Assistance, aide sociale et exclusion

Par: Francis Kessler
Le Monde Economie, 17 avril 2001

A l'exception de la Grèce, les Quinze disposent d'une prise en charge duale : d'une part, un revenu minimum est garanti quelles que soient les circonstances ayant conduit à la situation de pauvreté ; d'autre part, des allocations sont accordées dans des circonstances particulières de la vie.

Selon une définition classique, une personne pauvre est une personne vivant avec un revenu inférieur de moitié au revenu moyen des citoyens de son pays. L'Union européenne, une des régions les plus riches du monde, compte environ 55 millions d'habitants vivant sous ce seuil. Cette pauvreté se manifeste dans un contexte juridique particulier aux Quinze : le droit à l'aide sociale fait partie des droits fondamentaux. Il constitue une manifestation majeure de la protection de la dignité humaine.

La Charte des droits fondamentaux s'inscrit dans une longue lignée de normes qui encadrent l'activité des Etats. Citons la Déclaration universelle des droits de l'homme (des Nations unies) de 1948 pour laquelle "toute personne en tant que membre de la société -...- a droit à la sécurité -...- en cas de perte de ses moyens de subsistance, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté" ; ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, conclu en 1966 sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU), qui affirme que "les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence -...-".

La Charte sociale européenne de 1961 et ses protocoles additionnels, instruments juridiques applicables aux 47 pays membres du Conseil de l'Europe, prévoient que les Etats "s'engagent à veiller à ce que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes et qui n'est pas en mesure de se procurer celles-ci par ses propres moyens ou de les recevoir d'une autre source, notamment par des prestations résultant d'un régime de sécurité sociale, puisse obtenir une assistance appropriée et, en cas de maladie, les soins nécessités par son état."

Ces normes n'ont pour fonction que de guider l'activité des gouvernants : elles sont "programmatiques".

Seul impératif en ce domaine : la prohibition des discriminations fondées sur la nationalité. Dans l'arrêt Gaygusuz de 1996, la Cour européenne des droits de l'homme a en effet jugé, en s'appuyant sur la Convention européenne des droits de l'homme, qu'une allocation d'aide urgente constitue un droit patrimonial qui ne saurait être assorti d'une condition de nationalité.

L'ordre juridique communautaire ne prévoit pas, à première vue, de transfert de compétences des Etats vers les institutions européennes en matière d'aide sociale. Ce champ d'intervention relève exclusivement des Etats membres ; aussi, chaque pays appréhende pour l'instant les phénomènes de pauvreté à sa façon et y apporte ses propres solutions. Les politiques menées dépendent ainsi du système de protection sociale en place, des niveaux d'autorité administrative de chaque pays et de la perception nationale du problème.

Il est néanmoins possible de repérer quelques caractéristiques fondamentales de la prise en charge des plus démunis au sein de l'Union européenne. A l'exception de la Grèce, les Quinze disposent d'une prise en charge duale : d'une part, un revenu minimum est garanti quelles que soient les circonstances ayant conduit à la situation de pauvreté ; d'autre part, des allocations sont accordées dans des circonstances particulières de la vie.

Les premières aides sont destinées à assurer un niveau de vie décent aux personnes qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens. Quelles que soient leurs appellations, (RMI, Minimex, Income Support, RMG, Socialbidrag, etc.), ces allocations sont différentielles. Elles sont versées jusqu'à un plafond fixé en fonction du nombre de personnes vivant dans le foyer, avec la prise en compte de certains revenus mais la "neutralisation" d'autres, singulièrement ceux provenant d'une activité. Ces aides sont, sauf en Italie, illimitées dans le temps. Elles sont, aujourd'hui, assorties de parcours d'insertion ou de réinsertion plus ou moins détaillés. Partout en Europe, ces dispositifs de remise au travail issus des politiques de lutte contre la pauvreté ont été transposés aux demandeurs d'emploi indemnisés. Les frontières entre aide sociale et droits du chômage sont ainsi devenues moins étanches. De même, l'attribution simultanée de la garantie de ressources et d'un salaire, pendant les premiers temps de la phase de retour à l'emploi, est en train de gommer la distinction classique entre le travailleur et le bénéficiaire de l'aide ou de l'assistance sociale.

Les aides liées à des circonstances particulières, second pilier du modèle européen d'aide sociale, constituent une catégorie hétérogène de mesures, gérées soit par les autorités locales, soit parfois par des institutions de sécurité sociale. Elles ne sont accordées que pour un public-cible démuni strictement délimité - personnes âgées, personnes handicapées, jeunes, chômeurs -, ou pour compenser des besoins spécifiques - logement, charges de famille, soins médicaux, chauffage. Ces mesures ponctuelles, souvent peu articulées entre elles et avec le revenu minimum généralisé, constituent des ressources incontournables pour les catégories visées.

Ce système dual d'aide sociale est aujourd'hui percuté par des programmes transversaux, dits "de lutte contre les exclusions" qui tentent de mieux coordonner les interventions sociales et de dépasser les clivages administratifs. Bien que nécessaires, ces adaptations restent, dans tous les pays européens, très lentes : les équilibres précédents sont fragiles, les stratégies de partenariat, de prévention et d'amélioration des conditions d'accès aux droits sont difficiles à mettre en œuvre parce que parfois contradictoires et sous-financées.

L'impulsion pourrait venir de l'Union européenne. Rappelons que le traité permet d'adopter des mesures communautaires destinées à encourager la coopération entre Etats membres afin de lutter contre l'exclusion sociale. Le Comité de la protection sociale est saisi de cette question : des indicateurs d'efficacité de l'activité nationale pourront être établis et des bonnes pratiques nationales mises en avant.

L'assistance sociale, que certains croyaient vouée à la disparition avec l'instauration des systèmes de sécurité sociale, a encore de beaux jours devant elle.

Francis Kessler est maître de conférences à l'université Paris-I - Panthéon-Sorbonne.

 


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