L’impossible retraite russe
Le Nouvel Observateur
27 Février
2012
Russie
Vestiaires,
cantonniers, vendeurs ambulants, nounous... Il est
très fréquent que les
retraités russes exercent un petit boulot
pour arrondir leurs fins de mois. Avec une pension
mensuelle moyenne inférieure à 200
euros (7.700 roubles), difficile de boucler un
budget.
Ludmila, 65 ans, en témoigne. Il y a tout
juste dix ans, lors de sa retraite, elle a
troqué sa place de secrétaire contre
le poste de garde-robe dans une école, 40
heures par semaine. Voilà 50 ans qu’elle a
posé ses valises dans la banlieue est de
Moscou, au 3ème étage d’une
"Khrouchtchevka", bâtiment typique de
l’époque Khrouchtchev. Un appartement de 39
m² "vieux et usé" qu’elle partage avec
enfants et petits-enfants.
Avec 12.000 roubles de pension (290 euros),
impossible de payer médicaments, charges de
l’appartement, cours particuliers pour le petit
dernier, nourriture pour six animaux, et
dépenses quotidiennes pour cinq personnes.
Les 15.000 roubles de son salaire (365 euros) lui
sont vitaux.
Celle que l’on surnomme désormais "Babulya"
("mamie") à l’école, a
commencé à 18 ans dans une usine et
voudrait maintenant s’arrêter, s’occuper de
la maison. Quand ? Elle ne sait pas. Dans son
établissement, sept employés sur 35
sont pensionnaires. La plus vieille a 73 ans.
Une
exception russe
"65 ans là-bas, c’est comme 85 ici ! Mais
il existe une véritable exception russe, la
population supporte beaucoup de choses", analyse
Hélène Blanc, chercheur au CNRS et
spécialiste du monde slave.
Anatoly, lui, ne se plaint de rien. Chemise
à carreaux, petites lunettes carrées
et cheveux bien peignés, il fait partie
d’une frange plutôt aisée de la
population. À 72 ans, il n’a jamais
lâché son stylo, plutôt par
choix que par nécessité. Ce
rédacteur dans une maison d’édition
explique que "comme un mathématicien ou un
musicien, travailler est ma raison de vivre". Mais
Anatoly avoue que le côté financier
compte aussi, son salaire étant trois fois
supérieur à sa pension.
D’autres retraités moins aisés
vendent des cartes postales à deux pas de
la Place Rouge, en plein cœur de Moscou. Si aucun
ne déplore le froid ambiant, certains,
favorables à l’actuel gouvernement, disent
travailler "par plaisir, pour ne pas s’ennuyer",
alors que d’autres moins enthousiastes aimeraient
prendre leur "vraie retraite" rapidement.
Les raisons qui poussent les retraités
à poursuivre une activité semblent
être variées, mais toutes convergent
vers l’aspect financier. D’ailleurs, pour ne pas
perdre les faveurs des plus âgés qui
avaient manifesté en masse en 2005, cela
fait trois ans que le gouvernement augmente
sensiblement le montant des pensions, qui
devraient être indexées deux fois
encore en 2012.
Des mesures politiques plus qu’économiques,
car le niveau de vie des retraités reste
très bas. "La pension est insuffisante
d’autant que, contrairement à
l’époque soviétique, tout est
payant", explique Hélène Blanc.
39 millions
de retraités
Alors que le pays compte 39 millions de
retraités, soit plus de 27% de la
population, il est question depuis plusieurs
années de repousser l’âge de
départ à la retraite, actuellement
de 55 ans pour les femmes et de 60 ans pour les
hommes.
Mais en pleine campagne présidentielle,
l’actuel premier ministre Vladimir Poutine
réaffirmait dans un discours, fin 2011, que
cette réforme n’était pas au
programme. Certains experts, qui pointent un
déséquilibre budgétaire
né de dépenses en hausse et de
recettes fixes, l’estiment inévitable dans
un avenir proche.
Reste à savoir si cette mutation du
système de retraite russe conduira à
l’enrayement du phénomène des
"retraités-travailleurs". Un
phénomène d’autant plus
déplorable que l’espérance de vie
est seulement de 64 ans pour les hommes et de 75
ans pour les femmes.
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