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Aujourd'hui,
il faut aider les riches By
Eric Le Boucher January 11, 2003 j'ai reçu, hier, une lettre d'un
ami, économiste américain qui travaille à Washington, que je vous livre : "Mais quand allez-vous finir par abandonner votre
vieille morale qui vous pousse à vous porter constamment au secours des
faibles, des blessés et des pauvres ? Non qu'il ne faille plus les
plaindre et leur accorder votre commisération ; cela vous regarde
personnellement. Mais la politique publique, elle, doit se défaire de ce
dispendieux penchant. Il est temps de réaliser que, dans l'économie
moderne, il faut s'y prendre tout autrement. Il faut aider les riches !
Oui, les riches ! Il faut que l'Etat les soutienne, leur accorde
attentions, faveurs et de considérables baisses d'impôts. Pensez efficacité,
pour une fois. Aujourd'hui, la classe capitaliste est celle qui investit,
qui innove, qui prend les risques et qui élève la croissance. Et cette
croissance plus forte, la société dans son ensemble en profite, y compris
les pauvres. Ils ont des miettes, dites-vous ? Soyez réaliste :
ce sont des miettes certes, personne ne le nie, mais ces miettes sont supérieures
à celles que reçoivent les pauvres des politiques d'aides que vous vous
acharnez à maintenir en Europe. A vouloir à tout prix s'occuper des plus nécessiteux,
on se prive d'une dynamique de croissance forte et l'on enfonce tout le
monde, y compris, finalement, les pauvres. L'EUROPE VÉGÈTE Regardez les Etats-Unis. L'adoption d'un capitalisme
"patrimonial" et les baisses d'impôts de Ronald Reagan ont engagé
une révolution conservatrice qui a provoqué un tournant historique dans la
distribution des richesses. Le recul des inégalités amorcé dans les années
1930 s'est arrêté, et les écarts sont repartis à la hausse. OK. Et alors ?
Le pays, menacé de toutes parts dans les années 1980, est devenu
aujourd'hui l'hyperpuissance qu'on sait. L'URSS marxiste est morte. Le Japon
planificateur est durablement dans les choux. L'Europe social-démocrate végète.
L'Amérique a créé des dizaines de millions de nouveaux emplois de qualité
et terrassé le chômage. Nous investissons des fortunes dans la recherche,
dominons toutes les technologies de pointe, monopolisons les meilleurs
artistes, sportifs et savants de la planète. Et la pauvreté ? J'y viens. Vous serez d'accord :
la meilleure façon de la faire reculer n'est pas de verser des subsides
mais de créer plus d'emplois et d'améliorer les salaires grâce à de
forts gains de productivité. Or c'est ce qui se passe aux Etats-Unis. Résultat :
la proportion des Américains vivant sous le seuil dit de pauvreté est
revenue de 15 % en 1990 à 12 % en 2001. Pour la première fois,
le chômage des Noirs est passé sous la barre des 10 %. Et la pauvreté
est un phénomène relatif : comme le notait l'économiste Daniel Cohen
dans vos colonnes, la richesse moyenne des Européens qui se rapprochait de
celle des Américains a été distancée depuis vingt ans. L'écart est
revenu de 10 % à 40 %. Autrement dit, il vaut largement mieux être
un Américain pas aidé qu'un Européen aidé... LE PLAN
BUSH Convaincu ? Vous feriez mieux de nous emboîter le
pas, car nous allons continuer. Le plan de soutien de "la croissance
et l'emploi"annoncé par George W. Bush cette semaine va nous
donner un nouvel avantage. Oh, je vous vois venir ! Vous allez me dire,
en référence aux calculs de l'Urban Institute, que 42 % des 647 milliards
de dollars sur dix ans du plan Bush vont aller au 1 % des Américains
les plus riches. Qu'un ménage qui gagne 1 million de dollars épargnera
32 000 dollars et qu'un autre, sans enfant, vivant avec 21 000 dollars
ne touchera que 47 dollars. Que la suppression totale de l'impôt sur
les dividendes, mesure-phare du plan, ne concerne pas M. Tout-le-Monde,
qui a mis son épargne dans un fonds de pension, mais va profiter aux très
gros actionnaires. OK. OK. Mais justement ! Le plan va conforter les
investisseurs, à un moment d'incertitudes après la baisse de la Bourse et
avec la guerre qui se profile. Il va encourager l'investissement et l'épargne
dont l'économie américaine, trop tournée vers la consommation, manque.
Bref, il redonne de l'élan et nous permettra de maintenir notre croissance
1,5 % au-dessus de la vôtre. Comprenez enfin : il faut valoriser
ceux qui vont de l'avant. Votre égalitarisme dépassé cause votre déclin. DÉMOCRATIE Je lui ai répondu ceci : "Je ne suis pas certain, à lire les réactions des
milieux concernés par le plan Bush, qu'il parvienne à son objectif de
soutien de la croissance. D'autres mesures, des aides plus directes aux
entreprises et aux épargnants, paraissaient meilleures. Mais on verra. J'en
viens au fond : les inégalités sont-elles, dans une économie tirée
essentiellement par l'innovation, facteur de dynamisme ? Est-ce la
raison pour laquelle l'Amérique distance l'Europe ? Cher Tom, le chômage
a été réduit autant sinon plus qu'aux Etats-Unis dans certains pays européens
comme la Suède ou les Pays-Bas, qui ne sont pas des modèles d'inégalités,
au contraire. Mais, j'en conviens, la croissance est supérieure de votre côté
de l'Atlantique, et votre regain de puissance rend difficile le rejet total
de votre argumentation. C'est d'ailleurs l'objet de toutes les réflexions
sur le "modèle européen" que d'essayer de marier, à notre façon,
égalité et dynamisme. Nous n'y sommes pas parvenus. Loin de là. C'est
vrai. Mais, de votre côté, l'avenir ne paraît pas si rose.
L'Amérique fabrique une nouvelle lutte des classes, de trois classes :
les pauvres, la classe moyenne et les super-riches. Le problème n'est pas
qu'il y ait des riches de plus en plus riches. Le neuf n'est pas qu'il y ait
des pauvres. Mais que la classe moyenne se déchire et que la majorité –
ceux qui par manque de formation ou d'assurance personnelle ont peur d'aller
de l'avant – rejette la compétition et les conditions précaires qu'on
leur impose. Vous tiendrez plus longtemps que nous par votre foi en l'avenir,
mais votre modèle est instable. Je parle de politique et de démocratie,
pas de morale." Eric Le Boucher Copyright ©
2002 Global Action on Aging
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