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La précarité touche un nombre de plus en plus grand de personnes âgées

Le Figaro

France

7 novembre 2005

 

Bénaouda S. est allongé sur la pelouse, les doigts de pied en éventail. Il savoure la douceur de l'été indien qui enveloppe le parc de l'hôpital Perray-Vaucluse, à Epinay-sur-Orge (Essonne), en cet après-midi du mois d'octobre. "Ici, dit-il en manipulant son baladeur, c'est très bien, très calme, bien mieux que dans les autres centres d'hébergement." Comme lui, ils sont une soixantaine à avoir posé leur sac dans ce "lieu de vie" qu'Emmaüs a ouvert au mois d'avril pour les "personnes vieillissantes à la rue" . L'association s'est installée dans un pavillon provisoirement inoccupé que l'établissement hospitalier a mis à sa disposition. A l'intérieur, quelques pensionnaires regardent la télévision. D'autres sont assis devant le hall d'entrée et grillent cigarette sur cigarette, en devisant sur les gros titres de France-Soir .

Emmaüs a créé cette structure après avoir constaté que le nombre de sans-domicile âgés augmentait. En 2004, 18,5 % de la population accueillie dans les centres d'hébergement de l'association, en Ile-de-France avait au moins 55 ans. Un an auparavant, le ratio s'élevait à 11,6 %.

Cette montée de la précarité au sommet de la pyramide des âges est également pointée dans le rapport annuel du Secours catholique, publié jeudi 3 novembre. En 2004, près de 21 % des personnes qui ont sollicité l'aide de cette association avaient au moins 50 ans (contre 17,6 %, en 2003). Au foyer Leydet de Bordeaux, qui compte 180 lits, "une trentaine de personnes de 60 ans et plus sont hébergées" , précise le docteur Christophe Adam, de Médecins du monde.

"C'est un phénomène que l'on a repéré il y a quelques années" , confie Philippe Coste, directeur des affaires sanitaires et sociales de Paris, en citant le cas d'un homme de 84 ans qui, durant des mois, a erré en fauteuil roulant dans le quartier de la gare de Lyon.

De telles évolutions doivent sans doute être nuancées, notamment au vu des données recueillies par le SAMU social de Paris (SSP) : entre 1999 et 2004, la part des personnes de 65 ans et plus qu'il a pris en charge a diminué, passant de 4 % à 2,4 %. Mais nombre de sans-domicile âgés n'ont pas la force ou la patience nécessaires pour composer le "115".

Comment expliquer cette précarisation des seniors ? "L'arrivée massive (...) des classes nombreuses nées dans l'immédiat après-guerre ainsi que les difficultés d'emploi propres [aux personnes de 50 à 59 ans] en sont certainement la cause" , souligne le Secours catholique dans son dernier rapport. Pour David Berly, directeur d'une structure du Centre d'action sociale protestant (CASP), les "ruptures familiales" jouent aussi un rôle. "Aujourd'hui, les plus âgés sont moins pris en charge qu'auparavant par les générations plus jeunes" , avance-t-il. De plus, la réforme des hôpitaux psychiatriques s'est traduite par un dépérissement des structures asilaires ; un vide s'est créé, qui n'a pas été remplacé, poursuit-il.

Philippe Coste, lui, se demande si ce nouveau visage de la pauvreté n'est pas "le sous-produit de la crise du logement à Paris" . En tout cas, enchaîne Christophe Adam, le problème risque de s'accentuer à l'avenir, du fait des difficultés grandissantes à toucher une retraite à taux plein et de l'accroissement des dépenses de santé dans le budget des ménages (hausse du ticket modérateur, déremboursement de médicaments...).

"INTIMITÉ" ET "ÉCOUTE"

Aujourd'hui, les acteurs de l'urgence sociale tentent d'élaborer de nouvelles réponses, car les centres d'hébergement "classiques" ne sont pas adaptés aux besoins des personnes démunies qui atteignent ou dépassent la cinquantaine : elles doivent quitter les lieux chaque matin alors qu'elles ont besoin de repos, de stabilité. En outre, la cohabitation n'est pas toujours harmonieuse dans les structures ouvertes à tous : les plus jeunes s'en prennent parfois à leurs aînés, en les détroussant ou en prenant leur place dans les files d'attente.

Les maisons de retraite ne semblent pas non plus convenir à ces publics particuliers, selon Françoise Imperi, directrice de l'Espace solidarité insertion Saint-Martin et de la Maison du partage, à Paris. "Dans ce type d'établissements, dit-elle, les personnes vieillissantes qui ont connu la rue sont en décalage avec les autres pensionnaires." Elles ne supportent pas les règles et "le rythme de vie" d'une maison de retraite, souligne-t-elle : manger à heure fixe, être en contact avec d'autres seniors parfois nettement plus âgés, s'astreindre à une certaine sobriété, etc.

C'est dans ce contexte qu'Emmaüs a ouvert son centre d'Epinay-sur-Orge. La structure, qui compte une soixantaine de lits, est ouverte toute la journée et permet aux hébergés de rencontrer un travailleur social, de participer à des activités, de se reposer... En théorie, ils peuvent y rester un mois mais nombre d'entre eux sont là depuis avril. "C'est un moment charnière pour eux, une étape placée sous le signe du repos, du respect du rythme de la personne" , analyse Jocelyne Choveau, qui dirige, à titre temporaire, la structure. "Nous essayons d'inventer une nouvelle forme d'hospitalité" , résume Xavier Vandromme, de l'association Emmaüs.

Le Coeur des haltes poursuit le même objectif, avec le "lieu de vie" fondé en mars dans un bâtiment de l'hôpital Maison-Blanche, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Il peut accueillir une quarantaine de personnes, âgées d'au moins 55 ans, mais s'ouvre aussi à des adultes plus jeunes, "marqués par leur parcours de rue" , explique Philippe Gobillon, directeur général adjoint de l'association. Chambres individuelles, suivi médico-social, activités collectives... Grâce à cette part d'"intimité" retrouvée et à "l'écoute" que manifeste l'équipe de salariés, les hébergés ont un rythme de vie plus paisible, d'après Philippe Gobillon. "Ils régulent leur consommation d'alcool, s'impliquent dans la vie de la structure, renchérit-il. Le fait qu'ils soient sans domicile n'est plus l'élément premier de leur identité."

Et après ? Certains retournent dans l'errance, d'autres renouent des contacts avec leurs proches ou rentrent au pays, explique Jocelyne Choveau. "Il est difficile de les orienter quelque part, car il y a très peu de relais" , ajoute-t-elle.


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