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George Bush Insiste pour Réformer le Système des Retraites


Par Eric Leser, Le Monde

Le 3 Février 2005

 

 


New York de notre correspondant

Le président George Bush a consacré, mercredi 2 février, une partie importante de son discours sur l'Etat de l'Union à la réforme du système des retraites américain. S'il a tenu à rassurer les plus de 55 ans pour qui "le système ne changera pas", il a insisté sur le fait que des mesures urgentes s'imposaient pour les assurés plus jeunes. 

La bataille pour la privatisation partielle du système s'annonce féroce. L'enjeu pour l'administration est considérable. Si elle échoue, la "société de propriétaires" (ownership society) chère à George Bush restera un slogan de campagne. Le combat est avant tout idéologique. Réussir la révolution conservatrice, cela signifie défaire l'Etat providence, l'héritage de Franklin Roosevelt et du New Deal des années 1930.

"Pour la première fois depuis six décennies, nous avons l'opportunité de gagner la bataille sur les retraites", écrivait Peter Wehner, directeur des initiatives stratégiques de la Maison Blanche dans une lettre adressée aux républicains début janvier. Ces derniers n'ont jamais été aussi puissants après une réélection depuis 1924, mais là réside paradoxalement leur faiblesse. Les élus républicains n'ont manifestement pas envie de prendre des risques pour une réforme financièrement dangereuse et impopulaire. Ils ont déjà en tête les élections de la mi-mandat en 2006. C'est pour convaincre son propre camp que George Bush risque d'avoir le plus de problèmes.

Du coup, le chef de cabinet de la Maison Blanche, Andrew Card, le très redouté conseiller Karl Rove et le président du Parti républicain Ken Mehlman se démènent depuis plusieurs semaines pour convaincre. Mais les sceptiques ne rentrent pas dans le rang. Même à l'occasion d'une visite à la Maison Blanche, le sénateur républicain Olympia Snowe de la commission des finances a fait part, en public, de son opposition à toute réforme qui réduirait les prestations de retraite. Les républicains comptent 55 sénateurs sur 100. Pour éviter une "flibuste parlementaire" permettant à l'opposition d'empêcher l'adoption d'un texte, ils doivent obtenir une majorité de 60 voix et donc rallier quelques démocrates. Cela devient impossible, si dans le même temps, ils perdent des soutiens dans leurs propres rangs.

"Il est clair que le président sollicite des appuis, reconnaissant que c'est un sujet sensible. J'ai toujours dit à mes collègues que les pères fondateurs de cette nation ont eu une grande idée, elle a pour nom contre-pouvoirs", explique Mme Snowe. La Maison Blanche considère, en outre, qu'elle n'a pas beaucoup de temps. Si la réforme n'est pas adoptée cette année, elle ne le sera jamais. Mais plusieurs parlementaires républicains veulent au contraire éviter toute précipitation. A l'image du sénateur John Warner : "compte tenu de l'enjeu, il faut prendre son temps. Il le faut, il le faut vraiment".

En face, les démocrates sont galvanisés par le sentiment de pouvoir remporter une victoire et sont déterminés à empêcher le démantèlement d'une institution vieille de soixante-dix ans. Ils ont le soutien des syndicats comme l'AFL-CIO et surtout, ce qui pourrait se révéler décisif, du tout puissant lobby des retraités, l'American Association of Retired Persons (AARP, Association américaine des retraités). Il compte plus de 35 millions de membres. Aux Etats-Unis, il n'y a que l'Eglise catholique à en avoir plus.

AUCUNE URGENCE

Fondée en 1958, l'AARP emploie aujourd'hui 2 000 personnes dont 20 lobbyistes à plein temps à Washington. Son budget était supérieur à 650 millions de dollars en 2004. Elle a d'autant plus d'influence que les citoyens de plus de 50 ans votent nettement plus que les autres, deux tiers d'entre eux sont inscrits sur les listes électorales. Les hommes et les femmes de plus de 50 ans détiennent 77 % des actifs financiers, représentent 66 % des actionnaires américains, possèdent 80 % de l'argent placé dans les caisses d'épargne et achètent la moitié des voitures neuves. Le soutien de l'AARP a été décisif pour faire passer en 2003 la réforme de l'assurance-santé permettant le remboursement des soins à toutes les personnes âgées de 65 ans de plus (Medicare). De fait, quand William Novelli, le président de l'AARP, parle, les membres du Congrès écoutent. "Nous sommes totalement opposés à l'idée de créer des comptes privés à partir des prélèvements pour les retraites, dit-il. Je ne pense pas que le système des retraites soit face à une crise majeure. Il n'est pas nécessaire de créer, pour un coût considérable, ces comptes privés. Nous pouvons remettre le système en état sans le démanteler."

Le gouvernement a d'autant plus de mal à convaincre que si les spécialistes sont presque tous d'accord sur le fait qu'il n'y a aucune urgence, l'évolution démographique devient défavorable. En 1960, le rapport était de cinq salariés qui cotisaient pour un retraité. Aujourd'hui, il y en a un peu plus de trois et dans trente ans il y en aura seulement deux. Les retraites par répartition sont financées par un prélèvement de 12,4 % sur les salaires payés à parts égales par l'employé et l'employeur. Le système commencera à verser des sommes supérieures à ses ressources en 2018. Pour payer les pensions, il sera alors contraint de puiser dans les excédents accumulés depuis des décennies. Mais cela le conduira à se trouver théoriquement en cessation de paiement en 2042 ou en 2052 seulement selon des calculs différents. Jusque-là, il sera capable de payer la totalité des retraites et il suffirait de faire passer les cotisations de 12,4 % à 13,9 % des salaires pour garantir la pérennité du système pendant soixante-quinze ans. C'est ce que souligne l'AARP dans de nombreuses publicités contre la réforme. L'association a déjà dépensé 5 millions de dollars lors des dernières semaines. William Novelli précise que "ce n'est qu'un début".

L'Etat devrait recourir à des emprunts massifs

Permettre aux jeunes salariés de détourner une partie de leur cotisation au système de retraite par répartition sur des comptes privés coûtera cher. Cela obligera, pendant une période de transition de plusieurs années, l'Etat fédéral à emprunter massivement pour permettre au système de continuer à verser tous les mois une pension à 47 millions de personnes. Jusqu'en 2018, la "Social Security" (assurance-retraite) devrait dégager des surplus : 68 milliards de dollars en 2004. Ils sont placés dans le "Social Security Trust Fund" et convertis en bons du Trésor. Retirer 4 points, comme l'a proposé George Bush, des 12,4 % des salaires qui sont prélevés pour payer les retraites contraindrait l'Etat fédéral à emprunter entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars sur les marchés financiers. Cela représente l'équivalent, sur plusieurs années, de 9,5 % à 19 % du produit intérieur brut américain (PIB). Au moment où le déficit budgétaire approche déjà les 4 % du PIB et la dette de l'Etat fédéral 4 300 milliards de dollars entraînant une perte de confiance planétaire dans le dollar, la période semble particulièrement mal choisie. - (Corresp.)



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