Retraites: l'avenir est au départ à la carte

Par: François Wenz-Dumas
Libération, 21 février 2001 

Ce n'est pas l'immigration qui permettra de faire l'économie d'une réforme.

L'alignement des régimes spéciaux du public sur le régime général du privé est un préalable absolu. Maintenant que le chantier «retraites» est enterré pour dix-huit mois, on pourrait au moins prendre le temps de réfléchir.La prochaine fenêtre de lancement pour une réforme globale des retraites s'ouvre en effet entre le second tour de l'élection présidentielle et le 31 décembre 2002. Tel est le sens de l'accord conclu le 10 février entre les trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) et deux syndicats (CFDT et CFTC). 

A bien des égards, le débat sur la réforme des retraites rappelle celui autour de l'école publique. Les discours sont de l'ordre du symbolique, du religieux. Aucun argumentaire rationnel ne fait le poids. Balayée la logique économique, oubliée l'appréciation sereine des grands équilibres sociaux. Et quand des gens aussi sérieux que Charles Wyplosz (Libération du 19/02/2001) en oublient les fondamentaux de la macroéconomie, la confusion atteint des sommets. 

Non, l'immigration ne volera pas au secours des retraites. Qu'elle soit un atout formidable pour la société française, et son football en particulier, qu'elle dynamise la pyramide des âges, qu'elle ouvre les esprits: formidable. Mais qu'elle permette de faire l'économie d'une réforme des retraites, c'est une autre histoire. A moins que l'on décide d'utiliser les cotisations des immigrés pour financer la retraite des enfants français du baby-boom et qu'on les renvoie ensuite chez eux avec une pension de misère. Sinon, qui paiera la retraite des immigrés et après eux celle de leurs enfants? 

Le mécanisme que suggère Charles Wyplosz pour sauver les retraites s'appelle un avion. Dix personnes en embauchent chacune dix, qui en embauchent dix à leur tour, etc. Chaque embauché verse une somme d'argent à celui qui l'a recruté et se rattrape sur ses futures victimes. Tout cela marche merveilleusement si l'on postule que le nombre de personnes intéressées est infini. Mais comme ce n'est pas le cas sur terre, les initiateurs du système finissent aux Bahamas ou en prison, et les derniers recrutés meurent de faim. 

Quel est le problème? L'ensemble des retraites coûte aujourd'hui 1 100 milliards de francs (168 milliards d'euros) par an, soit 12 % du PIB. A partir de 2040, elles coûteront chaque année, si on ne change rien, un peu plus de 2 000 milliards de francs (305 milliards d'euros), soit 15 % de ce que sera alors le PIB. Réformer les retraites, c'est trouver un moyen de payer ces 3 % supplémentaires, soit une facture de 900 à 1 000 milliards de francs (137 à 152 milliards d'euros) par an, sans mettre en péril les équilibres économiques et sociaux. 

La première chose est de s'assurer que cette charge sera équitablement répartie. Or, quand on examine en détail les projections du rapport Charpin, on retient qu'il manquera 540 milliards de francs en 2040 pour équilibrer les retraites des 15 millions de salariés du privé et 400 milliards pour les régimes spéciaux, qui concernent 5 millions de salariés. 

Si l'on se contentait d'appliquer les mécanismes actuels jusqu'à ce que l'on parvienne à l'équilibre financier, les salariés du privé seraient doublement pénalisés. D'abord, dès 2004, ils auront à cotiser quarante ans pour toucher environ 60 % de leur meilleur salaire, alors que les régimes spéciaux sont basés sur 37 ans et demi pour 75 % du dernier salaire. Ensuite, ils devraient payer deux fois: comme assuré social pour leur propre retraite et comme contribuable pour éponger le déficit des régimes publics. Par tête, chaque salarié du privé, ou son entreprise, devrait ainsi payer 56 000 francs (8 537 euros): 36 000 francs (5 488 euros) pour sa propre retraite (40 % à sa charge, 60 % pour l'employeur) et 20 000 francs (3 049 euros) pour garantir la retraite de ses collègues du public, sous forme d'impôts, de surfacturation EDF ou de ticket de métro plus cher. Le fonctionnaire, ou le salarié d'entreprise publique, lui, n'aurait que ces 20 000 francs (3049 euros) à payer. 

Il est donc évident que l'alignement des régimes spéciaux du public sur le régime général du privé est un préalable absolu. Cela peut être fait en douceur, en inventant une solution équitable pour chaque cas de figure: intégration des primes, reconstitution de carrières, bonification pour postes exposés. Toute autre solution passe par l'impôt et revient donc à faire prendre en charge par les salariés du privé le plus gros du déficit du public. 

Une fois les régimes harmonisés, il n'existe que trois possibilités: augmenter les prélèvements, réduire les prestations ou modifier l'équilibre actifs-retraités. Sans doute jouera-t-on à la marge sur le premier paramètre. On pourrait ainsi, sans alourdir les prélèvements globaux, transférer quelques points de cotisation chômage vers l'assurance vieillesse. Mais aller au-delà compromettrait la croissance. Quant à réduire le montant des pensions versées, ce serait socialement injuste et économiquement tout aussi dangereux. Reste donc le passage par ce que l'accord Medef-CFDT-CFTC sur les retraites complémentaires appelle pudiquement le «recours privilégié à la variable de la durée de cotisation». 

Est-il scandaleux d'inciter intelligemment un salarié à partir à 64 ans voire 66 ans, tout en maintenant le droit de partir à 60 ans? Ce serait en tout cas efficace, car tout franc ainsi gagné en rapportera deux. Un retraité potentiel qui accepte de rester un peu plus longtemps à son poste, soit parce qu'il améliore sa future pension, soit parce qu'il y trouve d'autres avantages (statut valorisant, cessation progressive d'activité...) n'est pas seulement un cotisant en plus. C'est aussi un pensionné de moins. La priorité des priorités est donc bien d'encourager un nombre significatif de futurs retraités à retarder l'heure du départ. Pas de faire payer les pensions des fonctionnaires français par des immigrés travaillant dans le privé pour une retraite peau de chagrin. Car, ne l'oublions pas, seuls les ressortissants français peuvent devenir fonctionnaires ou salariés des entreprises publiques à statut. 


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