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Roger Dadoun, La Vieillesse Est Un Bel Âge 

Par Elizabeth Gouslan, Le Figaro

Le 28 Avril 2005 



Les seniors, euphémisme d'époque, sont comme les oméga 3 : ils font vendre. Tous les éditeurs rusés possèdent leur collection dite du «troisième âge». Dans ces annexes du Vidal, où, en couverture, de rutilants papys s'allongent sur des tapis de yoga, on combat, en cent cinquante pages pratiques, l'arthrose, les ballonnements et autres gingivites tardives. Parfois, il est aussi question de la délicate «gestion de la retraite», du bon usage de la bicyclette, d'abdominaux performants et l'affaire est classée. 

Loin de ces assommants sommaires, Roger Dadoun s'adresse au grand âge comme on ne lui parle jamais : en invoquant Matisse ou Sigmund Freud, en faisant fleurir toutes les quinze lignes un bouquet de métaphores shakespeariennes. Le titre de son petit traité ne manque d'ailleurs pas d'allure. En lieu et place du convenu Vivre heureux après soixante-dix ans, Dadoun nous offre un flamboyant Manifeste pour une vieillesse ardente. «Ardente» : comme il y va ! Et cette «vieillesse ardente», ne serait-elle pas un oxymore culotté, M. le professeur ? Bref, l'éminent trublion, enseignant à Jussieu, psychanalyste et auteur d'une vingtaine d'essais subtils et truculents ne vise pas le best-seller. 

C'est à la marge, dans les interstices, et un infini turbulent, que ce spécialiste de Michaux intervient. Ce qu'il va nous rappeler est un concentré d'optimisme, un élixir de jouvence. Pour l'enthousiaste Dadoun, l'âge importe peu et l'on a éternellement celui que l'on choisit. Voulez-vous trente ? Adopté. Cinquante ? C'est entendu. Il sait un peu de quoi il parle, ce sage assez brouillon. Il a passé sa vie à analyser les oeuvres de grands enfants très âgés mais extrêmement créatifs. A son actif : des biographies de Péguy, de Freud, de Duchamp ou d'Hermann Hesse. Sur la vieillesse, ces génies ont peu glosé, mais ils la mirent rudement à l'épreuve. 

A tout seigneur, tout honneur : Victor Hugo, qui régna de bout en bout sur son siècle, lâcha un jour, après avoir achevé ses oeuvres monumentales : «J'ai soixante-quatorze ans et je commence ma carrière.» Aucun humour dans cette profession de foi. L'homme devient en effet sénateur, soutient Jules Grévy à la présidence de la République, rédige son très polémique Art d'être grand-père, et reçoit à dîner les jeunes Mallarmé et Leconte de Lisle, entre deux étreintes avec Juliette. Chateaubriand est du même bois. 

Quant à nos peintres - la palette protégerait-elle de l'usure du temps ? -, ils rivalisent d'énergie. Monet fixe obstinément ses nénuphars blancs depuis sa fenêtre de Giverny, et les multiplie, octogénaire titanesque, en dépit d'une double cataracte. Bonnard cherche toujours, à quatre-vingts ans, un jaune un peu spécial. Miro, ambitieux nonagénaire, se lance dans la sculpture. Picasso esquisse, lui, à quatre-vingt-douze ans, ses fameux dessins érotiques, ce qui lui vaut le fameux «sale vieux bonhomme !» de la pudibonde Gertrud Stein. Et l'on voudrait que vieillesse se passe ? 

Selon Dadoun, fin philologue : «Vieillesse, qu'on se le dise, c'est «la lutte finale», la seule à laquelle aucun être humain ne peut se dérober, lutte inexpiable qui fait du grand âge, contrairement à tous les racontars comme à tous les mirages, l'âge agonique, l'âge du combat (agon en grec) par excellence.» 

Or, bonne nouvelle, nos guerriers du troisième millénaire ne cessent de gagner en espérance de vie. Avec cinq mille centenaires en 1995, la France en prévoit dix-huit mille pour 2010 et cinquante mille pour 2030. Toutes ces données numériques ont dû épuiser notre homme de lettres, car ce n'est pas le statisticien qui nous enchante ici mais le styliste. L'essayiste stimule l'optimisme en jongleur lexical. Sa prose mime parfois celle d'Albert Cohen : analogies burlesques et lyrisme imprévu. Tonique, édifiant, son manifeste devrait ravir tendrons et barbons. Et c'est à l'ineffable inventeur des ready made, qu'il laisse le dernier mot. Sur une pierre grise, au cimetière de Rouen, est inscrite l'épitaphe suivante, signée Duchamp : «D'ailleurs, c'est toujours les autres qui meurent.» Certes, précise Dadoun, mais le plus tard possible...


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