La réunion à huit clos ou` M. Seillière a été désavoué

Par: Laurent Mauduit et Martine Orange
Le Monde, 27 avril 2001

CE DEVAIT être une formalité. Ce mercredi 7 février, l'Association française des entreprises privées (AFEP), très discret mais très influent cercle patronal qui regroupe quelque quatre-vingts des plus grands patrons français, dont ceux du CAC 40, recevait le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière. Pour cette rencontre un peu exceptionnelle, l'assistance était plus nombreuse que d'habitude. Les dirigeants voulaient entendre le patron des patrons sur le dossier de la retraite complémentaire.
Le dossier, depuis plusieurs semaines, cristallise les passions chez les patrons, les syndicats et le gouvernement. La stratégie du patronat est arrêtée. Le 17 janvier précédent, l'assemblée générale du Medef a approuvé la stratégie d'affrontement de M. Seillière, visant à organiser un boycottage des cotisations ASF (qui financent les retraites complémentaires avant soixante-cinq ans). En contrepoint, l'organisation patronale propose aux syndicats de rediscuter, mais à condition que ceux-ci acceptent une augmentation des durées de cotisation. Alors qu'une rencontre doit finalement avoir lieu deux jours plus tard, le vendredi 9 février, avec les syndicats, le président du Medef vient simplement devant ses pairs pour recueillir leur assentiment.

L'affaire paraît aisée. Alors que la tension monte, un seul chef d'entreprise connu, Jean-Marie Messier (Vivendi Universal), a fait connaître publiquement son désaccord: l'ultimatum n'est pas un "moyen du dialogue social", a-t-il assené dans Le Parisien du 22 janvier. Dans un milieu patronal très à cheval sur les convenances, cette déclaration a choqué. Pour les patrons, les critiques ne se formulent qu'en comité restreint.

Est-ce donc l'habitude de ne plus rencontrer de contestation dans les rangs du Medef ? M.Seillière, ce soir-là, pense en tout cas obtenir un soutien sans faille de ses pairs. Il n'a pas vu venir la révolte. Rien n'a été préparé entre les participants. Juste emportés par le courant, les uns après les autres, de nombreux grands patrons disent leur désaccord à M. Seillière. Pour certains, il a eu tort de "prendre l'ASF en otage". Pour d'autres, il a commis un faux pas majeur en rompant "le lien avec la CFDT de Nicole Notat, pourtant associée jusque-là au Medef dans son combat pour la refondation sociale".

UN DÉBAT "PUREMENT TACTIQUE"

Jean Peyrelevade (Crédit lyonnais) est ainsi le premier à contester la méthode du boycottage des cotisations ASF. La plupart de ses collègues grands patrons lui emboîtent aussitôt le pas. Dans le lot, on retrouve Michel Pébereau (BNP Paribas), de même que Daniel Bouton (Société générale) – pourtant chargé d'un des dix "groupes de propositions et d'actions" du Medef. La vieille coupure entre financiers et industriels, pour une fois, disparaît. Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain) dit également son opposition, tout comme Thierry Desmarest (TotalFinaElf) ou encore Bertrand Collomb (Lafarge). "Il n'y a pas eu de vote, mais nous étions ultramajoritaires", dit l'un des contestataires.

De l'avis d'un participant, la réunion a été "très désagréable pour M. Seillière". Venu à la réunion pour obtenir un quitus implicite des plus grands patrons français, il est reparti en sachant qu'il n'avait pas le soutien de ses pairs. Sans leur appui, il ne pouvait que renoncer. Deux jours plus tard, lors de la reprise des négociations avec les syndicats, il annonçait qu'il abandonnait le boycottage des cotisations pour les retraites complémentaires.

Deux mois plus tard, les appréciations varient sur cette soirée. Pour les uns, l'affaire est close. "N'allez surtout pas dire que M. Seillière a été désavoué, dit un banquier connu. Ce serait faux. Nous sommes tous d'accord avec lui. Sur l'indispensable réforme des retraites. Ou sur sa stratégie de refondation sociale, qui est la bonne. De surcroît, il a eu le grand mérite de canaliser la très grande colère des petits patrons, révoltés par les 35 heures, de lui donner un sens." "Vous ne trouverez personne, parmi nous, qui désavoue M. Seillière, confie un autre grand patron. Il a assez d'ennuis comme cela avec AOM pour que vous n'en rajoutiez pas, en prétendant qu'il y a aussi une zizanie dans les rangs patronaux. Le débat de ce soir-là portait sur des considérations purement tactiques."

Pour d'autres, le débat a fait émerger des différends plus profonds. Avec, en arrière-fond, plusieurs sensibilités, celle des "patrons anglo-saxons" et celle des "patrons de l'Euroland". L'entourage du patron des patrons, lui, a sa version, abrupte, de l'épisode. "Ce n'était qu'un débat réunissant les patrons managériaux. Les vrais dirigeants, ceux qui possèdent leur entreprise – les Michelin, les Bouygues –, n'étaient pas là. Et quand il s'agit de son argent personnel, cela change les perspectives."


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