Drôle de guerre pour les retraites

Par: Alain Lebaude
Le Monde, 28 février 2001 

A la suite de Michel Rocard, on savait le dossier des retraites explosif, de nature à faire sauter plusieurs gouvernements. Cela n'empêche pourtant pas deux des acteurs essentiels, le Medef et le gouvernement Jospin, justement, de jouer avec le feu. Tout à leur objectif de mettre à terre leur adversaire, loin des préoccupations triviales de l'opinion, ils en sont venus à multiplier les chausse-trappes.

Le premier coup émane du patronat, qui s'est livré à une mesquine opération, à 9 ou 10 milliards de francs quand même, dans la nuit du 9 au 10 février, à l'issue de la négociation avec les syndicats sur les retraites. Certes, " l'embrouille " est connue, mais elle est un peu passée inaperçue malgré les protestations syndicales : dans l'accord, il n'est pas prévu que les entreprises aient à s'acquitter des cotisations dues, au titre du premier trimestre 2001, pour alimenter les caisses de la structure financière (ASF) chargée de compléter les retraites entre 60 et 65 ans. D'où un manque à gagner qui amènera l'ASF à puiser dans ses réserves (17 milliards de francs) pour faire face à ses obligations. Cette " petite astuce qui montre la médiocrité du débat, parfois ", selon Marc Blondel (FO), qui constitue un " hold-up ", d'après Bernard Thibault (CGT), prouve, aux yeux de Jean-Luc Cazettes (CFE-CGC), que " le souci de cohérence n'est pas la qualité primordiale du Medef ". Tout aussi mécontents, les deux syndicats signataires, la CFDT et la CFTC, ont fait savoir qu'ils n'avaient pas l'intention de " laisser cette affaire au compte des pertes et profits ".

De fait, la méthode est contestable et le résultat plus que discutable quand, sur le fond, la remise en cause des modalités de la retraite prend sa racine dans les difficultés prévisibles de financement des régimes complémentaires. Mais, ce faisant, le Medef tire, jusqu'à l'absurde, les conséquences d'une stratégie aventureuse à l'égard de ses mandants, les employeurs.

PILULE EMPOISONNÉE. 

Ayant estimé l'ASF sans base juridique depuis le 31 décembre 2000, le Medef avait recommandé aux entreprises de ne pas payer leurs cotisations trimestrielles en février, pour faire pression sur les autres partenaires sociaux et, au-delà, placer le gouvernement en difficulté. 

Mais ce geste manifeste d'hostilité résolue n'était pas sans ambiguïté, en l'absence de mot d'ordre clair et de consignes pratiques. Il s'ensuivit une situation propice à tous les contentieux, puisque ces sommes peuvent être assimilées à du salaire différé. La responsabilité étant finalement laissée à chacun, il semble que 80 % des entreprises se soient acquittées de leurs obligations.

Dès lors, il fallait sortir du piège, camoufler l'échec, et tenter de retourner la situation à son avantage. C'est ce qui fut fait en décidant que la nouvelle association pour la gestion du fonds de financement (AGFF), destinée à remplacer l'ASF, prendrait officiellement naissance au 1er avril.Ainsi, tout en acceptant de repousser de deux ans le règlement du dossier des retraites, le Medef s'offrait le plaisir d'introduire une pilule empoisonnée. Et, au prix de contradictions, accordait un cadeau à toutes les entreprises, exonérées de cotisations pour un trimestre. Il est " un peu étrange ", dira-t-on à Bercy, que " le Medef, qui donne des leçons de finances publiques, prenne pour première décision d'enlever 10 milliards de francs, pour marquer telle ou telle mauvaise humeur. Cela relève du paradoxe ". 

Sans que le reproche encouru puisse être aussi fort, puisqu'il s'agit de financer une bonne cause, le gouvernement n'a pas été mieux inspiré sur un dossier voisin, quelques jours plus tard. Selon une logique tout aussi curieuse, Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, a annoncé que l'allocation personnalisée à l'autonomie, appelée à succéder à la prestation dépendance, serait en partie alimentée par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), créé pour assurer des avantages retraite aux personnes relevant de la solidarité. Pour prévenir les critiques, la ministre objectera aussitôt que, le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse étant en baisse, rien n'interdisait ce qui pouvait être vu comme une entorse. Il n'empêche. Pour répondre aux besoins estimés de la future allocation personnalisée à l'autonomie, élargie, 5 milliards de francs seront dégagés par l'affectation de 0,1 % du montant (1,15 %) de la contribution sociale généralisée (CSG) actuellement affecté au Fonds de solidarité vieillesse. Ce à quoi s'ajouteront encore, entre autres, les contributions des caisses de retraite elles-mêmes.

Un nouvel établissement public, le " fonds national de financement de l'allocation personnalisée à l'autonomie ", sera prochainement constitué pour collecter ces moyens supplémentaires. 

Mais, dans la foulée, on peut se demander pourquoi, à nouvelle prestation de solidarité nationale, répondant à un besoin social qui ne fera que se développer avec le vieillissement de la population, n'a pas correspondu un affichage clair de l'origine des ressources nécessaires à une politique aussi ambitieuse. Au lieu de cela, on a pris le risque de brouiller les pistes en ponctionnant des réserves prévues pour les retraites. Pis, on a ajouté de l'incohérence, à un moment où tout un chacun s'interroge sur le financement futur de ces mêmes retraites. L'opinion peut-elle comprendre ces petits tours de passe-passe et cette drôle de guerre qui paraît tant plaire aux états-majors ? Il ne le semble pas. Inquiets pour leurs retraites, les Français estiment, pour 58 % d'entre eux, que la politique sociale du gouvernement est mauvaise, selon un sondage BVA publié par le bimensuel L'Expansion du 15 février. Au sein des partisans de la gauche plurielle, ils sont même 49 % à partager ce point de vue, qui atteint un niveau record depuis la création de cet indicateur en novembre 1998. En écho, un autre sondage, réalisé par CSA et publié dans L'Humanité du 22 février, tend à montrer que 58 % des salariés ne sont pas satisfaits de la politique du gouvernement en matière de lutte contre le chômage. Une forme d'impatience sourd.Alain Lebaube.


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