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Deux ans après Enron, de nouveaux scandales agitent Wall Street

Cécile Ducourtieux et Dominique Gallois, Le Monde

November 11, 2003

Le procureur général de l'Etat de New York, Eliot Spitzer, et les autorités boursières lancent de multiples enquêtes sur la gestion des "mutual funds". Les grandes firmes s'inquiètent et renvoient les salariés impliqués. La Bourse de New York veut se réformer.

La bourse américaine en finira-t-elle avec les scandales? Deux ans après l'affaire Enron, qui avait révélé des pratiques comptables frauduleuses et le comportement litigieux de certains analystes financiers, c'est au tour des gestionnaires de fonds d'investissement, ces mutual funds gérant 7 000 milliards de dollars, d'être mis au banc des accusés.

Lundi 10 novembre, le Financial Times révélait que le procureur général de l'Etat de New York, Eliot Spitzer, s'apprêtait à lancer dans les deux semaines à venir une série de plaintes au civil et au pénal contre les fonds Invesco (groupe Amvescap), Strong Capital Management, Alliance Capital Management et Security Trust. 

Le même jour, Alliance capital management, un fonds contrôlé par l'assureur français Axa, a contraint deux de ses dirigeants, John D. Carifa et Michael J. Laughlin, à démissionner."Ils occupaient tous deux des postes de responsabilité importante et directe dans la partie de nos mutual funds qui a autorisé des transactions à court terme inappropriées, dont certaines ont eu des conséquences négatives sur le rendement à long terme du fonds", a expliqué Lewis Sanders, PDG d'Alliance Capital.

Une semaine auparavant, le groupe financier Marsh and McLennan Companies (MMC) annonçait le départ immédiat de Lawrence Lasser, PDG de son fonds, Putnam Investments, en poste depuis 1986. La veille, Richard Strong, patron du Strong Mutual Fund, était obligé de quitter ses fonctions après avoir été accusé de s'être livré à des pratiques répréhensibles pour son propre compte. De leur côté, Bank of America, Merrill Lynch et Bank One ont renvoyé des salariés.

Cette purge est une des conséquences de l'offensive lancée le 3 septembre par Eliot Spitzer. Le très médiatique procureur général de New York - déjà à l'origine des poursuites contre des analystes stars de Wall Street - a décidé de se pencher sur le fonctionnement des mutual funds, soupçonnant les gestionnaires " d'avoir fait perdre des milliards de dollars aux investisseurs".

M. Spitzer a reçu, dès le 4 septembre, le soutien de la Securities Exchange Commission (SEC). Le gendarme de la Bourse a demandé à 80 grandes firmes de Wall Street et à 20 fonds d'investissements de lui remettre des documents pour examiner leur fonctionnement.

Des dizaines d'enquêtes sont lancées par les deux autorités contre des maisons aussi prestigieuses que Bank of America, Fidelity Investments, Prudential, Deutsche Bank et Morgan Stanley. Conséquence, des grands fonds de pension, gérant les retraites de millions d'Américains, commencent à quitter leurs courtiers dès qu'ils font l'objet d'enquêtes. Le 4 novembre, la SEC a annoncé avoir porté plainte au civil contre une demi-douzaine de salariés de la maison de courtage Prudential Securities, accusés de fraude, et qui ont été contraints à la démission.

Dans cette affaire, les autorités boursières jouent leur réputation. Une fois de plus, certains critiquent le fait qu'elles n'aient pas été capables de protéger les intérêts des épargnants à temps. Avant la fin novembre, la SEC devrait proposer des règles encadrant plus sévèrement les pratiques des gérants. Elle a également décidé d'élargir son enquête aux introductions en Bourse auxquelles ces fonds ont participé massivement à la fin des années 1990. Enfin, vendredi, William Donaldson, président de la SEC, a annoncé lors de la réunion annuelle de l'Association américaine des sociétés de courtage, que l'autorité allait mettre en place un groupe de travail chargé d'évaluer les " abus de demain" en termes de transactions financières, "pour anticiper et, je l'espère, éviter des problèmes importants avant qu'ils n'éclatent".

Contrairement aux scandales précédents, comme celui d'Enron, apparus après le krach de mars 2000, les marchés ne semblent pas, pour le moment, trop affectés par ces "affaires". L'indice Dow Jones a ainsi atteint son plus haut niveau depuis dix-huit mois au début du mois de novembre. Les investisseurs restent momentanément concentrés sur des indicateurs macroéconomiques indiquant le retour d'une croissance américaine exceptionnellement dynamique. Toutefois, lundi, les valeurs financières ont chuté après l'annonce de poursuites éventuelles contre certains groupes financiers.

Simultanément, la Bourse de New York tente, elle aussi, de redorer son image, entachée après la révélation des 187,5 millions de dollars de revenus accordés par le conseil d'administration à son ancien PDG, Robert Grasso, qui avait été contraint à la démission. Le New York Stock Exchange (NYSE) est stigmatisé pour avoir donné un déplorable exemple de gouvernement d'entreprise. Non seulement le NYSE est un organisme à but non lucratif, mais la Bourse a, en plus, fortement chuté depuis deux ans.

Pour éviter la perte de confiance des investisseurs, le président par intérim, John Reed, doit désormais réformer rapidement le New York Stock Exchange. Le 5 novembre, M. Reed a présenté un projet de nouveau conseil d'administration, ramené de 27 à 8 personnalités, indépendantes des marchés financiers.

Les membres de la place boursière doivent se prononcer sur ce projet par un vote le 18 novembre. John Reed devra aussi proposer des noms de candidats potentiels pour le remplacer durablement à la tête de la Bourse.
Certains espéraient aussi que le fonctionnement du marché soit en même temps dépoussiéré. Ils remettent, notamment, en cause les prérogatives de la Bourse en matière de régulation. Depuis les années 1930, le NYSE est en effet chargé d'édicter une partie de la réglementation des sociétés cotées et des firmes financières, tout en représentant, par ailleurs, les intérêts des intervenants boursiers. Le fonds de pension Calpers a sommé, jeudi 6 novembre, la SEC de rejeter les propositions de réformes présentées la veille par John Reed, estimant, entre autres, qu'elles n'abordaient pas le problème de l'"autorégulation".

50 % des Américains ont des "mutual funds" 

Les mutual funds sont l'équivalent des organismes français de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Très populaires aux Etats-Unis, les 8 256 fonds gèrent 7 000 milliards de dollars (6 100 milliards d'euros). Environ 95 millions d'Américains, soit la moitié des ménages du pays, ont investi dans ce type de placement. Chaque année, entre novembre et décembre, ces fonds redistribuent tous les bénéfices réalisés à leurs actionnaires.

Certains gestionnaires sont accusés de s'être enrichis en effectuant des transactions à court terme (market timing) ou tardives (late trading). Les premières consistent en des allers-retours sur des parts d'un fonds. Ces pratiques permettant de profiter des différences momentanées de prix ne sont pas interdites, mais mal vues, car elles augmentent les frais, font baisser le rendement à long terme, et donc les bénéfices reversés aux investisseurs. La seconde pratique est illégale. Certains clients ont pu acheter ou vendre après la clôture, lorsque la valeur du fonds est connue. Cela revient à "parier sur une course de chevaux après le franchissement de la ligne d'arrivée", estime le procureur général de l'Etat de New York, Eliot Spitzer.


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