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Des centenaires américains trop occupés pour quitter le marché de l'emploi...

Par: Yves Mamou
Le Monde, 29 janvier 2001

Norris Hatcher est un employé dévoué. Huit heures par jour, cinq jours par semaine, il manie avec célérité tournevis et agrafeuse dans un atelier de Bassett Furniture Industries, un fabricant de meubles nord-américain. Norris Hatcher aime travailler de ses mains. Il a 94 ans. « Je prendrai ma retraite quand je serai vraiment vieux », confie-t-il non sans humour à qui s'inquiète de son âge.

Norris Hatcher n'a rien d'une exception. Des hommes (et des femmes) comme F. William Sunderman, 102 ans, médecin en activité au Pennsylvania Hospital de Philadelphie, ou Clarence Wilcox, 92 ans, ingénieur à Huachuca City (Arizona), ou encore Charlotte Haugland, 91 ans, commissaire aux comptes à Tacoma (Washington) sont devenus – bien malgré eux – des stars de la scène médiatique. Agés, et même très âgés, ils sont le symbole d'une symbiose progressive entre âge et travail qui transforme progressivement, sans réduire son dynamisme, le monde du travail aux Etats Unis

Le phénomène est encore trop récent pour faire l'objet de recherches approfondies, au plan sociologique notamment, mais le département statistiques du ministère du travail américain (Bureau of labor statistics) a mis en évidence l'extension du phénomène. Les plus de 55 ans, qui représentaient entre 1988 et 1998 12,5 % de la force de travail en activité, soit 17 millions de personnes, représenteront dans moins de dix ans (en 2008) 16,23 % de la population active, soit 25 millions de personnes sur 154 millions de salariés.

Le vieillissement de la main-d'œuvre est un mouvement de fond. Ses causes sont doubles : le plein emploi (4 % de chômage) qui crée des pénuries de main-d'œuvre sur le marché du travail et pousse les entreprises à séduire des salariés âgés qu'elles auraient dédaignés, voire même licenciés en période de croissance molle. Et, deuxième raison, l'allongement de la durée de la vie qui donne à un nombre croissant de quinquagénaires le désir de demeurer actifs une fois sonné l'âge fatidique de la retraite.

Un sondage effectué en 1998 par l'American Association of Retired Persons, la principale organisation de retraités américaine, révélait que 80 % des baby-boomers d'aujourd'hui – personnes nées entre 1946 et 1956 – envisageaient de garder une activité professionnelle passé l'âge de 65 ans. 
Un sondage plus récent effectué sur la base de 3 048 personnes par le Council on Aging a amené James Firman, son président, à déclarer que les Américains sont sur le point de « redéfinir en profondeur le mot retraite : la vision stéréotypée du salarié qui travaille jusqu'à 65 ans, émigre en Floride pour passer le reste de sa vie à se balancer sur un rocking-chair est globalement périmée », expliquait-il.

Ce mouvement de réévaluation a été encouragé par le gouvernement Clinton. Pour inciter plus encore les sexagénaires et même les septuagénaires à demeurer sur le marché du travail, le Congrès a adopté, par un vote unanime le 7 avril 2000, le Senior Citizens Freedom to Work Act. Cette nouvelle loi élimine les pénalités instituées depuis 1940 à l'encontre des retraités qui exerçaient une activité professionnelle. Plutôt que de réduire les pensions de retraite au prorata des revenus salariaux – 1 dollar de pension de retraite en moins pour trois dollars de revenus salariaux au-delà de 17 000 dollars de revenus —, il est désormais possible de cumuler retraite et revenus salariaux sans pénalités aucune. Cette règle nouvelle a pour but d'inciter les sexagénaires à reporter la date de leur départ en retraite. Du fait de la réduction des pensions, le nombre de salariés encore en activité entre 60 et 65 ans chute quasiment de moitié, passant de 70 % à moins de 40 % pour les hommes et de 50 % à 22 % pour les femmes. Le cumul sans pénalités d'une retraite et d'un travail devrait coûter 23 milliards de dollars aux caisses de la sécurité sociale américaine, mais les ressources nouvelles issues de l'impôt sur le revenu compenseront partiellement cette dépense.

Cette volonté de maintenir les personnes âgées dans le circuit productif est aussi renforcée par un courant idéologico-juridique très puissant. La lutte contre les discriminations envers les personnes âgées et les femmes est aussi puissante aujourd'hui que celle en faveur des personnes de couleur a pu l'être en son temps.

Aujourd'hui, les compagnies aériennes n'hésitent pas à embaucher des hôtesses de l'air de plus de 50 ans, le groupe hôtelier Days Inn a un tiers de son personnel de réservation qui est composé d'anciens retraités, et des multinationales comme General Electric, McDonald's et Kentucky Fried Chicken ont formé des pans entiers de leur direction des ressources humaines au recrutement et au management des personnes de plus de 50 ans. La chaîne de téléachat Home Shopping Network, basée en Floride, emploie ainsi une main-d'œuvre flottante de plus de 500 personnes âgées lorsque le flux des commandes par téléphone déborde le personnel des call centers en activité. Dans le bâtiment, cette politique de diversification générationnelle pose toutefois des problèmes de sécurité : au cours de ces trois dernières années, 46 % des accidents du travail ont été le fait de personnes âgées de plus de 40 ans.

Toutes les enquêtes montrent que les salariés américains semblent satisfaits de la possibilité qui leur est offerte de travailler plus longtemps. Outre l'avantage financier qu'ils en retirent, ils sont nombreux à expliquer que le maintien d'un lien avec le travail est un motif de satisfaction moral et psychologique qui contribue à leur bonne santé et au besoin qu'ils ressentent de se sentir utiles au plan social.