Banque Mondiale-Bureau International du Travail

Deux Regards sur la Protection Sociale

Par: Isabelle Moreau
Espace social européen, 5-11 mai, 2000

En France, l'image de la Banque mondiale est souvent floue, voire négative. Très souvent qualifiée d'ultra-libérale, elle est avec le Fonds monétaire international (FMI) - dont on confond parfois les missions respectives - l'une des deux institutions dites "de Bretton Woods" qui forment depuis la Seconde Guerre mondiale la clé de voûte de l'architecture économique et financière internationale. Aujourd'hui, sous l'impulsion de son président James Wolfensohn, la Banque mondiale s'est fixée pour mission - pour reprendre ses termes - "de réduire la pauvreté et d'améliorer les conditions de vie en favorisant une croissance durable et en investissant dans la ressource humaine". Une prise de conscience récente des secteurs sociaux - elle date des années quatre-vingt-dix - qui fait notamment suite à un certain nombre de critiques émises dans les années quatre-vingt sur les programmes qu'elle préconisait.

Aujourd'hui, la Banque mondiale souhaite donc redorer son image et montrer qu'elle est un acteur majeur des réformes des politiques sociales et de la lutte contre la pauvreté. Elle a d'ailleurs pu faire passer le message lors d'un séminaire organisé avec Sciences Po, pour la première fois à Paris*, intitulé "Réformer les politiques sociales à l'heure de la mondialisation" et articulé autour de quatre tables rondes ayant pour thèmes : "Le nouveau panorama des politiques sociales" ; "Les réformes de retraites : risques et opportunités" ; "L'agenda des réformes du marché du travail et la gestion sociale des restructurations industrielles".

Une nouvelle définition de la protection sociale

La première table ronde a été pour Robert Holzmann, le directeur de la protection sociale de la Banque mondiale, l'occasion de dévoiler les grandes lignes d'une étude qui propose une nouvelle définition de la protection sociale ainsi qu'un nouveau cadre théorique fondé sur "la gestion du risque social". Le concept repose sur l'idée que les personnes, les ménages et les collectivités sont exposés à des risques divers dus à des phénomènes naturels (tremblements de terre, inondations, maladies, etc.) ou causé par l'homme (chômage, dégradation de l'environnement, guerre, etc.). Et comme il est souvent impossible de prévoir et de prévenir ces perturbations, elles ont pour effet d'engendrer et d'exacerber la pauvreté. Pour Robert Holzmann, "il existe un lien entre la pauvreté et la vulnérabilité car les pauvres courent généralement plus de risques mais n'ont qu'un accès limité à des instruments qui leur permettraient de gérer leurs risques". D'où l'importance, selon lui, "de trouver un équilibre entre les différents systèmes qui peuvent être adoptés (systèmes informels, régulés par le marché ou administrés par l'État) et les stratégies de gestion du risque social (prévention, atténuation, réaction) et de former les combinaisons appropriées au plan de l'offre et de la demande".

À noter encore que ce nouveau concept vise plus particulièrement les segments pauvres de la population. Pourquoi ? Parce qu'ils "sont les plus vulnérables, explique le directeur de la protection sociale de la Banque mondiale, et n'ont généralement pas accès à des instruments appropriés de gestion du risque de sorte qu'il leur est difficile d'entreprendre des activités plus rémunératrices mais aussi plus risquées et donc d'échapper peu à peu à l'état de pauvreté chronique". Et le principe d'universalisme dans tout cela ? s'est interrogé Claude Evin, ancien ministre français de la Santé qui avoue toutefois "adhérer" au principe de gestion du risque développé par la Banque.

Si Jean-François Rischard, vice-président Europe de la Banque mondiale, évoque en réponse le mandat de la Banque qui est d'aider les plus pauvres, il rappelle aussi que "les pays dans lesquels la Banque mondiale intervient et ceux de l'Union européenne sont différents". On l'a compris, les acquis et les enjeux diffèrent en matière de politique sociale en fonction des continents.

Trois piliers pour les retraites

Tout comme pour les retraites, domaine dans lequel la Banque mondiale promeut depuis 1994 - date à laquelle elle a publié un rapport sur les retraites intitulé "Éviter la crise du vieillissement" - une approche à trois piliers. Celle-ci consiste en un premier pilier obligatoire par répartition et à gestion publique, un second pilier obligatoire également mais par capitalisation et à gestion privée et enfin des dispositifs par capitalisation et à gestion privée, mais à caractère facultatif. Cette doctrine désormais classique qu'elle met en pratique dans de nombreux pays, en particulier en Amérique latine (on parle même du "modèle chilien") et en Europe de l'Est, a suscité et suscite toujours, y compris au sein de la Banque mondiale, de vifs débats. Notamment avec le Bureau international du travail (BIT) qui rappelle dans un récent ouvrage son attachement au système par capitalisation.

Tous ces échanges, s'ils prenaient place dans le cadre plus large de la mondialisation, renvoyaient également au débat européen sur l'harmonisation des politiques sociales et au débat français qui focalise toutes les attentions avec le chantier de la refondation sociale initié il y a quelques mois.

 

* le 27 avril 2000


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