Retraites: Les Allemands capitaliseront

Par: Lorraine Millot
Libération, 27 et 28 janvier 2001

Les pensions vont baisser. L'Etat aidera les salariés à épargner pour compenser.

Tandis que la France fait de la retraite à 60 ans un combat de principe, l'Allemagne vient de franchir une nouvelle étape: le passage de la retraite par répartition à la retraite par capitalisation. La majorité sociale-démocrate et verte au Bundestag (la Chambre basse du Parlement) a adopté vendredi un projet de réforme qui réduira progressivement le niveau des retraites légales, de 69 % du salaire net aujourd'hui à 67 % en 2003.

Cette baisse des retraites par répartition sera compensée, et même plus que compensée, assure le ministre des Affaires sociales, Walter Riester, par le développement de retraites privées ou des retraites d'entreprises. L'Etat incitera financièrement les salariés à se constituer chacun leur retraite privée par capitalisation. Dès 2002, tous les salariés seront invités à consacrer d'abord 1 %, puis jusqu'à 4 % (à partir de 2008), de leur revenu brut à la constitution d'un capital privé de retraite. Les plus faibles revenus recevront pour cela une subvention de l'Etat allant jusqu'à 300 Mark (150 euros) par personne et par an, auxquels s'ajouteront 360 Mark (180 euros) par enfant. Les plus fortunés pourront eux déduire ces 4 % ainsi épargnés de leurs revenus imposables.

Glissement. C'est là «la plus grande réforme sociale depuis l'après-guerre», s'est enflammé Walter Riester au Bundestag vendredi, assurant que sa réforme est si bien ficelée qu'elle profitera à tous: «Tous ceux qui jouent le jeu y gagneront dans leurs vieux jours», a-t-il promis. Grâce à ce glissement vers les retraites privées, le ministre s'est aussi engagé à maintenir les taux de cotisations à moins de 19 % des salaires bruts jusqu'en 2010 et moins de 20 % jusqu'en 2020. Sans la réforme, le vieillissement de la population allemande (d'ici 2050, les plus de 60 ans représenteront 40 % de la population allemande, contre 22 % aujourd'hui) aurait obligé à doubler les taux de cotisation, argumente le ministère.

La façon dont le gouvernement social-démocrate/vert a réussi à faire passer cette réforme témoigne du pragmatisme allemand. «Tandis que les Français se déchirent en débats idéologiques, la question retraite par répartition ou retraite par capitalisation n'a même pas vraiment été un sujet de discussion en Allemagne», observe un connaisseur des deux systèmes. «Tout ce qui compte dans la discussion en Allemagne, c'est combien, à la virgule près, chacun aura au final dans sa poche.»

En France, pareille réforme serait d'autant plus choquante que l'Etat va payer pour ce rognement des retraites par répartition, au profit des retraites privées. A partir de 2008, quand les incitations aux retraites privées seront pleinement montées en puissance, l'addition coûtera 20 milliards de Mark (10 milliards d'euros) par an au budget fédéral.

Corrections. Face à ce projet d'inspiration libérale, les syndicats allemands ont certes organisé quelques manifestations mais seulement pour négocier quelques corrections du projet. «A la place des retraites privées, nous aurions voulu rendre obligatoires les retraites d'entreprises», explique Ruth Palik, experte au DGB, la Confédération des syndicats allemands. «Cela aurait assuré des retraites complémentaires autrement plus transparentes, plus sûres et plus équitables, tout en maintenant le principe de financement paritaire patronat/salariés. La réforme adoptée ne reflète pas du tout notre philosophie, mais c'est un compromis. Nous avons par exemple obtenu que les incitations publiques aux retraites privées puissent aussi s'appliquer aux retraites d'entreprises et nous avons limité la baisse du niveau général des retraites.»

Ainsi apaisés, les syndicats ne devraient plus opposer grande résistance à la réforme. Les obstacles se trouvent plutôt du côté de l'opposition conservatrice, qui peut bloquer une partie de la réforme au Bundesrat, la Chambre haute du Parlement. Elle a durement attaqué le projet, affichant même des avis de recherche du chancelier Schröder, pour «trahison sur les retraites». Les protestations ont été si vives que la CDU a dû retirer son affiche et il n'est pas exclu qu'au Bundesrat certains approuvent finalement la réforme, qui va dans le sens de leurs convictions libérales. Les critiques les plus tenaces viennent en fait des économistes, qui doutent que cette réforme suffise à compenser le vieillissement. Pour eux, cette réforme ne peut être qu'une «étape», vers plus de retraites individuelles, ou même un relèvement de l'âge légal de la retraite, actuellement fixé à 65 ans.

 


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