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  Retraite et épargne : ne confondons pas !

 


By: Jean Matouk
Le Monde, March 8, 2002



Pour maintenir la solidité de la retraite par répartition, les socialistes n'ont pas d'autre choix que d'ajuster les durées de cotisations aux réalités de la démographie.

Le financement des retraites va être au cœur de la campagne présidentielle. Jacques Chirac vient de proposer la création de fonds de pension à la française et Lionel Jospin a plusieurs fois évoqué la question en donnant la priorité à la retraite par répartition, mais sans écarter l'idée d'un complément sous forme de capitalisation.

Aux systèmes par répartition du régime général de la Sécurité sociale et des retraites complémentaires des cadres et des employés, à la somme desquels équivalent les régimes spéciaux des entreprises nationalisées et, par le biais du budget de l'Etat, celui des fonctionnaires, devrait s'ajouter une dernière composante : les retraites constituées individuellement par capitalisation, notamment à travers les fonds de pension et l'épargne salariale.

A l'appui de cette proposition, classique à droite, mais nouvelle à gauche, on souligne l'absence de fonds de pension français et l'accaparement par les fonds de pension étrangers, notamment américains, d'une part croissante du capital des grandes entreprises françaises, détenues, il est vrai, aujourd'hui, à 20 ‰ environ, par des investisseurs étrangers. On ajoute qu'il est sain que les salariés, par le biais des fonds de pension, deviennent actionnaires des entreprises.

Il convient cependant d'éviter une regrettable confusion dans l'esprit du public.

Depuis l'aube des temps, quand le souci de l'entretien des vieillards n'était pas écarté par la mort précoce, le suicide ou le géronticide, ceux-ci ont été entretenus par le travail des actifs, sans toutefois qu'ils perdent toute activité : on les chargeait des tâches matérielles les moins rudes ou, plus dignement, on utilisait leurs savoirs botanique, climatique ou guerrier, ou même on les érigeait en demi-dieux comme dans certaines tribus de pasteurs d'Afrique de l'Est. Nos lointains ancêtres n'étaient pas atteints du virus des préretraites qui a gagné la France !

En tout cas, la solidarité intergénérationnelle est aussi vieille que l'humanité. La retraite par répartition en est l'héritière directe dans nos sociétés vastes et diversifiées. Elle prend une forme différente mais reste un lien social essentiel et doit donc être au cœur de tout projet socialiste. Elle doit donc assurer à la plus grande masse des citoyens, un niveau de vie équivalent à celui dont ils ont bénéficié dans les dernières années de leur vie active ou encore un taux de remplacement de 75 ‰ ou 80 ‰.

Son travail en tant qu'actif ayant été socialement validé par son salaire, dont la partie indirecte a financé les retraites des inactifs d'alors, le retraité devient légitimement ensuite bénéficiaire de la même solidarité. Sur le plan purement économique, ce salaire indirect est immédiatement transformé en revenu, donc en consommation, et la pension du retraité est garantie par le renouvellement démographique.

A l'opposé, la retraite par capitalisation est au cœur même du projet individualiste, celui pour lequel la société est d'abord une juxtaposition d'individus. Chacun se constitue la retraite qu'il veut ! Tel est le principe très libéral de cette retraite. Chacun se constitue la retraite qu'il peut ! Telle est sa première réalité. Chacun bénéficiera de la retraite qu'auront su lui ménager les gestionnaires des fonds. Telle est sa seconde réalité, dont les faillites d'Enron et, il y a quelques années, du groupe Maxwell, ont montré la version tragique.

Economiquement, cette épargne est un prélèvement sur la consommation et le niveau de pension du retraité dépend évidemment de ses choix de placement et de la qualité de la gestion du dépositaire de ses fonds.

Pour maintenir la solidité de la retraite par répartition, les socialistes n'ont pas d'autre choix que d'ajuster les durées de cotisations aux réalités de la démographie. La constitution d'un fonds public alimenté par le budget de l'Etat est une solution boiteuse, surtout si elle est fondée, comme vient de le proposer Jacques Chirac, sur des privatisations qui devraient alors atteindre des services publics essentiels dont le privé est incapable d'assurer la fourniture universelle et équitable.

Pour consolider la retraite par répartition, il faut aligner à 40 annuités, la durée de cotisation des agents de l'Etat, et porter peut-être en 15-20 ans la durée commune à 42 ou 43 ans, durée nécessaire à la génération 1975 pour bénéficier en 2040 de son taux plein de retraite. Cet allongement (théoriquement de 2 à 3 mois par an) est d'ailleurs cohérent avec l'allongement de la durée de vie en meilleure santé. Il est également justifié par la nécessité d'augmenter notre taux d'activité. La faiblesse de ce dernier, notamment au-delà de 55 ans, explique, à elle seule, qu'avec une productivité plus élevée que les autres pays notre place en termes de PNB par habitant ne soit aujourd'hui que la 12e sur les Quinze européens.

Des compensations (comme l'inclusion de leurs primes dans l'assiette de la pension pour les fonctionnaires) ou assouplissements peuvent être trouvés, pour les métiers pénibles, à l'allongement de la durée de cotisation, comme ce fut le cas il y a soixante-dix ans pour les machinistes de locomotives à charbon ou les mineurs.

Par ailleurs, la vraie modernité consisterait à prévoir aussi une ou deux années sabbatiques par vie active qui aideraient à supporter la durée allongée de celle-ci. Enfin, la "formation tout au long de la vie", adoptée à gauche comme à droite, ne devrait-elle pas permettre au chauffeur routier ou au traminot de changer d'emploi vers la quarantaine, au lieu de revendiquer la retraite à 55 ans ?

Sa retraite ainsi constituée par répartition, chaque citoyen est évidemment libre de se constituer individuellement, en sus, une épargne qui viendra, le cas échéant, à la fin de sa vie active, augmenter son niveau de vie ou, tout aussi bien, pourra lui permettre de financer un achat important ou de transmettre un patrimoine à ses enfants. Mais, d'un point de vue socialiste, ce capital ne doit pas être nécessaire au maintien de son niveau de vie après cessation d'activité.

Que l'épargne soit fiscalement stimulée, que la petite épargne le soit un peu plus, qu'en son sein l'épargne en actions le soit plus spécialement pour inciter effectivement à l'actionnariat salarié, rien de cela n'est contraire aux idéaux socialistes. Mais une telle politique de l'épargne doit être clairement distinguée de la constitution obligatoire d'une retraite complète par répartition.

 

 

 


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