Faut-il revenir sur la
réforme des retraites
L’Express
19 Mars 2012
France
Olivier Ferrand,
président de Terra Nova
Le principe de la réforme de 2010 n'est pas
en cause. La refonte du système
était nécessaire. Mais elle est
insuffisante, au plan financier autant que
sociétal.
Revenir sur cette réforme est d'abord une
nécessité financière. Car la
pérennité à long terme du
système de retraite n'est pas
assurée : la réforme permettra de
dégager 20 milliards d'euros en 2020, alors
qu'il faudra en trouver le double d'ici à
2040. Ensuite, la réforme de 2010 est
insuffisante. Elle est consacrée
exclusivement aux enjeux financiers - la
réforme "paramétrique". Elle n'a pas
traité les éléments
"systémiques". Or l'architecture du
système de retraite présente des
défaillances majeures. Illisibilité
- les assurés ont le plus grand mal
à connaître leurs droits, y compris
en fin de carrière professionnelle,
lorsqu'ils commencent légitimement à
s'y intéresser ; inégalités
entre retraités, notamment entre les 38
régimes qui coexistent ; difficultés
des polypensionnés ; différences
entre hommes et femmes (la retraite moyenne d'un
homme est de 1 531 euros par mois, contre 1 011
pour une femme) ; inégalités
sociales (faiblesse du Fonds de solidarité
vieillesse au profit des "petites retraites") ;
pénibilité... Surtout, le
système actuel ne répond pas aux
demandes sociales contemporaines de liberté
de choix individuel. C'est aujourd'hui l'Etat qui
fixe des règles identiques pour tous :
l'âge de départ à la retraite,
la durée et le taux de cotisation. Or les
assurés veulent décider
eux-mêmes des paramètres de leur
retraite. Enfin, la réforme de 2010 est
injuste. Elle porte principalement sur une mesure
: le report de l'âge légal de
départ à la retraite de 60 à
62 ans.
Une
réforme qui ne pèse que sur les
plus modestes
Mais qui sont les Français
réellement concernés par ce
couperet? Ceux qui pouvaient jusqu'ici partir
à 60 ans, et qui devront désormais
attendre jusqu'à 62. Comme il faut aussi
avoir cotisé quarante et une
annuités pour partir à taux plein,
il s'agit des Français qui ont
commencé à travailler tôt -
18, 20 ans - et qui devront travailler plus
longtemps que les autres - quarante-deux,
quarante-trois, voire quarante-quatre ans - pour
pouvoir partir à la retraite. En pratique,
il s'agit des personnes non
diplômées, aux carrières les
plus modestes et souvent les plus pénibles.
A l'inverse, pour ceux qui ont fait des
études supérieures et qui ont
commencé à travailler vers 23 ans,
l'âge de départ à la retraite
était déjà de 64 ans avant la
réforme. Ceux-là ne paient donc pas
1 euro des 20 milliards de la réforme. Le
gouvernement qui sortira des urnes en mai prochain
devra donc revenir sur ce dossier. C'est un enjeu
majeur de justice et de cohésion sociale.
Willy Pelletier,
directeur de la Fondation Copernic
Les libéraux assènent qu'il est
impensable de redonner à tous le droit
à la retraite à 60 ans (à
taux plein). Si l'on accepte leurs choix, sans
doute. Mais à cette seule condition. Car
des recettes nouvelles pour financer les
déficits peuvent être rapidement
trouvées.
D'abord, en soumettant des
rémunérations actuellement
exemptées (intéressement,
participations, stock-options et dividendes)
à cotisations sociales. La
répartition des revenus, depuis un quart de
siècle, a tourné à l'avantage
des actionnaires et des très hauts
salaires. Une simple application du taux de
cotisation patronale aux dividendes
distribués comblerait immédiatement
tout le déficit actuel de la Caisse
nationale d'assurance-vieillesse. L'argument de la
perte de compétitivité est
fallacieux, puisqu'il s'agirait de n'amputer que
les dividendes nets reçus par les
actionnaires, et non les capacités
d'investissement des entreprises. Cela ne
renchérirait pas les coûts de
production.
Trouver de
nouveaux cotisants pour accroître les
recettes
Ensuite, pourquoi ne pas utiliser le Fonds de
réserve des retraites, fonds de
capitalisation créé par le
gouvernement Jospin pour lisser les besoins de
financement dus aux évolutions
démographiques ? En 2008, avec la crise
financière, il a perdu près de 25 %
de sa valeur. Ses actifs dépassaient les 33
milliards en 2009. Le liquider progressivement
pour combler le déficit conjoncturel
dû à la crise serait de bon sens.
Enfin, on peut aussi trouver de nouveaux
cotisants. Le scénario sur lequel fut
élaborée la réforme fait
l'hypothèse d'un taux d'activité des
femmes inférieur de plus de 10 points
à celui des hommes. En France, un taux
d'emploi à temps complet des femmes
rejoignant celui des hommes ramènerait le
ratio actifs employés/personnes hors emploi
à son niveau du début des
années 70. Nul ne parlait alors de "charge
trop lourde pesant sur les actifs". Il n'y a donc
pas de fatalité démographique.
Dans son scénario le plus
défavorable, le Conseil d'orientation des
retraites indique qu'il faudrait trouver
l'équivalent de 3 points de PIB à
l'horizon 2050 pour équilibrer les
régimes de retraite, ce qui correspondrait
à une augmentation de cotisations de 0,26
point par an. Personne ne peut sérieusement
affirmer qu'une telle augmentation mettrait
l'économie française en danger.
Agnès
Verdier-Molinié, directrice de l'Institut
français pour la recherche sur les
administrations publiques (Ifrap)
Au terme du plan actuel de la réforme, en
2018, le régime général sera
encore en déficit de 5 à 10
milliards d'euros, suivant le niveau de l'emploi.
Pour les trois fonctions publiques, le gouffre
devrait avoisiner 10 à 15 milliards
d'euros. A partir de 2019, les comptes de tous les
régimes de retraite se dégraderont
à nouveau.
Les quatre dernières réformes ont
certes permis de réduire les
déficits des différentes caisses de
retraite, qui atteignaient 32 milliards d'euros en
2010 pour un total de 279 milliards d'euros de
cotisations versées. Mais le remboursement
de la dette transférée à la
Caisse d'amortissement de la dette sociale et le
retour à l'équilibre prévu
pour 2018 supposent un ensemble de conditions qui
ne sont pas réunies : ni la croissance, ni
l'emploi, ni le niveau des taux
d'intérêt ne sont conformes au plan
prévu.
Supprimer les
différences entre les secteurs public et
privé
Avec ses 35 régimes de retraite
obligatoires, notre système est
incompréhensible et injuste. Le
régime des salariés du privé
comporte déjà trois niveaux (Cnav,
Arrco et Agirc), pour lesquels les principes,
l'assiette des cotisations, les méthodes de
calcul de la retraite, sont complètement
différents. La Cnav se fonde sur les
salaires des vingt-cinq "meilleures" années
réévalués, quand
l'Arrco-Agirc prend en compte la totalité
de la carrière. Pour les fonctionnaires, la
retraite est calculée sur les revenus des
seuls six derniers mois. Le régime des
non-titulaires de la fonction publique est
assuré par la Cnav et par une caisse
complémentaire, l'Ircantec. Pour compliquer
la situation, de très nombreux
Français ont cotisé à
plusieurs régimes, ce qui les fait
dépendre de différentes caisses de
retraite.
Les réformes ont certes rapproché
les régimes, mais il reste de grandes
différences entre les secteurs public et
privé. Le niveau des garanties, le
problème du salaire de
référence ou celui de la
réversion automatique au conjoint survivant
sont autant de points de friction.
Il faut donc une réforme nettement plus
profonde, qui accouche d'un système
équitable et durablement
équilibré. La création d'un
système de retraite universel regroupant
tous les régimes (la Cnav et les retraites
complémentaires), avec un retour progressif
de l'âge de la retraite à 65 ans
entre 2017 et 2029 et quarante-cinq années
de cotisation, semble inéluctable. De
même qu'il sera inévitable aussi de
consacrer 10 % des cotisations à un
système par capitalisation.
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