Les salariés devraient avoir le choix de faire valoir leurs droits à
la retraite sur une plage d'âge beaucoup plus large qu'aujourd'hui.
On aurait tort de croire, après l'échec de
l'ultimatum du Medef sur les retraites complémentaires, qu'il est...
urgent d'attendre. C'est bien dès maintenant qu'il faut se soucier
d'allonger la durée de carrière des salariés. Mais cela ne se fera pas
en augmentant simplement le nombre d'années de cotisations nécessaires
pour percevoir une pension à taux plein.
Ne nous y trompons pas. La génération d'après le baby-boom (celle
qui est née dans les années 60 et 70) a déjà intégré le fait qu'elle
devra travailler plus longtemps. Alors même qu'elle a galéré pour
rentrer sur le marché du travail, elle n'admettra pas que ses parents
partent en retraite, à ses frais, aussi tôt et dans d'aussi bonnes
conditions qu'aujourd'hui. Si l'on ne fait rien, les comportements
individualistes vont se multiplier parmi les jeunes salariés (avec la
capitalisation, chacun cotise pour soi-même...) et l'on va tout droit
vers un conflit de générations. Une réforme des retraites qui ne
toucherait pas la génération du baby-boom est politiquement intenable.
La vraie question ne porte donc pas sur le principe d'un allongement de
la durée de cotisations, mais sur ses modalités. Certes, nous croyons
aujourd'hui qu'il n'y a pas de place pour les salariés âgés sur le
marché du travail. Mais le postulat qui a fondé la culture de la préretraite
dans notre pays (un départ anticipé en retraite libère un emploi pour
un jeune) va bientôt perdre l'essentiel de sa légitimité. Avec le
vieillissement démographique, nous serons confrontés, dans les
prochaines années, à un problème d'emploi des vieux davantage que de chômage
des jeunes. Que les salariés restent actifs après 60 ans, c'est
possible.
Le pessimisme ambiant est amplifié par l'effet pervers des politiques
menées jusqu'à présent en France. Le problème a été abordé en se
situant toujours implicitement dans l'optique du maintien des salariés
seniors dans l'entreprise où ils travaillent, sans jamais évoquer l'idée
de leur mobilité. Or la comparaison internationale montre que la mobilité
en fin de carrière augmente les opportunités d'emploi. Dès lors que le
taux de chômage baisse, des entreprises trouvent intérêt à employer
des travailleurs âgés, sans que ces emplois soient subventionnés ni
qu'elles agissent dans un but philanthropique.
Pourtant les tentatives faites jusqu'ici en France pour repousser l'âge
effectif de cessation d'activité (largement en dessous de 60 ans en
moyenne, soit l'un des plus bas en Europe) ont toutes échoué parce que
les préretraites ont été et sont encore utilisées comme mode de
traitement soft des suppressions d'emploi liées aux grandes
restructurations industrielles. Ces restructurations ne sont pas terminées,
notamment dans le secteur banques-assurances, mais l'essentiel est derrière
nous. Par ailleurs s'est développée depuis 25 ans une coalition d'intérêts
entre entreprises et salariés pour reporter sur la collectivité le coût
financier des départs anticipés en retraite.
La majorité des salariés cherche à partir en retraite le plus tôt
possible, pour en finir avec le stress, la peur du chômage, la pression
à la performance. Ces attitudes sont profondément ancrées désormais et
l'on ne les changera pas par la contrainte. Si l'on retarde l'âge de la
retraite, il y a fort à parier que l'on verra un recours accru aux
prestations d'invalidité (comme aux Pays-Bas) ou, tout simplement, de chômage
sans véritable recherche d'emploi.
Ce que nous montre l'exemple de l'étranger, c'est que les pays où les
taux d'activité après 55 ans sont élevés sont des pays où il est
financièrement rentable de travailler longtemps. Si l'on veut que les
salariés restent plus longtemps en activité, il faut qu'ils en soient
justement récompensés. Cet objectif devrait inspirer la réforme des
retraites. Les régimes de base et complémentaires devraient offrir à
chacun la possibilité de choisir librement et en toute équité l'âge de
liquidation de ses droits à retraite. Ceci suppose que le montant de la
pension annuelle s'ajuste, en fonction de l'âge de départ, à celui des
droits accumulés.
Les salariés pourraient avoir le choix de liquider leurs droits à
retraite sur une plage d'âge beaucoup plus large, par exemple entre 50 et
70 ans. S'ils demandent leur retraite à 50 ans, ils toucheraient moins,
parce qu'ils auront moins de cotisations, mais aussi parce qu'ils
percevront cette retraite plus longtemps. Mais, s'ils décident de ne pas
le faire, le montant de leur retraite devrait en être augmenté, de façon
à ce que le système fonctionne de façon parfaitement équitable. Un
calcul simple montre que l'ordre de grandeur de cette récompense devrait
être non négligeable. Repousser sa retraite de 60 à 62 ans pourrait
ainsi rapporter un supplément de retraite de 13 % environ : 5 %
parce que l'on a accumulé 2 ans de cotisations supplémentaires (2/40 = 5
%) et 8 % parce que l'on a repoussé de 2 ans son départ (si l'on admet,
par exemple, que l'espérance de vie à 60 ans est de 25 ans, 2/25 = 8 %).
On devrait également être autorisé à percevoir un
revenu d'activité en complément de sa retraite : pouvoir cumuler
une retraite et un revenud'activité permettrait d'entamer une
deuxième carrière, peut-être moins rémunérée, mais aussi moins
stressante.
En lieu et place de la retraite, nous devrions ainsi
avoir deux types de prestations : une de seconde partie de vie, sur
le modèle décrit ci-dessus, et une d'assurance dépendance pour ceux qui
viennent à perdre, avec l'âge ou la maladie, leur autonomie dans la vie
quotidienne. Au moment où ils vont devoir s'engager dans un processus de
réforme, le gouvernement et les partenaires sociaux seraient avisés de
garder à l'esprit cette architecture du système de protection sociale.