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Quand
Bush se déguise en social-démocrate George
W. Bush a apposé le 8 décembre 2003 sa signature au bas d'une loi
complexe (plus de 400 pages) qui réforme l'assurance-maladie de toutes
les personnes âgées et des handicapés aux Etats-Unis. Ce texte représente
le changement le plus profond du programme Medicare depuis sa mise en œuvre,
en 1965. Si le jour de la signature de cette nouvelle loi a été salué
par le président comme "un jour historique pour les seniors américains",
la loi est sévèrement critiquée par les leaders du Parti démocrate,
qui donna naissance à ce programme. Bush
est-il devenu un social-démocrate de fait ? On pourrait le croire : la
loi autorise enfin le remboursement des médicaments prescrits à tous les
Américains de 65 ans et plus, ainsi qu'à tous les handicapés. Medicare
se compose de deux éléments. Le premier (partie A) couvre la plupart des
dépenses hospitalières et est financé par une taxe de 1,45 % sur tous
les salaires bruts. Le second (partie B) finance pour l'essentiel les
honoraires médicaux par l'impôt sur le revenu (75 % du financement
global) auquel s'ajoute une cotisation uniforme de toutes les personnes âgées
et des handicapés qui souhaitent en bénéficier (la plupart le font, du
fait de la part très importante financée par l'impôt). Le
financement des dépenses hospitalières était considéré en 1965 par
les démocrates comme un premier pas vers un système universel
d'assurance-maladie. Le remboursement des honoraires des médecins fut
ensuite ajouté par les républicains et les démocrates conservateurs
pour limiter une éventuelle extension du programme. Pendant presque
quarante années il n'y a eu aucune avancée significative et peu
d'extension du champ couvert par les remboursements de Medicare. Aucun des
deux grands partis ne voulait laisser l'autre bénéficier d'une éventuelle
extension : les personnes âgées pèsent lourd dans l'électorat. Le
barrage est rompu désormais, mais la législation qui se met en place va
conduire à de grandes désillusions et à d'importants conflits
politiques. Au
printemps 2003, républicains et démocrates décidèrent que l'immobilité
serait une importante arme électorale pour les élections parlementaires
et présidentielle de 2004. Ils étaient donc disposés à abandonner
certains éléments cruciaux de leurs positions politiques traditionnelles.
Les démocrates se sont contentés de la moitié du budget sur lequel ils
comptaient pour financer leur généreuse assurance-maladie des personnes
âgées. Les républicains ont provisoirement ignoré leur principe selon
lequel l'aide de l'Etat ne doit aller qu'aux pauvres et accepté une forme
d'assurance-maladie qu'ils critiquent en général. Ils abandonnent aussi
l'idée qui consiste à n'aider que ceux des actuels bénéficiaires de
Medicare qui confient la gestion de leur assurance-maladie à des
entreprises, certes subventionnées, mais privées ! Le
résultat de ces compromis est une législation complexe, dont deux des
aspects sont particulièrement inquiétants. Certes, elle permet aux
affiliés de Medicare de se faire rembourser certains médicaments par une
assurance financée par l'Etat, mais gérée par des fonds privés. Généreuse
à l'égard des personnes âgées les plus pauvres, cette loi aura
toutefois pour conséquence d'accroître le paiement direct des frais de médicaments
pour certaines d'entre elles. Là est le début de la générosité
illusoire de cette "réforme". Comme
l'accès aux médicaments est mal conçu et ne contient aucune mesure de
contrôle des dépenses pharmaceutiques, le plan améliorera un peu la
situation du plus grand nombre, mais sera pire pour certains : les pas
tout à fait pauvres, ceux qui sont juste au-dessus du seuil de pauvreté. Second
point noir de cette nouvelle loi, le plus grave : elle renferme de
nombreux articles qui ont peu ou rien à voir avec le remboursement des médicaments
et tout avec la demande de certains lobbies et l'hostilité des idéologues
conservateurs à l'égard des principes sociaux de Medicare. Il y a tout
d'abord de très importantes subventions à l'égard des assureurs privés
et une interdiction qui fait disparaître la plus grande crainte de
l'industrie pharmaceutique : que Medicare utilise sa puissance d'achat
pour peser sur le prix des médicaments. De
manière plus perfide, cette loi détruit le côté universel de Medicare
: certaines incitations vont conduire une partie des bénéficiaires
actuels à quitter Medicare pour s'inscrire à des assurances privées. En
outre, les mécanismes de limitation des dépenses pourraient conduire à
ce que la croissance des coûts ne se porte que sur les bénéficiaires. Certes,
la politique est l'art du compromis, mais, ce qui est honteux dans ce cas,
c'est l'importance des concessions faites à des valeurs ou à des intérêts
privés au nom d'un objectif affiché louable : permettre le remboursement
des médicaments des personnes âgées et des handicapés. Les
400 milliards prévus financeront au mieux la moitié des dépenses de médicaments,
car - réalité mal connue en France - le coût de gestion des assurances
privées est 5 à 6 fois plus élevé que celui du programme fédéral. De
plus, l'interdiction de négocier les prix de l'industrie pharmaceutique
empêche de réduire les prix des médicaments de 25 % à 30 %. Pour
citer une dernière limite de cette longue loi, en réalité aussi maigre
que tordue, les premiers 250 dollars de dépenses de médicaments ne sont
pas remboursés (franchise), les dépenses sont remboursées entre 251 et
2 250 dollars, elles ne le sont plus du tout entre 2 251 et 5 100 dollars,
pour le redevenir partiellement au-delà de 5 100 dollars ! Si bien que
certains, encore couverts par leur entreprise quel que soit le montant des
dépenses, ne le seront plus, au nom de l'existence d'un programme fédéral. Les
premières enquêtes d'opinion montrent le scepticisme des Américains :
60 % d'entre eux désapprouvent ce qu'ils savent de cette loi. Plus ils la
connaissent, plus ils la critiquent. Bush,
qui souhaitait que Medicare ne soit pas évoqué durant la prochaine
campagne électorale, n'y parviendra pas. Il n'est pas devenu un social-démocrate
; il a tenté d'en endosser les habits. Ce n'était qu'une honteuse
diversion. Traduit
de l'anglais (Etats-Unis) par Jean de Kervasdoué. Theodore Marmor est professeur de gestion publique à la Yale School of Management (université Yale). Copyright © 2002
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