Les retraités n’en
finissent pas de broyer du noir
El Watan
8 Novembre 2011
Algerie
Près
de 546 000 retraités touchent moins de 15
000 DA par mois. Selon les témoignages de
certains, cette pension dérisoire ne leur
permet même pas de subvenir aux besoins les
plus élémentaires de leurs familles.
En ce jeudi ensoleillé, les vieux
commencent à arriver dans un jardin de la
capitale. Chaque après-midi, ils se donnent
rendez-vous dans ce lieu pour discuter, palabrer
et surtout jouer d’interminables parties de
dominos. Histoire de tuer le temps. Mais avant
d’entamer leur passion favorite, ces personnes du
troisième âge font la «revue de
presse» de l’actualité nationale et
internationale. Tout est passé au crible.
Ils pourraient aisément rivaliser avec les
plus talentueux commentateurs en raison de la
pertinence de leurs analyses.
Mais les sujets qui leur tiennent à cœur et
dominent les débats sont incontestablement
la sortie présidentielle pour
l’inauguration du métro d’Alger et
l’approche de l’Aïd El Adha et son
sempiternel problème de dépenses.
En effet, l’inauguration par le président
de la République du métro d’Alger,
lundi dernier, a pris l’allure d’un
événement national. La presse en a
fait ses choux gras. Et les images de cette
inauguration se sont taillé la part du lion
dans les journaux télévisés
de l’Unique, reléguant ainsi au second plan
tous les problèmes et soucis quotidiens des
Algériens, notamment les retraités,
cette frange la plus fragile de la
société. «Je me fiche
royalement que le métro d’Alger soit
inauguré par Bouteflika», lâche
un vieux retraité de la SNTF.
«Ça ne règlera pas nos ennuis
quotidiens. Nous avons du mal à joindre les
deux bouts. Vous êtes journaliste. Faites un
saut dans n’importe quel marché de la
capitale. Il y a de quoi avoir la migraine. Les
prix sont hors de portée»,
ajoute-t-il. Comment faire face
à la flambée des prix de large
consommation et gérer la fête de
l’Aïd El Adha avec des retraites
dérisoires qui ne dépassent
pas pour la plupart les 20 000 DA ? Un
sérieux dilemme. Pour les retraités,
c’est la quadrature du cercle. Ils sont dans une
précarité extrême.
Esprit critique
En dépit de cette situation tragique, ils
arborent des sourires dignes de circonstance. En
guise d’exutoire, ils se racontent des blagues,
ils se chamaillent, ils plaisantent, à tel
point qu’on les prendrait pour des bambins en
récréation. Mais ils gardent
cependant toute leur lucidité et l’esprit
critique quand on les titille sur les sujets
d’actualité. «Les vrais martyrs
doivent se retourner dans leurs tombes en voyant
qu’après 50 années
d’indépendance on se gargarise et on se
bouscule pour inaugurer un métro d’une
longueur de 9,5 km. Quelle honte pour nous ! Nous
serons la risée du monde entier, surtout
quand tout sera mis en valeur à la
télévision nationale», clame
encore ce retraité de la SNTF.
A vrai dire, le jardin public, ce lieu de
rencontre de ces vieux Algérois, n’a de
signification que le nom. Pas de fleurs, pas
de verdure ni de jet d’eau. Juste un espace
de quelques sièges en béton moches
et des tables de fortune sur lesquelles les
dominos claquent pour annoncer que la partie est
serrée entre les joueurs. Mais rien
n’indique que nous sommes dans un jardin public
digne de ce nom. Des ordures jonchent le sol et
une odeur pestilentielle envahit les lieux ;
des chiens errants viennent s’ajouter à ce
décor insalubre, comme pour souligner la
déchéance de cette frange de la
population à qui on n’accorde aucune
importance et qui n’a pas voix au chapitre.
«A notre âge, on urine sur les murs,
comme de vulgaires voyous, faute de toilettes dans
ce jardin», tonne un retraité
à l’allure imposante.
Honneur perdu
Certains estiment qu’ils ont même perdu le
respect de leurs enfants, qui les accusent
d’être la source de leur triste situation.
Le fils de l’un d’eux est allé même
jusqu’à reprocher à son père
de l’avoir mis au monde pour le laisser ensuite
galérer. A la pension dérisoire
qu’ils perçoivent s’ajoute la
promiscuité : des logements où
s’entassent 10 à 12 personnes dans un
trois-pièces. «La nuit pour aller aux
toilettes, il faut enjamber un corps humain pour
arriver à destination !», se plaint
ce même retraité. «Vous pouvez
écrire des kilomètres de phrases et
des millions de reportages sur nous, cela n’y
changera rien. Le pouvoir de Bouteflika et
d’Ouyahia est insensible aux souffrances du
peuple. On est allé jusqu’à expulser
des retraités de leurs logements, sans que
ces derniers n’aient de coin où aller. Eux
qui se sont sacrifiés et ont tout
donné pour le pays et formé des
générations… Maintenant on les
récompense en les transformant en
SDF», affirme, fataliste, Chabane K.,
retraité de l’éducation nationale.
Ce dernier indique que lui-même a
été victime d’une expulsion.
S’il ne passe pas ses nuits dehors, c’est
grâce à la
générosité de sa sœur qui a
accepté de l’héberger dans sa villa,
une fois qu’elle a pris connaissance de sa
misérable situation.
En effet, des retraités de Sonelgaz ainsi
que ceux de l’éducation, qui occupaient des
logements de fonction, reçoivent, ces
derniers mois, des lettres d’expulsion. Ces
retraités ont exprimé leur
colère en organisant, à Alger, des
rassemblements de protestation pour pousser les
pouvoirs publics à surseoir à leur
décision d’expulsion. Lors d’un
rassemblement organisé le 30 octobre par
les retraités de l’éducation au
siège de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd
a failli être lynché par les
protestataires, échaudés par
l’immobilisme et l’inertie de la centrale
syndicale face au calvaire qu’ils vivent au
quotidien, depuis que cette épée de
Damoclès est suspendue au dessus de leur
tête.
«Nous
vivons comme des mendiants»
«Nous vivons comme des
mendiants. Avec cette inflation, on est
obligés de contracter un crédit
auprès du commerçant du quartier ou
d’emprunter de l’argent pour survivre. Pourtant,
on a droit à notre part du gâteau. On
se demande à juste titre où va
l’argent du pétrole», s’interroge Da
Belgacem, retraité de Sonatrach et ancien
militant de la Fédération de France.
Ce dernier indique qu’après sa retraite,
pensant qu’il allait enfin se reposer, il a
dû reprendre un autre travail chez le
privé pour assurer le financement des
études de son fils inscrit en
première année de médecine.
Sinon, il lui était impossible de le faire
avec sa modeste pension et subvenir en même
temps aux besoins de sa famille.
Plus de 546 000 retraités touchent moins de
15 000 DA. Cette pension de misère permet,
selon les retraités que nous avons pu
interroger, de se nourrir uniquement de pain et de
lait et à peine de s’acquitter des factures
d’électricité et d’eau. Une vraie
misère ! «Vous parlez de dessert,
c’est devenu un luxe que je ne peux pas me
permettre. J’en achète rarement. Quant
à la viande, on la consomme sur
prescription médicale. Uniquement sur
ordonnance !», se désole-t-il.
«Nous avons pris en charge le pays au
lendemain de l’indépendance, après
le départ des coopérants
français, qui ont tout abandonné et
tout laissé en jachère. Nous avons
relevé le défi. Aujourd’hui que nos
cheveux ont blanchi, notre labeur nous a
été confisqué sur l’autel de
l’incompétence et de l’impéritie de
nos gouvernants», tempête Ahmed
C., ancien cadre à la CNAS. Le mouton de
l’Aïd ? «On en parle juste pour
discuter. Personnellement, c’est mon fils qui m’a
donné de l’argent, par respect envers moi,
pour acheter un mouton afin de passer l’Aïd
ensemble. Sinon, il me serait impossible
d’accomplir le rituel du sacrifice»,
explique Ali R., retraité de l’inspection
du travail. Et dire que l’Algérie dort sur
un confortable matelas de milliards d’euros !
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