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Laisser mourir de faim

Par Sandrine Blanchard, Le Monde

France

5 fevrier 2006

C'est fini, je ne veux plus manger, je reste dans mon lit, je ne bouge plus." Geneviève s'est cassé le col du fémur. Sans attache familiale, cette dame âgée est une ancienne nounou qui a longtemps vécu en institution. Hos- pitalisée, elle n'est pas en fin de vie maisveut en finir avec la vie. Elle refuse tout soin et toute alimentation. L'équipe médicale essaie en vain de la convaincre. 

A l'issue d'une réunion, les soignants décident de lui poser une sonde gastrique. " Sinon, on ne s'en sortira pas", estiment-ils. " On l'a d'abord menacée de mettre la sonde si elle ne mangeait pas, puis on est passé à l'acte, mais elle a tout arraché", raconte le docteur Pascale Fouassier, médecin de soins palliatifs à l'hôpital Charles-Foix d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). "On a fait appel au psychiatre, au psychologue pour tenter de comprendre s'il y avait un état dépressif, mais ce n'était pas vraiment cela. C'était une décision, une demande d'euthanasie qu'elle mettait en acte elle-même", poursuit le médecin. "Est-elle sous tutelle ? Donne-t-elle son consentement pour les soins ?", a demandé un chirurgien. Réponses négatives.

"Il était donc clair que l'on ne pouvait pas poser la sonde", explique le docteur Fouassier. En outrepassant le consentement de la patiente, l'équipe médicale se retrouvait hors la loi. "Quels que soient la tension et nos enjeux personnels, la loi dit qu'on ne peut pas aller contre l'avis du malade", rappelle le médecin. Les soignants ont alors "accompagné" Geneviève vers la mort. "Cela s'est bien passé, elle a bu un peu, elle n'a pas mangé, mais surtout elle s'est mise à parler alors qu'elle ne parlait pas. Elle ne souffrait pas, elle a eu une fin douce, qui a duré deux mois", se souvient le docteur Fouassier.

Cette histoire illustre le dilemme des médecins confrontés à la fin de vie. Elle figurait parmi les nombreux témoignages recueillis lors d'un colloque à l'hôpital Cochin de Paris, en novembre. A l'initiative du Centre d'éthique clini- que, la rencontre visait à comprendre, sur un plan médical, ce qui se passe lorsqu'on décide un arrêt d'alimentation. Quand tout espoir est vain et que les traitements ont été interrompus, faut-il aussi stopper la nutrition artificielle ? Lorsque le patient en fin de vie n'est plus en mesure de se nourrir, qu'il s'étouffe à la moindre cuillère, faut-il lui poser une sonde parentérale pour l'alimenter artificiellement ? A l'heure où le débat sur l'euthanasie est relancé par diverses affaires entre les mains de la justice, ces questions sont primordiales.

Cesser d'alimenter s'apparente au geste ultime. Un geste chargé de fantasmes, souvent difficilement acceptable par les proches du malade, vécu par certains personnels soignants comme une forme d'euthanasie et par d'autres comme une décision médicale juste.

En 2005, aux Etats-Unis, le drame de Terri Schiavo, plongée dans un état végétatif depuis quinze ans, fut l'enjeu d'un long et difficile débat politico- juridique. Le mari de cette Floridienne de 41 ans, dont le cerveau avait été irrémédiablement endommagé à la suite d'un arrêt cardiaque de plusieurs minutes, demandait qu'on interrompe l'alimentation artificielle de sa femme, tandis que les parents réclamaient qu'elle soit maintenue en vie. La justice a finalement donné raison à l'époux. Terri Schiavo est morte en treize jours.

En instaurant le droit à "laisser mourir", la loi française du 22 avril 2005 relative à la fin de vie permet-elle aussi - même si l'expression est abusive - de laisser "mourir de faim" ? Oui, répondent ses défenseurs, puisqu'elle consacre le droit du patient à refuser "tout traitement" (article 6). "On ne peut pas laisser quelqu'un mourir de faim, c'est une torture morale", rétorquent ses détracteurs, qui réclament le droit au suicide assisté, comme l'avait demandé avec insistance le jeune tétraplégique Vin- cent Humbert. Son histoire est devenue emblématique pour ceux qui demandent que la loi intègre l'"exception d'euthanasie".

Les députés Jean Léonetti (UMP), Nadine Morano (UMP) et Gaëtan Gorce (PS), à l'origine de la nouvelle loi, considèrent que si cette législation avait été en vigueur en 2003 il n'y aurait pas eu d'affaire Humbert. "Vincent aurait demandé et obtenu l'arrêt de l'alimentation artificielle dont dépendait sa vie, et il aurait bénéficié d'un accompagnement de soins palliatifs", font-ils valoir.

Est-ce si simple ? Dans quelles conditions et dans quel délai la mort survient-elle, qu'il s'agisse d'une personne atteinte d'un cancer à un stade évolué ou d'un jeune patient en état neurovégétatif ? "Arrêter l'alimentation, c'est possible, mais cela ne se passe pas forcément bien à tous les coups", souligne le docteur Fouassier.

Que penser du cas de Florence ? Atteinte d'une tumeur cérébrale, cette femme de 52 ans est admise un 15 mai, après l'aggravation de sa maladie, au service de soins palliatifs de l'hôpital parisien Les Diaconesses. Hémiplégie progressive, difficulté d'élocution, cri- ses convulsives, elle ne veut pas que son entourage la voie devenir aphasique et grabataire. "On a beaucoup discuté. On avait convenu de ne faire aucun acharnement thérapeutique à partir du moment où la maladie l'empêcherait de communiquer et de parler", se souvient le médecin. 

Pendant trois semaines, Florence parvient à profiter des visites de ses copines. Puis son état empire. Elle ne peut presque plus bouger, commence à avoir des troubles de déglutition et des "fausses routes" (l'alimentation qui passe dans les voies respiratoires).

Placée sous corticoïdes, anxiolytiques, antidépresseurs, elle navigue entre phases de désespoir et de présence. "Elle était, à certains moments, tout à fait désespérée, elle faisait des crises de larmes impressionnantes, elle a demandé à être sous sédation partielle, raconte le docteur Desfosses. Cet état de torpeur lui évitait de ressentir cette fin de vie qui se faisait progressivement." A d'autres moments elle était "très com-municative avec les yeux, elle ne pouvait plus parler mais elle chantonnait avec les infirmières et était visiblement contente lors des visites de ses amies", témoigne le médecin.

A partir du 8 août, l'équipe médicale décide d'arrêter totalement l'alimentation puis, le 8 septembre, d'interrompre l'hydratation. Florence est morte le 26 septembre "avec une grosse altération de son état général... C'était très long, très impressionnant", reconnaît le doc-teur Desfosses. Pendant cette ultime période, elle a présenté plusieurs escarres, sa peau s'abîmait et se décollait. "J'ai trouvé cela très pénible pour cette femme qui était attachée à son apparence et à sa beauté", poursuit le médecin. Et puis quel sens donner à ces quinze derniers jours ?

"Je ne partage pas certains poncifs des soins palliatifs qui disent que si la personne ne meurt pas, c'est qu'elle a encore des choses à vivre", répond avec franchise le docteur Desfosses. "J'ai un sentiment d'insatisfaction d'avoir vu cette patiente souffrir. (...) Les décisions prises en soins palliatifs n'ont pas permis que la mort survienne, alors qu'elle avait, de mon point de vue, vécu au-delà de ce qu'elle souhaitait."

Pour Marguerite, rien n'aura été inutile. Mutique, atteinte de démence et de pneumopathies de déglutition, cette dame âgée ne pouvait plus s'alimenter. 

"Nous avons posé la gastrostomie (ouverture chirurgicale de l'estomac pour permettre l'alimentation directe) pour donner du temps à la famille", explique le docteur Fouassier. Marguerite a survécu six mois. "Ce temps qui paraît parfois superfétatoire a eu du sens pour la famille", poursuit-elle. Car Marguerite, femme battue qui avait abandonné ses enfants petits, s'est remise à parler avec sa fille. Quinze jours avant son décès, elles se sont réconciliées. "Là, c'est davantage le contexte familial que médical qui a guidé notre décision", reconnaît le médecin.

Un tout autre cas a été relaté par le docteur Hervé Mal, responsable d'une unité de réanimation-pneumologie à l'hôpital Beaujon de Clichy. C'est l'histoire d'une Américaine de 51 ans, plongée dans un coma profond après avoir inhalé les fumées d'incendie de l'hôtel où elle séjournait en famille. Son fils et son mari y sont morts. Trois semaines après l'hospitalisation, elle parvient à respirer seule et est alimentée par sonde gastrique. Ses proches ont d'abord l'espoir d'un réveil puis ils expriment "clairement le souhait qu'il n'y ait pas d'acharnement thérapeutique", se souvient le médecin.

L'équipe soignante est divisée. "Un collègue suggère une euthanasie active, un cadre infirmier est opposé à toute idée d'arrêt des traitements, une attitude attentiste est jugée préférable par la majorité", raconte-t-il. Une semaine plus tard, alors que l'IRM cérébrale confirme un coma végétatif, la famille demande que l'alimentation soit stoppée. L'équipe médicale refuse. "Nous ne percevions pas l'alimentation comme un traitement. Pour nous, interrompre la nutrition par sonde s'assimilait à une euthanasie active. Nous redoutions les complications médico-légales et nous crai-gnions aussi les conséquences physiques de l'arrêt de nutrition", explique le docteur Mal.

La famille propose alors au médecin de contacter un bioéthicien américain. "Celui-ci nous dit considérer l'alimentation entérale comme un traitement et nous demande d'accéder à la demande de la famille." L'équipe française fera encore appel à un expert extérieur avant de se laisser convaincre. La sonde est retirée. La patiente mourra dix jours plus tard "paisiblement, sans modification physique notable". 


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