Les vieux salariés ont le vent en poupe 

Par: Richard Reeves 
Courrier International, 25 mai 2000

Pénurie de main-d'oeuvre, perte de savoir... Au Royaume-Uni, les salariés âgés, victimes des récentes restructurations, sont de nouveau courtisés par les entreprises. Bonne ou mauvaise nouvelle ? 

Sur l'intérêt d'employer des personnes du troisième âge, Wilma Smith a une opinion bien tranchée, qui réchaufferait même le coeur d'un bourreau du travail comme Gordon Brown [le chancelier de l'Echiquier]. "Je connais des gens qui ne travaillent pas, qui restent assis là et en ont assez, et qui s'en vont plus vite que vous ne le pensez. Je ne veux pas dire par là que l'oisiveté tue ; seulement, cela semble provoquer un certain dépérissement." Wilma fait la coquette sur son âge exact. "Cela fait des années que j'ai 39 ans", insiste-t-elle. Mais elle finit par avouer son année de naissance : 1922. Ce qui veut dire, si on calcule bien, qu'elle dépasse largement l'âge de la retraite. Et pourtant, elle travaille trois jours par semaine, avec énergie et efficacité, comme assistante d'une secrétaire dans une société. Le personnel plus jeune l'admire. "Elle est fantastique !" s'exclame l'une de ses collègues âgée de 26 ans. "C'est de la folie de forcer les gens à s'arrêter de travailler à un certain âge, proteste Wilma. Je m'ennuie à mourir si je ne fais rien." 

Wilma et des milliers de personnes comme elle doivent certainement se réjouir de la nouvelle selon laquelle BT [British Telecommunications] envisage de repousser l'âge de la retraite à 70 ans, ce qui remettrait en cause la tendance au recours à la retraite anticipée dans les entreprises. Pour les militants qui luttent contre la discrimination à l'égard des personnes âgées, il était grand temps. "La question clé est celle du libre choix", martèle Helen Garner, directrice des campagnes d'Employers Forum on Age, qui milite contre l'âgisme. "Le cliché des quinquagénaires inutiles existe depuis trop longtemps. Il faut saluer tout ce qui va contre." 

Certains signes dénotent un changement d'attitude envers les travailleurs âgés, alors qu'on assiste à un retour de balancier après la priorité donnée aux restructurations des années 80 et 90, durant lesquelles on pensait qu'il était plus juste de se débarrasser des vieux salariés. Les supermarchés et les grands distributeurs (et notamment la chaîne de magasins de bricolage B & Q) embauchent aujourd'hui des salariés plus âgés et mettent en place de nouveaux plans de retraite plus souples que les systèmes traditionnels. 

La BBC emploie un nombre croissant de personnes ayant dépassé l'âge de la retraite, sous contrat d'associé. Et la Midland Bank a dû rappeler d'anciens cadres alors qu'elle manquait de personnel qualifié à la suite d'une restructuration. Shell fait appel à ses cadres seniors pour qu'ils servent de mentors à de petites entreprises. Les cheveux gris ont décidément le vent en poupe. "Pour l'heure, le mouvement touche essentiellement les allocataires d'une pension de retraite qui veulent la compléter par un travail sous contrat ou à temps partiel, rapporte Mme Garner. Très souvent, les entreprises restent discrètes sur la question en raison de possibles conséquences fiscales, mais le phénomène est bien réel." 

LES ENTREPRISES VEULENT RETENIR LES SALARIÉS ÂGÉS 

A première vue, l'équation est simple pour les entreprises, mais aussi pour l'Etat. Les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé ; par conséquent, ils restent productifs. Et, en l'absence de réforme, nous sommes face à une bombe à retardement démographique, car les actifs de demain auront du mal à payer les retraites des enfants vieillissants du baby-boom. Par ailleurs, la nature du travail a changé, la force physique perdant de l'importance au profit des capacités intellectuelles, de l'expérience et du savoir, que les personnes âgées possèdent en abondance. En 1960, la majorité des gens pouvaient compter sur un délai de deux à trois ans entre leur dernier jour au travail et les derniers sacrements. Aujourd'hui, cette période est passée à dix ans, et nombreux sont ceux qui peuvent espérer vivre des années encore après avoir cessé leur activité professionnelle. Selon un rapport récent de JP Morgan, s'il n'y a pas de changement de politique (aussi bien dans le secteur privé que dans le public), le niveau de vie risque de chuter de 15 % lorsqu'une population active moins nombreuse devra payer la facture salée des retraites. 

Pour nombre de personnes du troisième âge, le travail apporte des avantages évidents sur le plan social, car il permet d'élargir le cercle de ses connaissances et donne le sentiment d'exister dans la société. La dispersion de la famille accroît ce besoin. Un départ à la retraite plus tardif permettrait aussi de rééquilibrer la vie active en faveur de la famille plutôt que de travailler surtout durant les années où les enfants sont généralement encore à la maison. 

Dans un tel contexte, la retraite anticipée paraît aberrante, mais les idées préconçues sur la valeur du personnel âgé ont encouragé les entreprises dans cette voie. "Plus des deux tiers des départs à la retraite ont lieu avant l'âge officiel, note Mme Garner. Cette tendance est essentiellement motivée par un souci d'efficacité ou d'allégement des effectifs, et non pour des raisons de mauvaise santé." Les préjugés ont décidément la vie dure. 
L'évolution socio-économique semble aller dans le sens d'un assouplissement de l'âge de la retraite, qui reste néanmoins un sujet épineux. Les organisations caritatives qui s'occupent des personnes âgées voient dans le relèvement de l'âge de la retraite une atteinte au droit de vivre longtemps et de manière agréable après de longues années de travail et elles redoutent que les personnes occupant des emplois peu qualifiés soient pénalisées. "Les personnes hautement qualifiées en retirent sans doute des satisfactions. Mais qu'en est-il de ceux qui sont mal payés ou moins qualifiés ?" s'interroge une porte-parole de l'association Age Concern. "Relever l'âge de la retraite, c'est leur porter préjudice." Pour l'heure, le marché de l'emploi est tel que les entreprises font davantage d'efforts pour retenir les salariés âgés. La pénurie de travailleurs qualifiés - notamment pour le personnel d'encadrement, ce qui constitue le plus gros point noir - et le faible taux du chômage font que les entreprises, dans le sud du pays, leur font les yeux doux. "J'aimerais pouvoir dire qu'il y a effectivement un changement d'attitude, tempère Mme Garner. Mais je pense qu'en réalité la situation sur le marché de l'emploi influe sur les mentalités. Les entreprises ont besoin de personnel qualifié, tout simplement." Il faut néanmoins se réjouir de tout ce qui remet en cause les a priori sur l'âge, ajoute-t-elle, notamment parce que cela bénéficiera aussi aux salariés plus jeunes. "Une fois que l'on considère 50 ans comme l'âge normal pour se retirer de la vie active, cela semble inutile de former des gens de 45 ans." Selon certaines études, la majorité des gens pense que la discrimination commence déjà à l'égard des personnes de 42 ans. 

Il y a également de bonnes raisons de croire que les entreprises en ont davantage pour leur argent avec des salariés plus âgés. Car ils sont moins susceptibles de partir, présentent un taux d'absentéisme moindre (39 % de moins que la moyenne chez B & Q) et, à en croire Wilma, ils s'investissent davantage dans leur travail. "Avec eux au moins, on est sûr qu'ils travaillent parce qu'ils le veulent vraiment, et non pas parce qu'ils y sont obligés", souligne-t-elle. Personnellement, Wilma entend bien persévérer. Pour elle, la perspective de travailler jusqu'à la fin est stimulante. "Je pense que je vais continuer, confie-t-elle. Je ne vois pas pourquoi je devrais m'arrêter. Je vais continuer." 


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