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Euthanasie : entre crime et compassionBy: Jacques Attali
Premier pays au monde à légaliser ainsi l'euthanasie, les Pays-Bas la pratiquent depuis des années sur plus de 4 000 personnes par an. D'autres (le Danemark, la Suède, l'Ecosse, l'Allemagne, la Colombie) la tolèrent dans des cas très particuliers, sans pour autant la légaliser. Partout ailleurs, et en particulier en France, elle est considérée comme un homicide. Cependant, dans ce domaine comme dans tant d'autres, les frontières n'existent plus et va se développer ce qu'on appelle déjà un «tourisme de l'euthanasie», qui permettra à des gens du monde entier de bénéficier de la loi néerlandaise. On ne peut donc pas considérer que ce qui s'y passe ne nous concerne pas. Et, de fait, une telle loi laisse beaucoup de questions sans réponse et pourrait même, si elle n'était pas considérée comme l'ultime recours, conduire à des désastres. D'abord, on pourrait en venir à considérer que la dépression est une «maladie incurable», provoquant une «souffrance insupportable», et appliquer la loi en particulier à des «vieux fatigués de la vie de vieux», comme se nommait récemment lui-même le patient d'un médecin néerlandais. Ensuite, on pourrait être tenté de l'appliquer à des malades en situation de souffrance extrême plutôt que de leur fournir les pompes à morphine qui calmeraient leurs douleurs (il en manque au moins 6 000 dans les hôpitaux français); et plus généralement à des malades requérant des traitements indisponibles parce que trop coûteux. La loi prévoit en effet qu'il faut qu' «aucune autre solution acceptable n'existe», mais elle n'exige pas que tous les malades néerlandais aient accès à toutes les thérapies disponibles dans le monde. L'euthanasie deviendrait alors une médecine des pauvres et cette loi deviendrait un prétexte pour réduire les dépenses de soins palliatifs et les traitements aux malades considérés comme incurables, qui représentent, dans certains pays, plus du tiers des dépenses de santé. Cela pourrait même conduire à ne plus rechercher de traitements dont l'euthanasie permettrait d'éviter de ressentir le besoin. On pourrait encore en venir à organiser une euthanasie économique a priori, en calculant à l'avance la quantité moyenne de soins à laquelle chacun aurait droit pendant sa vie; avant que les progrès de la génétique ne permettent de prévoir à la naissance le destin pathologique de chacun et de ne laisser naître que ceux dont la vie et la mort ne seraient pas trop coûteuses. Il ne faudrait pas laisser la loi, dans tout domaine, organiser le remplacement de réformes de fond, longues et onéreuses, par des solutions moins chères car expéditives. Et ne la tolérer qu'en respectant le principe de l'ultime recours: c'est-à-dire seulement quand la preuve aura été apportée par la collectivité que tout a été fait pour ne pas avoir à la mettre en oeuvre.
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