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Les hommes âgés et la maltraitance des personnes âgées


Par Bridget Penhale et Jonathan Parker, Université de Hull

Royaume Uni

17 novembre 2005

Introduction :
Les éléments essentiels qui seront abordés dans le présent exposé sont les suivants:

Le problème de la maltraitance des personnes âgées est un sujet relativement nouveau dans le domaine des recherches sur la violence.
Une grande partie des premiers travaux sur ce thème ne prenaient pas en compte les considérations de sexe.

Le problème est caché: il s'agit d'un sujet tabou.
Il est important de «nommer» ce problème.
Les formes que prend cette violence peuvent être légèrement différentes des formes de violence qui affectent d'autres groupes; la maltraitance des personnes âgées implique un certain nombre de facteurs supplémentaires.

La reconnaissance de la maltraitance des personnes âgées :

Au cours des dernières années, l'attention accordée à la maltraitance des personnes âgées et la reconnaissance du problème social que constitue ce phénomène se sont développées dans un grand nombre de pays. 

Ceci, toutefois, est intervenu essentiellement dans le contexte de la reconnaissance de la violence domestique et de la maltraitance des enfants. L'évolution de l'intérêt accordé à la maltraitance des personnes âgées présente un certain nombre de traits communs avec ce qu'on peut observer dans le cas de ces autres formes de violence: lenteur de la reconnaissance du phénomène; problèmes conceptuels et de définition; insistance sur le stress et la pathologie plutôt que sur les relations de pouvoir, les relations entre les sexes et la violence masculine.

D'autres formes de violence avaient auparavant été identifiées comme problèmes sociaux (au Royaume-Uni, par exemple, la maltraitance des enfants a été reconnue à partir de la fin des années 60 et la violence à l'égard des femmes à partir du début des années 70). En outre, alors que la maltraitance des enfants et celle des personnes âgées ont d'abord été identifiées dans un cadre professionnel, la violence à l'égard des jeunes femmes a été identifiée par le mouvement des femmes dans un contexte d'action sociale. Cette différence de perspective sociale peut influer sur le développement des réponses et des mesures adoptées face aux diverses formes de maltraitance. Le problème de la maltraitance des personnes âgées, cependant, est un sujet relativement récent dans le domaine des recherches sur la violence, bien que tout aussi important que d'autres thèmes de préoccupation.

L'absence de distinction entre les sexes

Les premiers travaux de recherche consacrés à la maltraitance des personnes âgées ne prenaient pas particulièrement en compte les considérations de sexe et se caractérisaient, suivant la classification mise au point par Hanmer et Hearn (1999), par une absence de distinction entre les hommes et les femmes (gender absent) ou par une indifférence à cette distinction (gender neutral). Au début, ces travaux ne prenaient même pas en compte la différence entre les sexes comme facteur pertinent dans les situations de maltraitance de personnes âgées. Les choses ont ensuite évolué et la distinction entre les sexes a été prise en compte et incluse dans les travaux de recherche mais seulement comme un facteur parmi d'autres. Dans ce cas, les effets potentiels de la distinction entre les sexes se trouvent dilués parmi les données et les considérations théoriques.

Pillemer et Suitor (1992), par exemple, incluaient dans leur étude le sexe de la personne chargée de l'assistance comme une possible variable prédictive complémentaire dans la maltraitance des personnes âgées mais ils ne formulaient aucune hypothèse s'appuyant sur la distinction entre les sexes et, alors que leurs données montraient que la violence était plus fréquente dans le cadre conjugal que dans d'autres types de relation, ils ne faisaient aucune remarque sur la différence entre les sexes dans leur discussion de ces données. Cette approche marquée par l'ignorance de la distinction entre les sexes, ou par l'indifférence à cette distinction, est restée dominante jusqu'à une date relativement récente (Whittaker, 1995, 1996).

Selon Whittaker (1995), la recherche et le travail d'élaboration théorique se poursuivent actuellement dans un climat sociopolitique privilégiant les questions de définition et de prévalence au détriment de la réflexion sur les différences entre les sexes. Whittaker identifie les principales approches reposant sur une indifférence à la distinction entre les sexes: le stress réactionnel (approche centrée sur les victimes et fondée sur des conceptions stéréotypées du vieillissement et de la dépendance), la pathologie des auteurs de mauvais traitements (approche envisageant toute une série de facteurs de prédisposition) et la violence familiale (approche visant à sauvegarder des relations familiales «normales»). Elle écrit à ce propos:

«Aucun effort ne semble être fait pour inclure l'expérience subjective des victimes de mauvais traitements dans les définitions qui sont débattues et la question des différences de pouvoir entre victimes et auteurs des mauvais traitements est à peine prise en compte sinon pour souligner le fait que les femmes âgées ne sont pas des enfants et que la dépendance est un processus à double sens caractérisant certaines relations et, en particulier, les relations entre ces femmes et les auteurs de violences.» (Whittaker, 1996, p. 149)

Biggs, Phillipson et Kingston (1995) ont développé une approche de la maltraitance des personnes âgées en terme de violence domestique qui met en évidence les inégalités de pouvoir et souligne la position de victime dans laquelle se trouvent placés certains groupes sociaux. Cette approche, cependant, ne permet pas toujours de maintenir une distinction nette entre victimes et auteurs de violences. C'est ce qui apparaît, par exemple, dans l'«approche tactique des conflits» (Gelles et Straus, 1979; Gelles, 1993) qui considère les conflits comme produits et entretenus par les deux parties en cause. L'approche de la maltraitance des personnes âgées en terme de violence domestique est axée essentiellement sur le thème de la violence. Ceci peut entraîner une reconnaissance insuffisante d'autres formes de maltraitance et de négligence (Biggs, Phillipson et Kingston, 1995). Le modèle d'analyse de la violence domestique en termes de «domination», qui est axé sur le pouvoir des agresseurs masculins, peut servir de correctif à cette approche (Yllo, 1993).
Le modèle de la violence familiale a été développé de nouveau par Bennett, Kingston et Penhale (1997). 

La violence familiale peut être comprise comme une forme de violence se produisant à l'intérieur de la famille et s'exerçant à l'encontre de personnes impuissantes et vulnérables. Elle désigne les actes d'agression exercés par un individu, un groupe ou une institution disposant d'un pouvoir important à l'encontre d'individus dont le pouvoir est moindre. L'inégalité de pouvoir n'est pas nécessairement perçue de manière consciente. Celle-ci est le produit de certains modes d'interaction entre les individus conduisant à l'établissement de positions relatives en matière de pouvoir (voir Hughes, 1995). Le modèle de la violence familiale s'accorde ainsi avec le modèle individuel, culturel et structural de l'oppression (Thompson, 1997, 1998). Toutefois, aucun de ces modèles ne peut être considéré comme prenant pleinement en compte la distinction entre les sexes (gender present, cf. Hanmer et Hearn, 1999) et, comme nous le verrons, ce n'est que relativement récemment que l'on a commencé à intégrer les analyses fondées sur la prise en considération des différences entre les sexes.

Aitken et Griffin (1996), développant un point de vue féministe, suggèrent que la maltraitance des personnes âgées devrait être considérée comme une catégorie de la violence domestique mais qu'elle nécessite une analyse en termes de relations de pouvoir et de différences entre les sexes:
«(.) la relation entre maltraitance et assistance des personnes âgées et entre maltraitance des personnes âgées et violence familiale doit faire l'objet d'un réexamen.

 Ni l'assistance, ni la violence familiale ne peuvent constituer à elles seules une explication suffisante des phénomènes de maltraitance des personnes âgées; une manière plus systématique d'envisager la maltraitance des personnes âgées, et qui permettrait une intégration adéquate de la question des différences entre les sexes, devrait faire appel aux notions de pouvoir et de dépendance.» (p. 139)
Il est vraisemblable que, dans les situations de maltraitance de personnes âgées, un ensemble complexe de facteurs d'ordre sociologique et psychologique interviennent au niveau structurel, organisationnel, familial et individuel ainsi qu'entre ces différents niveaux. Le point de vue féministe privilégie le rôle des différences entre les sexes et des relations de pouvoir dans la violence domestique. Il envisage les processus sociaux, politiques et économiques comme des instruments de la domination patriarcale sur les femmes. La violence est le moyen utilisé par les hommes pour maintenir leur pouvoir au niveau social, familial et relationnel. Des facteurs de causalité divers doivent cependant être pris en considération et il faut tenir compte des différences individuelles. La variable complémentaire que constitue l'âge doit aussi entrer en ligne de compte dans l'analyse de la maltraitance des personnes âgées.

Un sujet tabou
Comme indiqué précédemment, la maltraitance des personnes âgées est la forme la plus récente de violence interpersonnelle ayant été reconnue comme un problème grave. Toutefois, il s'agit aussi d'un domaine qui a été longtemps dissimulé à l'attention publique et considéré comme un sujet tabou. Une grande partie des cas de maltraitance, comme cela a été analysé ailleurs (Bennett et al., 1997), se produisent en privé et restent soustraits à l'attention des pouvoirs publics. Faire de comportements privés un sujet de préoccupation publique ne va pas sans difficultés, du fait, en partie, de l'opposition des défenseurs du droit de la famille à demeurer, comme espace privé, libre de toute intervention de l'Etat. Il s'agit en outre d'une réalité difficile à aborder car elle remet en cause un certain nombre de mythes et de convictions concernant la société qui se sont construits peu à peu et sont solidement ancrés en elle. L'idée que la famille constitue un environnement chaleureux et protecteur ou encore l'idée que les institutions offrent une certaine sécurité aux personnes âgées qui y vivent en sont des exemples.

Il n'a pas été facile de remettre en cause ce tabou et ces idées, ni d'encourager les individus à parler de certaines situations et encore moins à les divulguer. La question des sévices sexuels sur des femmes âgées s'est révélée extrêmement difficile à aborder, en grande partie du fait de la difficulté qu'éprouvent un grand nombre d'individus à se représenter les personnes âgées comme des êtres ayant une sexualité. Soulever la question des sévices sexuels sur des enfants au début des années 80 n'a pas été non plus sans difficultés et il est donc à craindre qu'il soit très difficile de faire comprendre qu'une femme âgée puisse être l'objet de violences sexuelles. Pendant les années 90, le problème de la violence à l'égard des personnes âgées a cependant pu être soulevé, le silence sur ces questions a été remis en cause et le tabou s'est peu à peu érodé.

Nommer le problème
Compte tenu de la dissimulation du problème, le silence qui s'est imposé est compréhensible. On ne parle pas des sévices qui se produisent en privé et souvent ceux-ci ne sont même pas reconnus comme tels. Les sévices qui ont lieu à l'intérieur d'une institution sont, dans une certaine mesure, moins cachés mais ils ont autant de chances de n'être pas non plus nommés. Il est donc important, pour briser le tabou, que les sévices soient désignés comme tels. En outre, ce type de situation ne doit pas être abordé de manière purement objective mais personnalisée afin que l'expérience effective des individus concernés soit prise en compte.

Le pouvoir du langage est important de ce point de vue. Aitken et Griffin (1996) et Whittaker (1996) remarquent qu'au cours de la décennie 1984-1994, le caractère sexué de la maltraitance des personnes âgées a été peu à peu recouvert par un changement de terminologie puisque l'expression de «grands-mères maltraitées» (granny bashing) a été, précisément, remplacée par celle de «maltraitance des personnes âgées» (elder abuse). Ce changement ne peut être présenté uniquement comme l'abandon d'un langage condescendant et source de stigmatisation car il a aussi pour effet de dissimuler le fait que les femmes âgées sont plus souvent victimes de sévices que les hommes.

On observe aussi dans les travaux sur la maltraitance une certaine tendance à l'homogénéisation des personnes âgées qui ne tient pas compte des différences individuelles et considère les personnes âgées comme faisant toutes partie d'un même groupe indifférencié. Ces analyses pèchent en outre par une absence de prise en compte réelle des différences entre les sexes. Il faut aussi tenir compte de ce qui est nommé et des personnes qui participent au processus de nomination afin que les situations soient, lorsque cela est possible, reconnues et traitées par les personnes qui y sont impliquées.

 La signification que les individus donnent à une situation et l'évolution de la manière dont ils comprennent cette situation et le processus en cours sont des composantes nécessaires de ce processus mais les travaux qui prennent en compte ce type de questions sont relativement rares. Le fait que la maltraitance des personnes âgées ait d'abord été identifiée dans un cadre professionnel n'est pas indifférent car, contrairement à ce qui se passe dans le cas des violences sur des jeunes femmes, les personnes âgées se tiennent à l'écart de toute discussion ou débat sur les violences ou les situations de maltraitance sauf lorsqu'elles se retrouvent dans le rôle de «victime», d' «auteur de violences» ou de témoin.

Des formes de maltraitance diverses
Malgré l'absence de toute définition normative ou officielle de la maltraitance, évoquée par McCreadie (1996) et certains autres auteurs, la plupart des personnes travaillant sur ces questions s'accordent sur les différents types suivants de maltraitance: violences physiques; sévices sexuels; négligence; exploitation financière (exploitation et détournement des biens et possessions d'un individu); maltraitance psychologique et affective. A ces types de maltraitance, on peut aussi ajouter l'abandon, l'isolement forcé et la privation d'éléments indispensables à la vie quotidienne (chauffage, nourriture ou certains objets tel un dentier, par exemple). Certains de ces types de maltraitance semblent concerner de manière spécifique les personnes âgées: la négligence ou l'exploitation financière, par exemple, peuvent prendre des formes qu'on ne retrouve pas couramment dans les cas de maltraitance d'enfants ou de jeunes femmes mais la maltraitance des jeunes femmes handicapées peut présenter des traits communs avec les violences subies par des personnes âgées.

Problèmes de chiffres
Au cours de la dernière décennie, la littérature spécialisée sur la maltraitance des personnes âgées a connu un développement très important. Ces travaux acceptent généralement l'idée que les auteurs de violences sont plus fréquemment des hommes que des femmes et que les femmes sont plus exposées au risque de maltraitance que les hommes. Ceci conduit parfois à ranger de manière systématique les hommes dans la catégorie des auteurs de mauvais traitements et de violences et les femmes dans celle des victimes. D'un point de vue strictement numérique, cela n'est pas faux mais il est nécessaire d'envisager la maltraitance dans un cadre plus large et aussi, peut-être, dans une optique légèrement différente. Le contexte de la maltraitance et les relations de pouvoir qui la favorisent dans une société inégale doivent être pris en considération, ainsi que les cas des femmes auteurs de violences et ceux des hommes victimes de mauvais traitements.

Le moment est peut-être venu d'intégrer dans l'analyse de la maltraitance certains éléments appartenant aux cadres théoriques de la psychologie sociale et de l'étiquetage social (Scheff, 1974). La société associe généralement aux hommes âgés l'agressivité, la perversion et la crainte du vieillissement et du déclin. Les médias et les organismes de protection sociale tiennent un discours présentant la maltraitance comme un comportement pouvant être expliqué, sinon excusé. L'examen de la manière dont est construit ce discours peut apporter un éclairage nouveau sur la maltraitance et ses caractéristiques du point de vue de la différence entre les sexes.

Les chiffres recueillis dans tous les pays montrent de manière systématique que les femmes sont plus fréquemment victimes de maltraitance et les hommes plus fréquemment auteurs de mauvais traitement. Toutefois, McCreadie et Quigley (1999) indiquent, à partir d'une analyse de cas menée au Royaume-Uni, qu'un nombre grandissant d'hommes très âgés (80 ans et plus) sont victimes de maltraitance. Straus (1993) suggère que les cas de violences exercées par des femmes sur des hommes font très rarement l'objet de déclarations officielles et que, par conséquent, la relation entre sexe et maltraitance des personnes âgées n'est peut-être pas aussi nette. Une certaine prudence doit donc s'imposer ici afin de pouvoir prendre en compte un éventail de facteurs distincts mais corrélés.

Barnett, Miller-Perrin et Perrin (1997) ont passé en revue les travaux examinant les caractéristiques des auteurs de mauvais traitements et des victimes de maltraitance. Les résultats de ces études du point de vue du sexe sont quelque peu contradictoires. Les chiffres du Service de la protection des adultes aux Etats-Unis indiquent que la majorité des victimes (68 %) sont des femmes (Tatara, 1998). Dans une enquête antérieure menée à Boston et dans laquelle 65 % des personnes interrogées étaient des femmes, la majorité des victimes (52 %) étaient des hommes (Pillemer et Finkelhor, 1988). Le taux d'hommes victimes de maltraitance (5,1 %) était le double de celui des femmes (2,5 %) et ceci alors que la population de personnes âgées était très majoritairement féminine.

Rappelons, cependant, que les femmes sont en général victimes de violences et de blessures plus graves que les hommes, la conséquence en étant que les femmes se trouvent vraisemblablement plus souvent contraintes de se faire soigner et de venir ainsi à l'attention des pouvoirs publics. Les hommes sont aussi plus fréquemment violents que les femmes et plus disposés à commettre des violences graves que les femmes. Selon Miller et Dodder (1989), certaines études montrent que les hommes sont plus disposés à employer la violence physique alors qu'il est plus fréquent pour les femmes de se livrer à des actes de négligence de nature plus passive.

Les hommes vivent aussi plus fréquemment avec quelqu'un d'autre, ce qui peut augmenter les risques de maltraitance puisque l'un des facteurs de risque pour la maltraitance des personnes âgées concerne le fait de vivre avec d'autres personnes (Barnett et al., 1997). Ceci est d'ailleurs conforme aux travaux sur les caractéristiques et le profil des auteurs de mauvais traitements: il s'agit fréquemment d'un parent vivant depuis longtemps avec la victime (enfants adultes, conjoints, petits-enfants, frères ou sours, ou autres parents) (Tatara, 1993). Selon Pillemer et Finkelhor (1998), les cas de maltraitance par des personnes n'appartenant pas à la famille de la victime sont rares; la maltraitance intervient principalement entre conjoints pendant la vieillesse (voir aussi Halicka, 1995; Johns et Hydle, 1995).

Historiquement, la maltraitance de personnes âgées dans un contexte familial a d'abord été conçue comme un problème entre une femme responsable des mauvais traitements et des parents âgés, souvent une mère, dans le cadre d'une relation de soins. Toutefois, selon l'étude menée par Aitken dans le Northamptonshire, ce sont les fils plutôt que les conjoints qui sont responsables de mauvais traitements à l'égard de personnes âgées (Aitken et Griffin, 1996).

 Les femmes, selon cette étude, sont victimes de violences physiques et les hommes de violences psychologiques. Ceci reflète sans doute des comportements sexués et témoigne de la persistance de relations de type patriarcal au sein de la société. La littérature spécialisée invoque constamment le «dysfonctionnement familial». Pour Whittaker (1996), cette notion crée l'impression que la maltraitance constitue un symptôme au sein d'une famille fonctionnant de manière anormale, ce qui permet, par conséquent, d'éviter d'introduire dans le débat la question des différences entre les sexes.

Kosberg (1998) rapporte d'intéressantes données à l'appui de l'hypothèse d'un «retour du balancier» en relation avec des abus de pouvoir antérieurs: une femme ou des enfants ayant été victimes à une époque antérieure de mauvais traitements au sein de la famille se vengeraient ainsi de l'homme responsable de ces abus dans sa vieillesse. Des chercheurs suédois (Grafstrom, Norberg et Wimblad, 1992) ont relevé certaines données qui semblent confirmer ce type de dynamique dans leur étude sur des personnes ayant la charge de personnes âgées en Suède. Jack (1994), cependant, interprète les cas de maltraitance exercée par une femme sur une femme ou sur un homme âgés du point de vue des relations d'échange à l'intérieur d'une société caractérisée par le dysfonctionnement et l'oppression.

On assiste actuellement à une augmentation très importante du nombre de femmes à l'échelon supérieur de la pyramide des âges. Ces femmes sont aussi en général économiquement plus démunies, ce qui réduit les choix dont elles disposent. Les besoins en matière de santé des femmes âgées ne sont pas pris en compte dans les politiques publiques et la pauvreté et les problèmes de santé accroissent pour ces femmes les risques de dépendance ou d'exploitation. A cela s'ajoute le fait qu'un grand nombre de femmes vivent seules et que les services sociaux s'intéressent aux personnes seules plutôt qu'aux couples. En outre, ce ne sont pas seulement les femmes qui bénéficient d'une aide qui sont marginalisées. La plus grande partie de l'aide et des soins informels sont pris en charge par des femmes d'âge moyen qui, dans bien des cas, viennent juste d'arrêter de s'occuper de leurs enfants et occupent aussi un emploi.

La maltraitance des personnes âgées ne peut donc pas, comme le souligne Jack (1994), être envisagée uniquement du point de vue de la famille et des relations interpersonnelles. La fluidité des relations de pouvoir et le maintien de certaines conceptions patriarcales dominantes sont liées à la maltraitance dans le contexte de l'aide sociale et médicale (Glendenning et Kingston, 1999). On sait que, dans certains cas, les organismes de protection sociale ou de santé à qui incombe une «responsabilité de protection» peuvent être, directement ou par inadvertance, à l'origine de mauvais traitements (Stevenson et Parsloe, 1993). En outre, Jack (1994) montre que la dépendance, les rapports de pouvoir et les manquements aux règles constituent la norme en matière de relations au sein de ces organismes et que la dépendance mutuelle (bien qu'inégale), l'impuissance et les manquements aux règles favorisent l'apparition et le maintien de pratiques de maltraitance au sein des personnels d'assistance.

L'aide sociale entre le public et le privé
Les professionnels de la santé et de la protection sociale ont à la fois un rôle de soutien et de contrôle, leur qualité d'agents de l'Etat leur conférant un certain pouvoir à l'intérieur de la sphère privée de la famille (Parker et Penhale, 1998). Le travail de protection sociale repose en fait sur un exercice légitime du pouvoir dans des situations humaines concrètes. Il est essentiel que les acteurs de la protection sociale acquièrent une compréhension du pouvoir qu'implique la mise en ouvre de leurs «responsabilités de protection» (Stevenson et Parsloe, 1993). Une partie importante du pouvoir de ces professionnels est déterminée, qu'ils en aient ou non individuellement conscience, par le cadre législatif régissant leur travail.

Les professionnels de la protection sociale peuvent en outre être perçus comme disposant d'un pouvoir personnel par les individus avec lesquelles ils travaillent puisqu'il s'agit souvent de personnes vulnérables, privées de moyens et de statut, de personnes appartenant aux franges les plus fortement marginalisées et exclues de la société. Ces professionnels, cependant, ne font pas qu'exercer un pouvoir, ils sont aussi eux-mêmes soumis à diverses formes de pouvoir: celui de l'organisme dont ils dépendent, celui de l'Etat et celui de la législation, par exemple. Il faut reconnaître, par ailleurs, que les usagers des services sociaux peuvent aussi exercer un pouvoir dans leur interaction avec les représentants des organismes de protection sociale. Ils peuvent décider de refuser certaines prestations ou même parfois réagir de manière violente. Ces comportements agressifs en retour chez les personnes âgées ont été analysés en particulier par McCreadie (1992).

Les prestations d'aide ont été professionnalisées dans le cadre des organismes de santé et de protection sociale et sont généralement présentées et perçues comme un travail de femme (Jack, 1994). Illich (1977) employait l'expression de «iatrogénèse sociale» pour désigner la manière dont les pratiques des organisations d'aide pouvaient provoquer de nouveaux problèmes de santé par l'accroissement du stress et la bureaucratisation des prestations. L'organisation sociale de l'aide sociale et de santé participe de ce processus. Les personnes âgées reçoivent des prestations au lieu d'un traitement. Elles sont perçues et traitées comme les bénéficiaires passifs de prestations plutôt que comme des participants actifs et essentiels à une relation de partenariat. Une telle approche peut renforcer la stigmatisation des personnes âgées puisqu'elle interdit généralement tout résultat positif. Le résultat et le contenu des prestations y sont privilégiés au détriment du processus.

«La reconnaissance de l'impuissance qui est commune aux femmes âgées et aux assistantes sociales chargées de s'occuper d'elles, du fait du mélange de préjugés contre la vieillesse et de sexisme inhérents à la professionnalisation de la protection sociale, jette un éclairage nouveau sur les cas de maltraitance de personnes âgées par des assistantes sociales car elle permet de voir que l'auteur des mauvais traitements et la victime, tous deux également impuissants d'un point de vue individuel, organisationnel et social, sont en fait enfermés dans une relation contrainte de dépendance mutuelle. Le moyen par lequel cette impuissance socialement construite évolue vers la maltraitance individuelle et collective de personnes âgées est la «relation d'échange» de l'aide sociale institutionnelle.» (Jack, 1994, p. 79)

Selon la théorie de l'échange, le comportement des individus dans une relation est déterminé par leur appréciation des coûts et bénéfices réels ou supposés s'attachant pour eux à la poursuite de cette relation (Frude, 1990). La personne la plus dépendante est celle qui dispose du moins de pouvoir. Toutefois, la moins impuissante des deux peut aussi chercher à maximiser ses gains et à minimiser sa contribution à la relation. Le ou la destinataire des prestations peut alors être perçu(e) comme une gêne et une sous-culture de maltraitance peut ainsi se développer dans des situations d'assistance sociale professionnalisée (voir aussi Aitken et Griffin, 1996).

Jack (1994) s'appuie sur les travaux de Seligman (1975) sur l'«impuissance acquise» (learned helplessness) pour montrer que certaines représentations stéréotypées des personnes âgées comme dépendantes et soumises à une invalidité croissante entraînent pour ces personnes une perte de contrôle dans les relations d'aide sociale professionnalisée. L'impuissance et la dépendance attribuées aux personnes âgées ont été identifiées comme jouant un rôle dans les cas de maltraitance dans des situations d'aide professionnelle ou informelle.
Les tâches d'aide sociale sont effectuées en majorité par des femmes et ce travail est par conséquent dévalorisé. Les femmes âgées bénéficiant d'une aide sont aussi victimes d'une forme de discrimination. Selon Jack (1994, p. 89):
«(.) pour que les besoins liés à leur situation de dépendance soient satisfaits, les femmes âgées sont contraintes d'abandonner leur statut d'adulte au profit de l'assistante sociale dont le propre statut restreint au sein de l'organisme pour lequel elle travaille dépend de sa maîtrise complète du rôle d'assistance.»
Les recherches se situant sur le plan de la pathologie ignorent le problème des professionnels de la protection sociale et n'apportent pas grand chose à la compréhension théorique.

«(.) l'impuissance éprouvée aussi bien par les assistantes sociales que par les bénéficiaires des prestations agit comme un verrou les maintenant dans une relation de dépendance et de violence (.) leur responsabilisation mutuelle est la clé d'une interdépendance sans subordination.» (Jack, 1994, p. 90.)
La figure du «panoptisme» analysée par Foucault pourrait être utile dans ce contexte (Foucault, 1970). Le Panopticon était à l'origine un projet architectural de prison, conçu par Jeremy Bentham, dans lequel les différents niveaux pouvaient être soumis à une surveillance constante, les détenus ne pouvant jamais savoir s'ils étaient observés ou non. Foucault suggère que les techniques de surveillance sociale fonctionnent de manière comparable.
Dans cette optique, la surveillance exercée par les organismes et institutions de protection sociale et de santé se serait accrue au cours des dernières années. Le développement récent au Royaume-Uni de procédures d'évaluation permanente des prestations et du personnel peut donner le sentiment à la fois aux bénéficiaires des prestations et au personnel des organismes de protection d'être soumis à une surveillance constante à laquelle ils ne peuvent échapper ou sont incapables de résister de manière efficace.

Cette situation créerait donc les conditions du développement et du maintien de la dépendance et de la marginalisation en encourageant l'impuissance acquise et la soumission au pouvoir de surveillance. Les pratiques disciplinaires utilisées au sein des organismes de protection sociale et de santé contribuent à la mise en ouvre des mécanismes de pouvoir au moyen de techniques de visibilité. Certaines méthodes ont en outre pour objectif une maximisation du contrôle et le traitement administratif et le suivi des cas individuels ne font que perpétuer la situation. Les oppositions binaires entre «professionnels» et «clients», jeunes et vieux, personnes en bonne ou en mauvaise santé, auteurs de mauvais traitements et victimes, hommes et femmes favorisent le contrôle des individus (Fawcett, 1996).

Dans le secteur actuel de la protection sociale et de santé, de nombreuses stratégies ont été mises au point pour réglementer le fonctionnement des relations de pouvoir sous la forme, en particulier, de contrôles juridiques, le développement de centres juridiques et de bureaux d'aide juridique (Trotter, 1999). Le développement de la concurrence et de l'inspection dans les services du secteur public a entraîné le passage du traitement au cas par cas à des méthodes de travail contrôlables et quantifiables. Ce type de réglementation crée sa propre forme de discours et est en soi une forme de pouvoir.
Le contrôle des ressources est un élément important de la dynamique des relations de pouvoir dans l'allocation des prestations de protection sociale ou de santé. Les bénéficiaires des prestations sont souvent confrontés à des choix qu'ils perçoivent comme rigides. Le risque pour les institutions et organismes de protection de participer directement à certaines formes de maltraitance ainsi qu'à la reproduction d'un système de maltraitance est aujourd'hui sérieusement pris en compte (Goffman, 1968; Stanley, Manthorpe et Penhale, 1999).

Des formes multiples de désavantage
Certaines approches récentes intègrent de manière explicite le rôle des différences entre les sexes, les races et les classes dans l'analyse de la dynamique des pouvoirs. Ragin et Sunstrom (1989) indiquent que la socialisation de chacun des sexes conduit à adopter et à intérioriser des rôles stéréotypés qui font que les femmes sont perçues comme dépourvues de pouvoir au niveau organisationnel, socioculturel et interpersonnel. Rosspenda, Richman et Nawyn (1998) intègrent les différences de race et de classe dans les analyses traditionnelles du harcèlement sexuel comme conséquence des inégalités de pouvoir et des différences de statut entre hommes et femmes. Leurs travaux montrent que la convergence des facteurs sociaux, raciaux et sexuels est particulièrement importante dans les cas où la personne visée par le harcèlement dispose d'un pouvoir organisationnel plus important que l'auteur du harcèlement.

Kukli et Breli (1997), s'appuyant sur la théorie de l'échange social, avancent l'idée intéressante selon laquelle la perspective de la dépendance peut modifier les relations de pouvoir à l'intérieur d'un couple dans la vieillesse. Ashkam (1995), cependant, indique que les différences de pouvoir entre les sexes se maintiennent à l'intérieur des mariages dans la vieillesse. Ces analyses sont à rapprocher de celles obtenues à l'aide du modèle personnel, culturel et structurel de Thompson (1997, 1998) visant à donner une formulation théorique de la discrimination et de l'oppression. Selon Thompson, les préjugés individuels, les modes culturels d'organisation et les structures sociales sont liés d'une manière complexe et en constante évolution donnant lieu à des pratiques opprimantes.

La question du pouvoir occupe naturellement une position centrale du point de vue des différences entre les sexes. Pour Mullender (1997), si l'on ne tient pas compte des différences entre les sexes, il est impossible de comprendre les réalités individuelles et sociales. Les différences entre les sexes sont le produit d'une construction sociale (Berger et Luckman, 1966), c'est-à-dire que les rôles, les tâches, les positions et les idées associés à chaque sexe sont liés à un contexte social particulier. Ces rôles et ces idées sont intériorisés par tous les individus élevés au sein d'une même société. La conformité aux normes prescrites par la société inhibe les potentialités de résistance à l'oppression et contribue à la reproduction de la construction sociale de la différence entre les sexes.

Le sexisme ne désigne pas uniquement les préjugés que peuvent exprimer des individus de sexe masculin. Il doit être compris comme le produit de structures sociales visant à perpétuer une certaine organisation de la société du point de vue des différences entre les sexes ainsi que les modalités par lesquelles divers organismes et institutions reflètent cette organisation et inculquent à tous les membres de la société des rôles et des attentes normalisées. Le sexisme et les inégalités de pouvoir et de statut à l'intérieur de la société peuvent être mis en relation avec d'autres formes d'oppression et ceci montre la nécessité d'une analyse des relations de pouvoir entre les sexes envisageant les différences entre les sexes dans un cadre sociopolitique élargi. S'occuper des enfants, par exemple, est considéré comme un travail de femme, tout comme les tâches d'assistance sociale et les emplois mal rémunérés dans les foyers pour personnes âgées.

La race, la classe et le sexe, cependant, ne sont pas les seuls facteurs en jeu. La représentation sociale négative du vieillissement, qui conduit à une forme de stigmatisation, joue aussi un rôle important (Bytheway, 1994). Aitken et Griffin (1996) rappellent que plus on avance dans la pyramide des âges, plus la proportion de femmes est importante. Les femmes âgées sont marginalisées sur la base du sexe et de l'âge. Les connotations négatives qui s'attachent au vieillissement et les idées de dépendance et d'invalidité se rejoignent dans l'évaluation sociale des relations de pouvoir. Les préjugés à l'égard du vieillissement, le sexisme et les oppositions structurelles se combinent pour créer des inégalités de pouvoir reposant sur l'idée d'un statut inférieur des femmes. Ceci crée les conditions favorables au développement de la maltraitance et milite contre toute idée de solution facile ou rapide.

Les préjugés à l'égard du vieillissement peuvent également être importants du point de vue d'une catégorie «maîtresse» (Bytheway, 1994). De multiples formes de désavantages peuvent aussi freiner toute tentative de solution du problème ainsi que les actions de prévention. Les femmes âgées peuvent se trouver confrontées à plusieurs types de risques et de désavantages distincts mais se recoupant et dont les effets peuvent, dans certains cas, être cumulatifs (Penhale et Kingston, 1995).

Une analyse prenant en compte les différences entre les sexes
Les théories féministes de la maltraitance des personnes âgées se placent au-delà des questions de santé et de protection sociale et accordent une importance égale à l'âge et au sexe, aux relations entre ces facteurs et à d'autres oppositions sociales. La possibilité de la violence et de la maltraitance est inhérente aux relations de pouvoir entre les sexes dans toutes les relations sociales.

«Une analyse féministe de la maltraitance des personnes âgées, tout en reconnaissant la nature sexuée de l'inégalité, doit tenir compte de l'aptitude des femmes à la violence et reconnaître que les questions de pouvoir sont plus complexes et moins statiques qu'on ne l'a envisagé jusqu'ici. Les diverses relations entre âge, sexe et pouvoir devraient constituer des catégories centrales de cette analyse et la notion de pouvoir devrait être abordée de manière différente. (.) Cela veut dire traiter les relations de pouvoir, comme les relations entre les âges et entre les sexes, comme quelque chose de fluide, plutôt que de statique ou de monolithique, comme quelque chose qui varie en fonction de ce avec quoi il est en relation.» (Whittaker, 1996, p. 152.)
Une telle analyse de la maltraitance des personnes âgées est en général absente alors que la question des relations entre les sexes est considérée comme un élément essentiel de l'analyse des sévices à l'égard des enfants (Featherstone, 1997). 

Le concept de domination plutôt que celui de pouvoir a été utilisé à ce propos. Les recherches sur la violence conjugale et le développement de la coopération entre les organismes de protection sociale mettent l'accent sur la violence à l'égard des femmes et des enfants et ne prennent en général pas en compte les femmes âgées, bien que celles-ci n'en soient pas exclues de manière explicite (Hague et Malos, 1998). On constate cependant une marginalisation des personnes âgées et le renforcement inconscient de priorités reflétant les relations de pouvoir socioculturelles. Whittaker (1996) propose une méthode globale pour la recherche sur la maltraitance des personnes âgées qui ne peut, à son avis, être séparée de son contexte social et de la réalité patriarcale, plutôt que pathologique, de la famille. Il est bien entendu essentiel que les personnes âgées elles-mêmes soient intégrées en tant qu'acteurs de plein droit à ces développements.

Les analyses féministes partent des différences entre les sexes. Elles prennent en compte la marginalisation des personnes âgées et en particulier des femmes âgées dans la société. Le contexte patriarcal permet aux hommes un plus grand accès au pouvoir et leur offre la protection des normes sociales existantes. C'est pourquoi Whittaker (1996) réinterprète certaines caractéristiques et comportements des victimes dépendantes faisant preuve d'insoumission comme des formes de lutte et de résistance contre l'oppression et le contrôle des hommes. Elle s'éloigne ainsi des explications reposant sur le stress des personnes de l'entourage (caregiver stress) qui ont été avancées à propos de la maltraitance des personnes âgées et qui ont pour effet d'effacer la responsabilité des auteurs de mauvais traitements.

Toutefois, selon Gelles (1993), la théorie féministe ne présente l'analyse que d'un type seulement de violence. Elle ne permet pas, à son avis, d'expliquer les sévices à l'égard des enfants, les mauvais traitements à l'égard d'un frère ou d'une sour, les violences perpétrées par des femmes ou la maltraitance des personnes âgées. Featherstone (1997), en désaccord avec l'analyse de Gelles, souligne la grande diversité et les différences qui caractérisent aujourd'hui les analyses féministes. Les critiques avancées par Gelles et Straus ne tiennent pas suffisamment compte de l'interaction entre les différents facteurs en jeu dans les analyses féministes.

A partir du moment où les différences entre les sexes sont interprétées comme le produit d'un processus de construction socioculturel plutôt que comme le résultat de déterminations biologiques, il devient impossible de s'en tenir à l'idée que les hommes sont «naturellement» violents et les femmes pacifiques. Cette approche met au contraire en évidence la diversité des facteurs en jeu et rejette toute analyse prétendant ramener l'oppression des femmes à une cause unique.
Featherstone (1997, p. 431) défend l'idée:

«d'une réelle prise en compte de certaines de ces perspectives (.) caractérisées par une appréciation du fait que les positions sexuées sont des instruments d'explication importants pour traiter de la violence mais que ces positions ne sont ni statiques, ni inévitables et sont au contraire sujettes à une lutte et à une redéfinition permanentes.»

L'idée que les questions de pouvoir et de différences entre les sexes jouent un rôle essentiel dans la maltraitance des personnes âgées pourrait, à première vue, sembler évidente et ne pas devoir susciter de controverses. Leurs relations et leur intrication, cependant, sont extrêmement complexes. Il est impossible, par exemple, d'attribuer le développement de la violence et des comportements d'agression entre les êtres humains à un aspect particulier des relations de pouvoir ou des relations entre les sexes. Il ne suffit pas de dire que les cas de maltraitance des personnes âgées sont le fait d'individus, et en particulier d'hommes, perturbés, malades ou en situation de stress ou que les attitudes qui permettent la perpétuation de la maltraitance des personnes âgées résultent de préjugés individuels. Il faut analyser l'interaction complexe des relations structurelles de pouvoir au sein de la société qui forme le contexte dans lequel les actes de maltraitance peuvent être minimisés ou excusés ou dans lequel ils peuvent se trouver exacerbés ou se perpétuer.

Ce type d'explication sociale élargie est cependant aussi, en lui-même, insuffisant. Il est nécessaire d'examiner les facteurs organisationnels, institutionnels et culturels qui, étant le reflet des structures sociales, favorisent le maintien du statu quo du point de vue de la répartition des rôles, des tâches et des statuts entre les sexes. La socialisation des individus à l'intérieur des familles est le produit de structures sociales et de facteurs culturels qu'elle recrée à son tour. Les jeux de relations de pouvoir et de relations entre les sexes déterminent, par leurs interactions, l'expérience et le comportement des individus, certains comportements considérés comme fondamentalement violents étant proscrits par la société, d'autres n'étant ni excusés ni proscrits et d'autres encore se perpétuant à l'intérieur du tissu social existant. Ceci est le plus souvent intériorisé par les individus qui contribuent ensuite au maintien et au développement d'une société inégale et sexiste.

C'est l'organisation sociale qui, par la distribution des rôles et des significations assignés à chacun des sexes, contribue à la marginalisation de la maltraitance des personnes âgées aux niveaux social, institutionnel et individuel. Pour emprunter une formule utilisée par Thompson (1997) en relation avec les pratiques antidiscriminatoires, les individus qui ne tentent pas activement de modifier l'état des choses restent un élément du problème. Notre responsabilité à tous, en tant que professionnels ou simples citoyens, est donc de reconnaître les présupposés implicites et les positions qui sont les nôtres du point de vue des différences entre les sexes. Nous devons travailler avec les organismes publics, les associations et l'ensemble de la société à mettre au point une approche tenant compte de l'importance des relations de pouvoir et des relations entre les sexes et nous efforcer d'exercer une influence sur les décideurs et sur tous ceux qui jouent un rôle dans la formulation du problème à l'échelon politique. Comme l'écrit Kaufman (1994, p. 146): «nous avons tous une expérience diversifiée du pouvoir: certains de ses aspects soutiennent la vie et la diversité, d'autres tournent autour du contrôle et de la domination». Une analyse s'appuyant sur les relations de pouvoir et les relations entre les sexes devrait pouvoir être utilisée pour susciter des approches soutenant la vie et la diversité dans le traitement du problème de la maltraitance des personnes âgées.

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