La métallurgie allemande s'empare de la loi sur les fonds de pension

Par: P. Ri.
Le Monde, 10 mai 2001

Le puissant syndicat IG Metall et la fédération patronale Gesamtmetall envisagent de faire profiter les 3,5 millions de salariés de la métallurgie et de l'électrotechnique de la nouvelle législation pour créer un fonds de capitalisation à l'anglo-saxonne. FRANCFORT de notre correspondant

C'est une véritable révolution qui se prépare dans le monde des affaires allemand: alors que le Parlement devrait entériner, vendredi 11 mai, l'ambitieuse réforme des retraites du gouvernement Schröder, le puissant syndicat IG Metall et la fédération patronale de la métallurgie Gesamtmetall envisagent de profiter immédiatement de cette nouvelle législation pour créer ensemble un fonds de pension à l'anglo-saxonne.
L'idée a déjà fait l'objet d'une rencontre "secrète" au sommet entre les deux parties, au lendemain d'une date symbolique entre toutes, le 1er mai. D'autres réunions doivent suivre d'ici à l'été. "Rien n'est décidé, mais il s'agirait de mettre en place ce genre d'instrument dès le début de l'année", précise Martin Leutz, porte-parole de Gesamtmetall.
De telles réflexions engagées entre les partenaires sociaux d'un des secteurs-clés de l'industrie allemande – 3,5 millions de salariés travaillent dans la métallurgie et l'industrie électrotechnique – démontrent en tout cas que la réforme des retraites est en marche outre-Rhin.

Le texte du gouvernement devrait être définitivement adopté vendredi par les parlementaires allemands. Déjà entériné par le Bundestag en janvier 2001, il devrait l'être en principe, après de longues tractations, par le Bundesrat, la chambre haute qui rassemble les représentants des Länder. Principale innovation de la nouvelle loi sur les retraites : la promotion des systèmes de capitalisation individuelle destinés à compléter les traditionnelles retraites publiques par répartition, qui sont également réformées.
Le gouvernement Schröder s'engage à soutenir tout projet personnel d'épargne-retraite. D'ici à 2008, la bonification attribuée par l'Etat atteindra 300 deutschemarks (153 euros) par an pour un célibataire, 600 deutschemarks pour un couple et 360 deutschemarks par enfant à charge, si au moins 4 % du salaire brut du foyer sont consacrés au financement des retraites.

Destiné à monter en puissance d'ici à 2008, le dispositif devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2002.
Une échéance que les partenaires sociaux de la métallurgie ne veulent rater à aucun prix. En effet, l'un des objectifs principaux du gouvernement est de conforter les retraites d'entreprise, en particulier à travers la mise en place defonds de pension. Une brèche dans laquelle IG Metall et Gesamtmetall espèrent s'engager de concert.

"Nos intérêts se rejoignent", relève un expert de Gesamtmetall. D'abord opposés par principe au développement des retraites par capitalisation et des fonds de pension à l'anglo-saxonne, les syndicats allemands entendent désormais occuper le terrain, "sans laisser les salariés seuls aux mains des banques et des assurances", dit-on auprès d'IG Metall. Incontournables dans les négociations salariales de branche, les syndicats espèrent jouer un rôle-clé dans la mise en place des instruments bientôt à la disposition des entreprises. Un autre dirigeant très en vue du monde syndical, le président d'IG-BCE, Hubertus Schmoldt, a lui aussi proposé au patronat des secteurs énergie et chimie de réfléchir à la création commune d'un fonds.

De leur côté, les entreprises voient dans la mise en place des fonds de pension l'occasion d'alléger le coût des prestations retraites que certaines s'engagent à verser à leurs salariés. Des promesses qui coûtent chaque année des milliards aux grands groupes, en prestations versées, mais aussi en provisions passées pour financer un complément de retraite aux employés.
D'accord sur l'opportunité d'une action commune, les partenaires sociaux posent toutefois des conditions à un accord définitif. IG Metall semble ainsi attacher une grande importance à une approche "éthique" de la gestion du fonds (lire ci-dessous). Refus du travail des enfants, droits des salariés, respect de l'emploi, régime des pays où le fonds est présent: le syndicat souhaiterait fixer des critères de bonne conduite aux choix d'investissements.
Au contraire, le patronat "n'entend pas mener de politique industrielle ou de soutien à l'emploi via un fonds, qui doit être géré selon les méthodes en vigueur dans la profession", souligne M. Leutz. En outre, le syndicat aimerait ne proposer que ce fonds aux salariés de la branche, tandis que le patronat entend le mettre en concurrence avec des produits offerts par les banques et autres compagnies d'assurances.

De leur côté, les pouvoirs publics voient d'un œil "extrêmement positif" les initiatives prises par les partenaires sociaux, quels que soient les résultats du vote du Bundesrat, vendredi. Ancien numéro deux d'IG Metall, l'actuel ministre du travail, artisan de la réforme des retraites, Walter Riester, espère que les fonds de pension vont "moderniser" le système des retraites complémentaires proposé par les entreprises. Car ce type de dispositif, de l'avis général, avait besoin d'un toilettage en profondeur. Très développé dans les grands groupes, il est quasiment absent des PME, qui hésitent–pour des raisons de coûts–à s'engager à long terme vis-à-vis de leurs salariés.

L'enjeu est considérable. Selon les premières estimations syndicales, le fonds de pension mis en place en commun dans cette première branche pourrait mobiliser une somme de l'ordre de 7 milliards de deutschemarks (3,6 milliards d'euros) dès la fin de 2002. Il serait essentiellement financé par les versements des salariés, qui pourront désormais consacrer une partie de leur salaire à la constitution d'une épargne-retraite individuelle, voire par une participation des entreprises. Le tout reposant sur le volontariat des intéressés.

Si l'idée d'un fonds de pension "de branche" se concrétise dans la métallurgie, nul doute qu'elle pourrait faire école dans d'autres secteurs.


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