La Chine bientôt à court de travailleurs
Par Mathieu Perreault, Cyberpresse.ca
6 juillet 2011
Chine
Le
vieillissement de la population chinoise commence à prendre de
l'ampleur et les nombreux analystes doutent de la capacité du
pays à pouvoir offrir un système de retraites et de soins
qui seront réclamés par ses habitants.
Photo Reuters
La
population de la Chine a augmenté deux fois moins vite dans la
dernière décennie que dans les années 90. Cela
signifie que le bassin de travailleurs commencera à
décliner dès 2015. Ces données du dernier
recensement chinois, dévoilées ce printemps, ont
relancé le débat sur la capacité de l'empire du
Milieu de supplanter les États-Unis sur les plans
stratégique et économique.
«La population en Chine a vieilli plus rapidement que dans
n'importe quel pays du monde», explique Nick Eberstadt,
économiste et démographe de l'American Enterprise
Institute, qui s'intéresse depuis 10 ans à la
démographie chinoise. «Le Japon, la Corée du Sud et
les États-Unis étaient trois fois plus riches quand ils
ont atteint une proportion semblable de personnes âgées.
Ça pose un problème de liquidités pour soutenir
les personnes qui ne parviennent plus à travailler. Et comme la
croissance chinoise est au moins au quart dû à
l'augmentation phénoménale du nombre de jeunes
travailleurs, on peut s'attendre à ce qu'elle diminue à
partir des années 2030 ou même 2020.»
Une croissance de 8%
Au bureau de la banque suisse UBS à Hong Kong, l'analyste Wang
Tao confirme que la fin du «dividende démographique»
(l'arrivée de nombreux travailleurs qui n'ont pas eu à
s'occuper de plusieurs enfants à cause de la politique de
l'enfant unique) va affaiblir la croissance. «La croissance va
passer de 10% à 8%, peut-être même 6% ou 7% d'ici
à la fin de la décennie, dit Mme Tao, et elle va
continuer à décliner par la suite.»
L'opinion de Mme Tao est importante parce que son
prédécesseur à l'UBS, Jonathan Anderson, a
été l'un des principaux opposants à la
thèse de l'affaiblissement relatif de la Chine au XXIe
siècle. Selon l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, publié
à Canton, le récent recensement chinois laisse entrevoir
que la population atteindra 1,4 milliard d'habitants en 2020,
après quoi elle commencera à décliner lentement.
Elle s'élèverait donc à 750 millions de Chinois en
2100 au lieu des 4 milliards que l'on projetait au milieu des
années 70, ce qui avait mené à la politique de
l'enfant unique.
«Pour savoir ce qui attend la Chine, regardez le Japon»,
dit Jong Cai, démographe de l'Université de
Caroline-du-Nord, qui a écrit plusieurs études sur le
sujet. «Il n'y a presque pas de croissance depuis 20 ans. On n'en
est pas encore là parce que la Chine a le luxe de ne pas
investir beaucoup dans les services aux personnes âgées.
Mais le modèle économique est basé sur le travail
acharné des jeunes. Je ne crois pas qu'on réussira
à les remplacer par des travailleurs plus âgés de
l'intérieur de la Chine. Aux États-Unis, même si le
taux de chômage est élevé, il y a toujours des
Mexicains qui viennent travailler aux champs. Les Américains
préfèrent être au chômage plutôt que de
prendre ces emplois mal payés. On a en Chine un alignement
structurel similaire: les entreprises ont besoin de jeunes qui
acceptent d'être sous-payés, pas de vieux moins instruits
et incapables de faire des journées de 15 heures à
l'usine.»
Le retrait de la politique de l'enfant unique peut-il renverser la
vapeur? «Dans certaines provinces, on a donné à
certains couples la possibilité d'avoir plus d'enfants, mais le
taux de fertilité n'a presque pas bougé, dit M.
Eberstadt. Dans les villes, les femmes n'ont qu'un enfant, en moyenne.
Comme la Chine s'urbanise à un rythme effréné, la
fertilité continuerait à baisser même sans la
politique de l'enfant unique.» En 2010, le taux de
fertilité en Chine était de 1,2 enfant par femme. Les
démographes estiment qu'il est au maximum de 1,4 à 1,6 si
on tient compte des enfants non déclarés à cause
des pénalités auxquelles s'exposent les couples qui en
ont plus d'un, selon M. Eberstadt.
Au rythme actuel, le PNB de la Chine pourrait dépasser celui des
États-Unis dès 2025. Mais si les prévisions de Mme
Tao s'avèrent, cela pourrait ne se produire qu'en 2040 au plus
tôt. «On entend souvent dire que le XXIe siècle sera
chinois, dit Matt Gerken, spécialiste de la Chine au groupe de
consultation stratégique américain Stratfor, mais on voit
déjà de l'agitation sociale à cause des
changements démographiques. Les salaires montent en
flèche. Si la Chine ne parvient pas à réorienter
son activité économique vers la demande
intérieure, notamment dans les services, la croissance sera bien
insuffisante pour répondre aux aspirations des plus jeunes et
payer les retraites des plus vieux. Les investissements militaires vont
plafonner, et les inquiétudes vont s'avérer ridicules. Et
contrairement au Japon, où l'agitation due à la
stagnation est minime, la Chine n'est pas un pays homogène
où les gens sont solidaires. Les tensions ethniques et
régionales seront importantes.»
Dette publique
sous-estimée
À l'appui de sa thèse, Matt Gerken cite certains
économistes comme Victor Shih, de l'Université
Northwestern à Chicago, qui avance que la dette publique
chinoise est quatre ou cinq fois plus élevée que
l'évaluation du Fonds monétaire international - elle
frise les 100% du PNB, parce que des milliers d'entités
municipales sont omises du calcul. «Et ça ne tient pas
compte du sous-financement des retraites, qui est abyssal
comparé aux pays occidentaux, dit M. Gerken. Les jeunes ne
contribuent pas au régime public parce qu'ils ne croient pas
qu'il restera de l'argent dans la caisse quand ils seront vieux. La
seule manière dont la Chine peut s'en sortir, c'est de confiner
les vieux à la misère. Les jeunes s'enrichiront, mais les
vieux resteront pauvres. Leur seul espoir sera de s'occuper de leur
unique petit-enfant à la campagne pendant que ses parents
travaillent en ville, et d'être dédommagés pour le
gardiennage.»
L'économiste Wang Tao est plus optimiste: elle estime que le
réservoir de main-d'oeuvre agricole prendra le relais des jeunes
travailleurs. La dette chinoise, selon elle, n'est qu'à 60% du
PNB. «Le modèle économique actuel est le
résultat d'un extrême surplus de main-d'oeuvre, dit-elle.
Cet extrême n'est pas essentiel pour la croissance à long
terme du pays. On voit déjà proliférer des
industries lourdes à l'intérieur, là où la
population active est sous-utilisée.»
Chine
Population totale en 2010: 1,3 milliard d'habitants
Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2010: 16%
Plus de 65 ans en 2010: 9%
Population totale en 2030: 1,2 milliard
Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2030: 8%
Plus de 65 ans en 2030: 18%
États-Unis
Population totale en 2010: 309 millions d'habitants
Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2010: 10%
Plus de 65 ans en 2010: 13%
Population totale en 2030: 365 millions
Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2030: 13%
Plus de 65 ans en 2030: 20%
SOURCES: BBC, ONU, The Economist, USCB, AEI
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