Les groupes financiers allemands veulent profiter de la réforme des retraites 

By: Philippe Ricard
Le Monde, June 1, 2001


L'introduction d'une part de capitalisation individuelle dans le régime des pensions déclenche un foisonnement de nouveaux produits d'épargne. L'organisme public chargé de les homologuer n'est pas encore créé. Les associations de consommateurs s'inquiètent de cette précipitation. 

Mailing, brochures, contrats mirobolants : depuis quelques semaines, les Allemands ne savent plus où donner de la tête. La réforme des retraites, votée le 11mai, a déclenché une avalanche de propositions de la part des milieux financiers. Assureurs, banquiers, gestionnaires d'actifs, tous montent au créneau pour garantir une retraite "en or" aux salariés. Des promesses très intéressées: pour les professionnels, il s'agit de prendre leur part du gâteau dès l'entrée en vigueur, en janvier 2002, d'une loi qualifiée d'"historique" par le chancelier Gerhard Schröder. Grande première: le texte introduit une dose de capitalisation individuelle, afin de conforter le système classique des retraites par répartition. L'Etat s'engage même à soutenir financièrement les efforts d'épargne retraite (Le Monde du 14 mai). Le dispositif doit monter en puissance d'ici à 2008, mais les milieux financiers n'ont pas perdu de temps. "Ce n'est pas tout à fait une ruée vers l'or, mais l'effervescence est très forte", constate un professionnel de l'assurance.

La "générosité" des pouvoirs publics a ouvert les appétits: à terme, ceux qui épargnent 4 % de leur salaire brut pour leur retraite devraient recevoir un bonus de l'ordre de 300 deutschemarks (environ 150 euros), plus 360 deutschemarks par enfant à charge. En 2008, année où le dispositif doit atteindre son rythme de croisière, l'aide gouvernementale devrait représenter un total de 20 milliards de deutschemarks (10,5 milliards d'euros), s'ajoutant à l'effort d'épargne des particuliers. Un vrai pactole, même s'il est encore difficile à quantifier. Les évaluations varient du simple au double: selon les plus optimistes, la "réforme Riester", du nom du ministre du travail à l'origine du texte, pourrait générer d'ici à 2008 quelque 150 milliards de deutschemarks d'activité supplémentaire. "Nous sommes relativement sereins, les placements liés à la loi Riester devraient représenter une quinzaine de milliards de deutschemarks en 2002, 100 milliards en 2008", dit Thomas Richter, de la DWS, numéro un allemand de la gestion d'actifs, et filiale de la Deutsche Bank. Plus prudente, la Fédération des assureurs (DDV) table sur un volume d'activité de 5 milliards de deutschemarks en 2002, en forte progression ensuite.

"La loi va doper fortement le secteur, même si l'on ne sait pas encore comment la population va orienter ses placements", estime Dieter Hein, analyste bancaire au Crédit lyonnais, à Francfort. Assurances-vie, valeurs immobilières, fonds de pension – autre innovation de la réforme: les particuliers auront l'embarras du choix. Autre inconnue: le dispositif étant fondé sur le volontariat, quelle est la proportion d'épargnants qui vont chercher à profiter du bonus des pouvoirs publics? Les spécialistes sont divisés: entre 20 % et 70 % des Allemands pourraient se laisser tenter. Optimiste, Henning Schulte-Nœlle, le président du directoire d'Allianz, table sur un fort engouement, car, ironise-t-il, "il serait difficile d'imaginer que les gens ne saisissent pas le bonus du gouvernement".

La concurrence s'annonce rude. Certains assureurs n'avaient pas attendu le vote du projet de loi pour démarcher la clientèle. "Avant le vote de la réforme, les compagnies ont commencé à adapter leurs produits et à former leur personnel. Il y a beaucoup de bureaucratie et les frais de conseil seront importants, mais l'enjeu est énorme", déclare Mme Rüter de Escobar, porte-parole de la GDV.

Chez Allianz, Ergo, ou Axa-Colonia, les premiers produits "compatibles avec la réforme" devraient être lancés dès juillet. "Nous espérons contrôler les deux tiers du chiffre d'affaires lié à la loi", assure Katerin Rüter de Escobar. Les gestionnaires d'actifs, comme la DWS, espèrent, eux, mettre la main sur un tiers du marché. Les grandes enseignes ont déjà lancé ou préparent de coûteuses campagnes de publicité. Dans les jours qui ont suivi l'adoption du texte, des millions de personnes ont reçu un courrier des plus aimables de la part de leur assureur, les enjoignant de tout faire pour limiter les risques liés au "trou des retraites". Site Internet, téléphone vert, tous les moyens sont bons pour conseiller les meilleurs produits aux "futurs" retraités.

"La réforme Riester ouvre une porte, et donne l'occasion de sensibiliser le public aux problèmes des retraites: en plus des produits liés à ce projet, nous voulons en profiter pour proposer d'autres solutions complémentaires", explique Wolfram Nolte, membre du directoire d'Axa-Colonia. "Il s'agit avant tout de se positionner, les assureurs savent que les Allemands sont très conservateurs et ne changeront pas facilement de compagnie une fois un contrat signé", indique un expert d'Allianz.

Cette course n'est pas du goût de tout le monde. Le ministre du travail, Walter Riester, et sa collègue écologiste, Renate Künast (protection des consommateurs), ont mis en garde contre toute précipitation. Les syndicats, qui réfléchissent de leur côté à la création de fonds de pension dans le cadre des retraites d'entreprise, sont montés au créneau et demandent à leurs adhérents d'attendre un peu avant de signer le moindre contrat. Pour l'instant en effet, aucun produit financier n'est encore homologué; l'autorité chargée d'accorder le précieux label de conformité à la loi est en cours de constitution. Elle devrait être prête à l'automne. "Chacun est bien avisé d'attendre que les produits certifiés soient là", répète M. Riester. Pris de court par la mobilisation des assureurs, certains professionnels de la finance sont perplexes: "Tenter de vendre des contrats dès maintenant n'est pas sérieux", dit-on à la DWS.

Thomas Bieler fait partie de ceux qu'une telle situation inquiète. A Düsseldorf, la puissante Association de défense des consommateurs, où il est chargé de suivre le dossier des retraites, a adressé un avertissement à quatre assureurs soupçonnés de publicité mensongère. Elle menace de recourir aux tribunaux si les compagnies incriminées ne rectifient pas le tir: "Il s'agit de dissuader les moutons noirs, qui cherchent à profiter de la situation pour vendre des contrats pas encore homologués", dit cet expert. Même s'il s'attendait à une telle offensive, M. Bieler est très étonné de l'agressivité déployée pour capturer la poule aux œufs d'or.


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