La duperie des fonds de pension. Au nom des entreprises."

Par: Dominique Plihon, Professeur à l’université Paris-Nord, coauteur de La Mondialisation financière (sous la coordination de François Chesnais), Syros, Paris, 1996. 

Note by Global Action on Aging.

French pension funds are regarded as powerful tools to develop the French economy and make sure that French companies remain in the hands of their citizens. 

Nevertheless, the author of the article is more skeptical. Showing that companies have a huge financial capacity to their disposal and, that the stock market is unable to generate enough cash flow for investment, Dominique Plihon wonders in which way the stock market is useful for the economy. According to the author, the stock market facilitates restructuring of industries as well as mergers and acquisitions movements. It also allows investors to control productive capital. 

However, Dominique Plihon notices the diminishing role of the banking system as a financial intermediary. Traditionally, Banks used to reduce uncertainty on the stock market. 

The author also reports of the changes in the management philosophy of big companies. In order to increase productivity, companies do not hesitate to downsize their workforce. Companies are also led by the imperious necessity of remunerating their shareholders. In this context, although employers are shareholders of their company, they have to bear both the risks of the financial market and workplace instability.

Les grandes entreprises françaises, qui disposent d'une épargne surabondante, n'ont nul besoin, pour leur développement, de fonds de pension spécifiquement « français ». Une appartenance nationale, quelle qu'elle soit, ne modifie en rien un comportement prédateur sacrifiant l'emploi et le long terme au profit de gains maximaux immédiats.
 

DIVERS arguments économiques sont actuellement « matraqués » dans l'opinion pour tenter de démontrer le caractère indispensable des fonds de pension. Ainsi, en fournissant des fonds propres aux entreprises françaises, ceux-ci permettraient d'éviter leur prise de contrôle par des investisseurs étrangers, contribueraient à stabiliser leur actionnariat, tout en favorisant le développement de la place boursière de Paris. 

On ne peut qu'être sceptique face à un tel raisonnement. L'appartenance nationale des fonds de pension n'influe guère sur leur stratégie, tous répartissant les risques entre les différentes régions du monde pour ne pas « mettre tous leurs oeufs dans le même panier ». On ne voit pas pourquoi, parce qu'ils seraient français, ils adopteraient un comportement spécifique, et ce qui changerait pour les entreprises concernées et leurs salariés. 

Par ailleurs, ces fonds ne sont pas les seuls susceptibles de gérer des investissements. En France, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (1) détiennent d'importantes participations industrielles. Et, par la taille de son portefeuille, cette industrie des OPCVM est la deuxième au monde, après celle des Etats-Unis. 

Deuxième argument invoqué, et qui se veut sans appel : par leurs prises de participation, ces investisseurs apporteraient aux entreprises les fonds propres dont elles ont besoin pour se développer. Cette affirmation est tout aussi contestable, et pour deux raisons au moins. 

En premier lieu, les capacités d'autofinancement des entreprises françaises sont très élevées, leur taux dépasse largement 100 % depuis plusieurs années. Elles disposent donc, en réalité, d'une épargne surabondante ! 

Deuxièmement, il faut savoir que, dans les faits, les marchés d'actions n'apportent pas d'argent frais aux entreprises : une étude récente de Salomon Smith Barney démontre ainsi que, sur l'ensemble des marchés européens, les émissions nettes d'actions - c'est- à-dire les montants bruts des émissions, corrigés des rachats d'actions et des dividendes versés aux actionnaires - sont négatives, et ce depuis de nombreuses années (2). Les dividendes versés atteignent un montant voisin de celui des émissions brutes d'actions, ce qui revient à dire que les sociétés émettent des actions pour financer la rémunération de leurs actionnaires. Globalement, les investisseurs prélèvent beaucoup plus de fonds sur elles qu'ils ne leur en apportent ! 

S'ils ne contribuent pas véritablement au financement des entreprises, quelle est donc l'utilité économique des marchés boursiers et, en particulier, de leurs principaux acteurs que sont les fonds de pension ? Essentiellement de faciliter les restructurations du capitalisme moderne par des opérations de croissance externe, de prises de contrôle (OPA) et de fusions-acquisitions. En achetant et vendant leurs participations, les fonds de pension font circuler le capital et accélèrent l'évolution vers une nouvelle configuration caractérisée par la prise de contrôle du capital productif par les investisseurs (fonds de pension, OPCVM et assurances) et, simultanément, par la création d'une classe de rentiers au sein même du salariat. 

La montée en puissance des fonds de pension a, en effet, deux séries de conséquences importantes sur le fonctionnement des économies capitalistes actuelles. Tout d'abord, elle va de pair avec une diminution du rôle des banques en tant qu'intermédiaires financiers - d'où l'expression de « désintermédiation financière ». Ce premier changement est déterminant car, traditionnellement, les intermédiaires bancaires avaient une fonction d'écran entre épargnants et entreprises, une partie importante de leur rôle consistant précisément à assumer, en le « mutualisant », le risque lié à cette fonction. Les banques garantissaient un certain revenu aux épargnants, tout en prêtant aux entreprises en quête de financement. Elles absorbaient les chocs conjoncturels, générateurs de décalages entre épargne et investissement, et supprimaient par là même tout lien entre ces deux actes. 

Avec les investisseurs financiers cet écran disparaît : c'est désormais l'épargnant individuel qui supporte entièrement le risque lié à la qualité du placement effectué sur les marchés financiers. Si les cours des titres baissent, les parts qu'il détient dans le fonds d'investissement perdent de leur valeur. Son patrimoine, donc sa retraite, est directement dépendant de l'évolution des marchés. 

Deuxième conséquence redoutable : l'influence croissante que les fonds de pension exercent sur les critères de gestion des entreprises dont ils sont actionnaires. Les seuls impératifs qui comptent pour eux sont l'augmentation de la rentabilité des fonds propres et la maximisation de la valeur actionnariale. L'objectif prioritaire n'est plus, comme dans la période fordiste antérieure, d'assurer la croissance de l'entreprise, mais de réaliser des gains de productivité. Si nécessaire, en fermant des unités de production jugées insuffisamment rentables ou, plus exactement, ne satisfaisant pas aux normes très élevées de rentabilité imposées par les investisseurs. 

Dans ce nouveau régime, la taille de l'entreprise et l'emploi deviennent des variables d'ajustement. Avec ce paradoxe que les salariés, victimes de l'insécurité croissante du capitalisme financier, sont en même temps des rentiers, propriétaires des portefeuilles des fonds de pension ! Ces salariés-rentiers sont ainsi doublement perdants : comme salariés, ils supportent les conséquences de la « flexibilité» exigée par la recherche effrénée du profit maximal immédiat ; en tant qu'épargnants, ils assument en première ligne les risques liés à l'instabilité des marchés financiers.
 
 

(1)Ce sont les mutual funds des pays anglo-saxons. Lire Richard Farnetti, « Le rôle des fonds de pension et d'investissement collectifs anglo-saxons dans l'essor de la finance globalisée », in La Mondialisation financière (sous la coordination de François Chesnais), Syros, Paris, 1996.

(2) Citée par l' Agefi du 4 janvier 1999.
 


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