Retraite et épargne : ne confondons pas !
Le
financement des retraites va être au cœur de la campagne présidentielle.
Jacques Chirac vient de proposer la création de fonds de pension à la
française et Lionel Jospin a plusieurs fois évoqué la question en
donnant la priorité à la retraite par répartition, mais sans écarter
l'idée d'un complément sous forme de capitalisation. Aux systèmes
par répartition du régime général de la Sécurité sociale et des
retraites complémentaires des cadres et des employés, à la somme
desquels équivalent les régimes spéciaux des entreprises nationalisées
et, par le biais du budget de l'Etat, celui des fonctionnaires, devrait
s'ajouter une dernière composante : les retraites constituées
individuellement par capitalisation, notamment à travers les fonds de
pension et l'épargne salariale. A l'appui de
cette proposition, classique à droite, mais nouvelle à gauche, on
souligne l'absence de fonds de pension français et l'accaparement par les
fonds de pension étrangers, notamment américains, d'une part croissante
du capital des grandes entreprises françaises, détenues, il est vrai,
aujourd'hui, à 20 ‰ environ, par des investisseurs étrangers. On
ajoute qu'il est sain que les salariés, par le biais des fonds de
pension, deviennent actionnaires des entreprises. Il convient
cependant d'éviter une regrettable confusion dans l'esprit du public. Depuis l'aube
des temps, quand le souci de l'entretien des vieillards n'était pas écarté
par la mort précoce, le suicide ou le géronticide, ceux-ci ont été
entretenus par le travail des actifs, sans toutefois qu'ils perdent toute
activité : on les chargeait des tâches matérielles les moins rudes
ou, plus dignement, on utilisait leurs savoirs botanique, climatique ou
guerrier, ou même on les érigeait en demi-dieux comme dans certaines
tribus de pasteurs d'Afrique de l'Est. Nos lointains ancêtres n'étaient
pas atteints du virus des préretraites qui a gagné la France ! En tout cas,
la solidarité intergénérationnelle est aussi vieille que l'humanité.
La retraite par répartition en est l'héritière directe dans nos sociétés
vastes et diversifiées. Elle prend une forme différente mais reste un
lien social essentiel et doit donc être au cœur de tout projet
socialiste. Elle doit donc assurer à la plus grande masse des citoyens,
un niveau de vie équivalent à celui dont ils ont bénéficié dans les
dernières années de leur vie active ou encore un taux de remplacement de
75 ‰ ou 80 ‰. Son travail
en tant qu'actif ayant été socialement validé par son salaire, dont la
partie indirecte a financé les retraites des inactifs d'alors, le retraité
devient légitimement ensuite bénéficiaire de la même solidarité. Sur
le plan purement économique, ce salaire indirect est immédiatement
transformé en revenu, donc en consommation, et la pension du retraité
est garantie par le renouvellement démographique. A l'opposé,
la retraite par capitalisation est au cœur même du projet individualiste,
celui pour lequel la société est d'abord une juxtaposition d'individus.
Chacun se constitue la retraite qu'il veut ! Tel est le principe très
libéral de cette retraite. Chacun se constitue la retraite qu'il peut !
Telle est sa première réalité. Chacun bénéficiera de la retraite
qu'auront su lui ménager les gestionnaires des fonds. Telle est sa
seconde réalité, dont les faillites d'Enron et, il y a quelques années,
du groupe Maxwell, ont montré la version tragique. Economiquement,
cette épargne est un prélèvement sur la consommation et le niveau de
pension du retraité dépend évidemment de ses choix de placement et de
la qualité de la gestion du dépositaire de ses fonds. Pour
maintenir la solidité de la retraite par répartition, les socialistes
n'ont pas d'autre choix que d'ajuster les durées de cotisations aux réalités
de la démographie. La constitution d'un fonds public alimenté par le
budget de l'Etat est une solution boiteuse, surtout si elle est fondée,
comme vient de le proposer Jacques Chirac, sur des privatisations qui
devraient alors atteindre des services publics essentiels dont le privé
est incapable d'assurer la fourniture universelle et équitable. Pour
consolider la retraite par répartition, il faut aligner à 40 annuités,
la durée de cotisation des agents de l'Etat, et porter peut-être en
15-20 ans la durée commune à 42 ou 43 ans, durée nécessaire
à la génération 1975 pour bénéficier en 2040 de son taux plein de
retraite. Cet allongement (théoriquement de 2 à 3 mois par an) est
d'ailleurs cohérent avec l'allongement de la durée de vie en meilleure
santé. Il est également justifié par la nécessité d'augmenter notre
taux d'activité. La faiblesse de ce dernier, notamment au-delà de 55 ans,
explique, à elle seule, qu'avec une productivité plus élevée que les
autres pays notre place en termes de PNB par habitant ne soit aujourd'hui
que la 12e sur les Quinze européens. Des
compensations (comme l'inclusion de leurs primes dans l'assiette de la
pension pour les fonctionnaires) ou assouplissements peuvent être trouvés,
pour les métiers pénibles, à l'allongement de la durée de cotisation,
comme ce fut le cas il y a soixante-dix ans pour les machinistes de
locomotives à charbon ou les mineurs. Par ailleurs,
la vraie modernité consisterait à prévoir aussi une ou deux années
sabbatiques par vie active qui aideraient à supporter la durée allongée
de celle-ci. Enfin, la "formation tout au long de la vie",
adoptée à gauche comme à droite, ne devrait-elle pas permettre au
chauffeur routier ou au traminot de changer d'emploi vers la quarantaine,
au lieu de revendiquer la retraite à 55 ans ? Sa retraite
ainsi constituée par répartition, chaque citoyen est évidemment libre
de se constituer individuellement, en sus, une épargne qui viendra, le
cas échéant, à la fin de sa vie active, augmenter son niveau de vie ou,
tout aussi bien, pourra lui permettre de financer un achat important ou de
transmettre un patrimoine à ses enfants. Mais, d'un point de vue
socialiste, ce capital ne doit pas être nécessaire au maintien de son
niveau de vie après cessation d'activité. Que l'épargne
soit fiscalement stimulée, que la petite épargne le soit un peu plus,
qu'en son sein l'épargne en actions le soit plus spécialement pour
inciter effectivement à l'actionnariat salarié, rien de cela n'est
contraire aux idéaux socialistes. Mais une telle politique de l'épargne
doit être clairement distinguée de la constitution obligatoire d'une
retraite complète par répartition.
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