La retraite à 70 ans

Par: Yves Chassard
Libération, 1er février 2001

Les salariés devraient avoir le choix de faire valoir leurs droits à la retraite sur une plage d'âge beaucoup plus large qu'aujourd'hui.

On aurait tort de croire, après l'échec de l'ultimatum du Medef sur les retraites complémentaires, qu'il est... urgent d'attendre. C'est bien dès maintenant qu'il faut se soucier d'allonger la durée de carrière des salariés. Mais cela ne se fera pas en augmentant simplement le nombre d'années de cotisations nécessaires pour percevoir une pension à taux plein.

Ne nous y trompons pas. La génération d'après le baby-boom (celle qui est née dans les années 60 et 70) a déjà intégré le fait qu'elle devra travailler plus longtemps. Alors même qu'elle a galéré pour rentrer sur le marché du travail, elle n'admettra pas que ses parents partent en retraite, à ses frais, aussi tôt et dans d'aussi bonnes conditions qu'aujourd'hui. Si l'on ne fait rien, les comportements individualistes vont se multiplier parmi les jeunes salariés (avec la capitalisation, chacun cotise pour soi-même...) et l'on va tout droit vers un conflit de générations. Une réforme des retraites qui ne toucherait pas la génération du baby-boom est politiquement intenable.

La vraie question ne porte donc pas sur le principe d'un allongement de la durée de cotisations, mais sur ses modalités. Certes, nous croyons aujourd'hui qu'il n'y a pas de place pour les salariés âgés sur le marché du travail. Mais le postulat qui a fondé la culture de la préretraite dans notre pays (un départ anticipé en retraite libère un emploi pour un jeune) va bientôt perdre l'essentiel de sa légitimité. Avec le vieillissement démographique, nous serons confrontés, dans les prochaines années, à un problème d'emploi des vieux davantage que de chômage des jeunes. Que les salariés restent actifs après 60 ans, c'est possible.

Le pessimisme ambiant est amplifié par l'effet pervers des politiques menées jusqu'à présent en France. Le problème a été abordé en se situant toujours implicitement dans l'optique du maintien des salariés seniors dans l'entreprise où ils travaillent, sans jamais évoquer l'idée de leur mobilité. Or la comparaison internationale montre que la mobilité en fin de carrière augmente les opportunités d'emploi. Dès lors que le taux de chômage baisse, des entreprises trouvent intérêt à employer des travailleurs âgés, sans que ces emplois soient subventionnés ni qu'elles agissent dans un but philanthropique.

Pourtant les tentatives faites jusqu'ici en France pour repousser l'âge effectif de cessation d'activité (largement en dessous de 60 ans en moyenne, soit l'un des plus bas en Europe) ont toutes échoué parce que les préretraites ont été et sont encore utilisées comme mode de traitement soft des suppressions d'emploi liées aux grandes restructurations industrielles. Ces restructurations ne sont pas terminées, notamment dans le secteur banques-assurances, mais l'essentiel est derrière nous. Par ailleurs s'est développée depuis 25 ans une coalition d'intérêts entre entreprises et salariés pour reporter sur la collectivité le coût financier des départs anticipés en retraite.

La majorité des salariés cherche à partir en retraite le plus tôt possible, pour en finir avec le stress, la peur du chômage, la pression à la performance. Ces attitudes sont profondément ancrées désormais et l'on ne les changera pas par la contrainte. Si l'on retarde l'âge de la retraite, il y a fort à parier que l'on verra un recours accru aux prestations d'invalidité (comme aux Pays-Bas) ou, tout simplement, de chômage sans véritable recherche d'emploi.

Ce que nous montre l'exemple de l'étranger, c'est que les pays où les taux d'activité après 55 ans sont élevés sont des pays où il est financièrement rentable de travailler longtemps. Si l'on veut que les salariés restent plus longtemps en activité, il faut qu'ils en soient justement récompensés. Cet objectif devrait inspirer la réforme des retraites. Les régimes de base et complémentaires devraient offrir à chacun la possibilité de choisir librement et en toute équité l'âge de liquidation de ses droits à retraite. Ceci suppose que le montant de la pension annuelle s'ajuste, en fonction de l'âge de départ, à celui des droits accumulés.

Les salariés pourraient avoir le choix de liquider leurs droits à retraite sur une plage d'âge beaucoup plus large, par exemple entre 50 et 70 ans. S'ils demandent leur retraite à 50 ans, ils toucheraient moins, parce qu'ils auront moins de cotisations, mais aussi parce qu'ils percevront cette retraite plus longtemps. Mais, s'ils décident de ne pas le faire, le montant de leur retraite devrait en être augmenté, de façon à ce que le système fonctionne de façon parfaitement équitable. Un calcul simple montre que l'ordre de grandeur de cette récompense devrait être non négligeable. Repousser sa retraite de 60 à 62 ans pourrait ainsi rapporter un supplément de retraite de 13 % environ : 5 % parce que l'on a accumulé 2 ans de cotisations supplémentaires (2/40 = 5 %) et 8 % parce que l'on a repoussé de 2 ans son départ (si l'on admet, par exemple, que l'espérance de vie à 60 ans est de 25 ans, 2/25 = 8 %).

On devrait également être autorisé à percevoir un revenu d'activité en complément de sa retraite : pouvoir cumuler une retraite et un revenud'activité permettrait d'entamer une deuxième carrière, peut-être moins rémunérée, mais aussi moins stressante.

En lieu et place de la retraite, nous devrions ainsi avoir deux types de prestations : une de seconde partie de vie, sur le modèle décrit ci-dessus, et une d'assurance dépendance pour ceux qui viennent à perdre, avec l'âge ou la maladie, leur autonomie dans la vie quotidienne. Au moment où ils vont devoir s'engager dans un processus de réforme, le gouvernement et les partenaires sociaux seraient avisés de garder à l'esprit cette architecture du système de protection sociale.