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Vieillesse: la mort par négligence

Par Delphine Saubaber, L’
Express livres

France

19 octobre 2006


Délaissés, mal soignés... Un livre réquisitoire dénonce le sort réservé par l'hôpital à nombre de patients âgés, qui accélère leur fin. Le symptôme d'une société malade.

«Mamita» avait fait jurer à Jeanne, sa fille, qu'elle s'assoupirait dans son petit lit, chez elle, «pas à l'hôpital, pas dans une maison de retraite». Sa vie chétive, depuis des mois, s'était rétrécie à sa chambre. Sa tête se perdait. Le jour de l'An, Mamita a fait une crise de lombalgie. Direction les urgences. Ça bouchonne. Mamita crie. Jeanne entend une infirmière, débordée: «C'est pas une urgence, la vieille, 85 ans et démente.» Mamita va rester là six heures, poids mort sur un brancard. Elle est admise en médecine interne. Elle panique. On l'attache. «Trois jours après, elle avait totalement changé, murmure Jeanne. Un matin, je l'ai retrouvée nue, déshydratée, sur son lit, en attendant ses couches. Un agent, pas formé, lui enfournait sa compote dans le dentier en dix minutes.» Peu après, aux soins intensifs, Mamita s'est endormie pour toujours, un tube dans le nez, une blouse d'hôpital pour linceul. Jeanne est arrivée trop tard, «d'une demi-heure». Elle n'a pas tenu sa promesse à Mamita. Elle hurle de rage et de honte: «On l'a tuée d'indifférence.»

On tue les vieux (Fayard): c'est le titre d'un livre-enquête qui sort ces jours-ci. Un réquisitoire délibérément provocateur qui cogne direct dans le plexus, histoire d'alerter les consciences sur «la maltraitance, insidieuse, addition de petits dysfonctionnements institutionnels, qui tue plus que la canicule», comme l'affirme le Pr Jacques Soubeyrand, coauteur et chef du service de médecine interne et gériatrie à l'hôpital Sainte-Marguerite de Marseille. «Il ne s'agit surtout pas de jeter l'opprobre sur les établissements, mais de dénoncer certaines dérives et un système tout économique, où la vieillesse n'est plus vue qu'en termes d'inutilité, de contraintes. A partir du moment où on ne donne pas à ces personnes tous les soins qu'elles mériteraient, on accélère leur fin.» Une «euthanasie économique et sociale», donc. Qui commencerait dès l'hôpital.

Déjà, plus le patient est vieux, plus il attend aux urgences. «Là où, pour un jeune de 20 ans, cardiaque, on va trouver un lit, il faut passer 50 coups de fil pour quelqu'un de 80 ans», résume le Dr Christophe Trivalle, gériatre à Paul-Brousse (Villejuif). Les services tournent à flux tendus et, faute d'unités de court séjour gériatrique dans de nombreux hôpitaux, les urgences manquent de solutions pour les anciens. Bien obligé, parfois, de les transférer où l'on peut, «c'est-à-dire n'importe où», souligne le Pr Alec Bizien, chef du service de médecine interne gériatrique de Georges-Clemenceau à Champcueil (Essonne), qui voit «trop souvent» arriver des patients du service de dermato... pour un problème au cœur, après quatre jours aux urgences. Selon une étude de 2003, 23% des personnes âgées étaient touchées par ces «mauvaises orientations».

Services non adaptés, défaut de personnel et de formation gériatrique... «C'est aussi comme ça qu'on crée la dépendance, affirme le Dr Patricia Fourmann-Geoffroy, chef d'un service de long séjour à Sarrebourg. Au lieu d'emmener ces patients aux toilettes, on les laisse au lit, on leur met des couches... Et ils deviennent grabataires.» Pour ceux dont l'état nécessite une admission dans un service de spécialité, d'autres problèmes se posent: «Si le patient est un peu dément, on nous dit: "Pas de place'', souligne le Dr Trivalle. Le service sait qu'il devra le garder plus longtemps et aura du mal, ensuite, à lui trouver une place en moyen séjour.» Le syndrome des «bloqueurs de lits»: «Un terme qu'on entend souvent», soupire le Pr Soubeyrand.

Parfois, la logique est poussée à son comble: «Parce que la situation devient intenable et pour libérer un lit, des soignants accélèrent la fin de vie, et celle notamment des personnes âgées, par des surcharges médicamenteuses. C'est un secret de Polichinelle», affirme le Dr Jean-Marie Gomas, responsable du centre de la douleur chronique et du centre de soins palliatifs de l'hôpital Sainte-Périne, à Paris. Il l'a dit devant la commission Leonetti sur la fin de vie. «Mais, depuis la loi, précise-t-il, cela s'améliore.»

Sans cesse, l'éthique doit composer avec le système et ses règles économiques. Il y a cinq ans, il arrivait au Pr Bizien de proposer des lits à des confrères. Aujourd'hui, il ne prend plus que 1 patient sur 10. «Le vieux en vrac chez lui, je le laisse tomber car le lit a été attribué dix minutes avant.»

Depuis 2004, la réforme de rémunération des hôpitaux - la tarification à l'activité (T2A) - accentue encore la pression. A chaque malade et sa pathologie, un forfait alloué. Or les anciens, souvent polypathologiques, ont du mal à rester dans ces clous. Trop coûteux. «Chez nous, on les garde aussi longtemps qu'avant, témoigne le Dr Trivalle. Mais on se fait taper sur les doigts: "Votre durée moyenne de séjour est dix fois plus longue que dans les autres services."»

Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l'admet: «Si l'on n'y prend garde, la T2A peut avoir pour effet pervers de sélectionner les patients.» L'AP-HP a donc élaboré un tableau de bord pour s'assurer que l'hôpital n'exclue pas les patients âgés. «C'est vrai, plus généralement, poursuit-elle, que le système leur fait violence et ce n'est pas la volonté des personnels. Vrai que les structures intermédiaires manquent, que les lits de long séjour ferment et qu'un plan s'imposait» (voir l'encadré).

Vrai, aussi, que d'autres médecins mettent l'accent, à rebours des auteurs du livre, sur l'hypermédication et l'acharnement thérapeutique que subissent nombre de patients âgés. Trop ou trop peu. C'est la réponse incertaine d'une société vieillissante confrontée à la perspective de son propre «naufrage».



On tue les vieux
, de Christophe Fernandez, Thierry Pons, Dominique Prédali, Jacques Soubeyrand
Broché-Fayard, 2006


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