a touché sévèrement le secteur
automobile à partir de mi-2008, plusieurs entreprises dont
Renault ont choisi de mettre en oeuvre des solutions d'ajustement
structurel. Le Plan Renault Volontariat, qui en faisait partie,
était fondé sur le strict volontariat, permettant aux
collaborateurs de l'époque de quitter l'entreprise s'ils le
souhaitaient. Différentes mesures étaient
proposées, toutes ayant été conçues en
complète conformité avec les obligations légales
en vigueur à ce moment-là", explique la direction
du groupe. L'accord PRV n'a donc pas été
renégocié.
Le problème aurait pu être réglé par le
dispositif d'allocation équivalent retraite (AER), qui prenait
le relais des indemnisations chômage jusqu'à l'âge
légal de la retraite. Mais ce dispositif a été
supprimé... depuis le 1er janvier 2011.
Pourtant, le document d'orientation sur la réforme des retraites
d'avril 2010, qui avait envisagé les conséquences du
report d'âge pour les demandeurs d'emploi les plus
âgés, stipulait bien que "le
report de l'âge de départ à la retraite est
susceptible de pénaliser les demandeurs d'emploi les plus
âgés, si cela devait conduire à les maintenir plus
longtemps au chômage, en particulier non indemnisé,
c'est-à-dire avec un niveau de ressources moindre que leur
pension de retraite. Le recul de l'âge de départ à
la retraite ne pourrait donc s'envisager sans un dispositif
spécifique sur ce point". CQFD.
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