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La réforme des retraites a modifié le paysage politique et syndical

 By Rémi Barroux et Philippe Le Cœur, Le Monde 

July 23, 2003

Le projet de loi réformant le système des retraites devrait être définitivement adopté, jeudi 24 juillet, lors d'un vote solennel des députés et des sénateurs. Le débat parlementaire, ouvert le 10  juin à l'Assemblée et marqué par la "guerilla" menée par le PCF et par le PS, n'a pas modifié l'essentiel du plan Fillon : l'harmonisation de la durée de cotisation entre le public et le privé et son allongement (40 ans pour tous en 2008, 41 ans en 2012); la possibilité pour les salariés ayant commencé à travailler entre 14 et 16 ans de partir avant 60 ans ; l'indexation sur les prix des pensions du public et du privé ; la création d'un plan individuel d'épargne-retraite... Pour faire passer sa réforme, le gouvernement a bénéficié de la désunion syndicale : la CFDT a approuvé le projet, tandis que la CGT et FO s'y sont opposées.

Infographie : Des besoins de financement considérables, un poids croissant dans l'économie

Le projet de loi de réforme des retraites sera définitivement adopté, jeudi 24 juillet, à l'Assemblée nationale puis au Sénat. Deux votes solennels vont entériner ce que François Fillon, le ministre des affaires sociales, a appelé la "réforme la plus importante depuis la Libération". Plus modeste, Jacques Barrot, président du groupe UMP de l'Assemblée, veut y voir "la réforme d'ampleur" de cette première année au pouvoir de la droite. Elaboré par M. Fillon et son homologue de la fonction publique, Jean-Paul Delevoye, ce texte n'a pas été retouché dans ses lignes de force depuis l'accord conclu, le 15 mai, avec deux organisations syndicales, la CFDT et la CFE-CGC.

Le gouvernement et la majorité savourent leur victoire.

Marquée par le recul d'Alain Juppé qui, sous la pression de la rue, avait dû renoncer, en 1995, à reformer les régimes spéciaux de retraite, l'UMP a su, cette fois, passer outre le mouvement social et faire sauter un "verrou" symbolique en alignant le régime du secteur public sur celui du privé.

"C'est ça, le courage des réformes", s'est félicité le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, dès le 2 juillet, au terme de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale. "Certains doutaient de notre détermination et pariaient sur notre échec. Ils ont eu tort !", lui a fait écho M. Fillon, vendredi 18 juillet, en concluant les débats au Sénat.

Ce verrou levé, non sans avoir dû affronter pendant des semaines de forts mouvements de mécontentement social, puis un mois et demi de débats parlementaires dans les deux assemblées, la majorité ne cache pas qu'elle entend profiter de cet acquis. "Cela a été bénéfique, car, quoi que l'on en dise, il y a eu dialogue social. C'est une bonne première dont nous devrons nous inspirer", fait valoir M. Barrot. D'ores et déjà, le gouvernement laisse entendre qu'il reprendra la démarche qui a prévalu pour les retraites dans d'autres dossiers sociaux. Mercredi matin, Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, a annoncé quatre chantiers (école, protection sociale, décentralisation et finances publiques) pour lesquels la même "méthode en trois temps" sera suivie : "état des lieux, dialogue et décision politique". La seule réserve, à droite, sera venue, paradoxalement, du chef de l'Etat. Lors de son entretien télévisé du 14 Juillet, Jacques Chirac a demandé au gouvernement "une véritable communication au sens le plus social du terme".

Le débat parlementaire ravive les tensions PS-PCF.

Souvent inaudibles au début de la session, à l'automne, socialistes et communistes ont renoué avec le combat parlementaire : à l'Assemblée nationale, les premiers ont déposé 2 900 amendements, les seconds environ 7 000. Ils ont fait durer les débats, jouant de tous les règlements : 19 jours à l'Assemblée, 10 jours au Sénat.

"Obstruction", n'a eu de cesse de protester la droite. Ce que n'ont pas vraiment démenti les communistes. "Notre objectif était de forcer le gouvernement à une session extraordinaire, tout en présentant un projet alternatif", a expliqué Alain Bocquet, président du groupe PCF de l'Assemblée. "La volonté était d'avoir un débat, d'aller au fond des choses et d'éclairer les Français", a argumenté son homologue socialiste, Jean-Marc Ayrault.

L'opposition a-t-elle pour autant été entendue par les Français ? "L'important était de donner l'idée que l'on se bat. Pour le reste, tous les gens du mouvement social savent ce que l'on veut", a expliqué M. Bocquet, alors que M. Ayrault s'est félicité d'avoir "réussi à mettre en exergue quelques points fondamentaux qui posent question : niveau des pensions, politique d'emploi, la notion de pénibilité et le financement".

Le satisfecit n'est pas partagé par Laurent Fabius : lors d'une réunion de direction du PS, fin juin, l'ancien premier ministre a estimé que la position socialiste a été jugée "assez illisible par l'opinion publique". Les socialistes ont tardé à faire connaître leurs contre-propositions. Ils ont fait étalage de "voix discordantes", comme les a qualifiées, pour le déplorer, Henri Emmanuelli. La réforme gouvernementale a notamment été approuvée par Michel Rocard, Bernard Kouchner, Jacques Attali et Michel Charasse.

Par ailleurs, PS et PCF, qui ne se sont pas épargné les critiques mutuelles au Parlement, ont peu ou pas accompagné le mouvement social, laissant le champ libre à l'extrême gauche. A l'heure où la gauche cherche à se recomposer, ces événements pourraient laisser des traces.

Le front syndical se fissure.

Partis unis au début de la bataille contre le plan Fillon, les syndicats ont fini en ordre dispersé. Parmi les sept signataires de la déclaration commune de janvier 2003, deux seulement ont approuvé le texte proposé (CFDT et CFE-CGC). La CFTC, sans donner son accord formel au projet du gouvernement, s'est désolidarisée du front d'opposition. La CFDT a montré qu'elle souhaitait rester le partenaire privilégié du dialogue social. En dénonçant la place prépondérante du service public dans la mobilisation, la confédération a aussi marqué sa volonté de défendre les salariés du secteur privé et des petites et moyennes entreprises. Ce faisant, elle a réveillé son opposition interne, certains syndicats choisissant même de quitter la CFDT.

La CGT, qui a demandé tout au long du conflit l'ouverture de "vraies négociations", n'a pas pu peser sur les choix du gouvernement. Tiraillée entre le souhait de participer aux discussions et sa volonté de généraliser le mouvement social, la centrale de Bernard Thibault n'a pas clarifié sa ligne. Et son refus de lancer une consigne de grève générale a déçu de nombreux militants.

Ce mot d'ordre, lancé par le Groupe des dix-Solidaires - où l'on retrouve les syndicats SUD - a finalement été adopté par Force ouvrière, farouchement opposée à la réforme. La centrale de Marc Blondel a ainsi répondu aux exigences d'une partie de sa base proche des trotskistes du Parti des travailleurs.


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