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Halte à l'âgisme manipulateur

Par Jean Carrette et Richard Lefrancois*

Canada

25 janvier 2006

Jean Carrette et Richard Lefrancois* sont professeurs d'universite a la retraite et experts en gerontologie sociale. 

Le débat sur le vieillissement démographique surgit à un moment où le Québec semble en panne d'action et inquiet pour son avenir, comme en témoignent le rapport Ménard et les manifestes opposant lucides et solidaires.

À en croire les chantres de l'apocalypse, une population vieillissante va ruiner nos régimes de retraite et notre système de santé et lourdement hypothéquer l'avenir des jeunes générations. En sclérosant notre créativité et notre productivité, elle provoquera une léthargie sociale, un ralentissement économique, entraînera à court terme, un relâchement des liens intergénérationnels, l'avènement du pouvoir gris, et, pour couronner le tout, mettra en péril dans un avenir rapproché la langue et la culture françaises. 

En revanche, chez les triomphalistes, la vieillesse n'est pas synonyme de dépendance, de sénilité ou de vulnérabilité, mais de solidarité, de liberté et d'accomplissement de soi. Ceux-ci jubilent à l'idée que l'allongement de la durée de vie avive l'espérance de réaliser de vieux rêves et de tempérer un rythme de vie trop frénétique. 

Parce que de nouveaux modes de vie émergeront, des opportunités d'emploi inédites naîtront qui stimuleront les services de proximité, la recherche et la technologie. De surcroît, l'amélioration du capital santé des futures générations repoussera l'âge de la retraite, atténuant ainsi le problème anticipé de diminution de la main-d'oeuvre. 

À la lumière de plus de 30 ans de réflexions, de recherches et d'interventions en gérontologie sociale, nous nous refusons à départager alarmistes et euphoriques. L'atmosphère de crise actuelle traduit notre perception d'impuissance ou notre colère, notre difficulté à décrypter le monde et à tirer des leçons du passé : il importe plus que jamais d'aborder de façon sereine et constructive, avec les outils appropriés, les véritables défis qui se profilent à l'horizon. 

Un défi qui n'est pas insurmontable 


L'allongement de l'espérance de vie des Québécois et le recul de la natalité constituent deux phénomènes incontournables avec lesquels nous devrons composer. Ils ne représentent ni une menace ni un danger, mais un progrès et un atout. Nous devons ces formidables avancées au contrôle des naissances, à une meilleure hygiène et alimentation, sans oublier les fantastiques progrès de la médecine et l'efficacité de ses techniques. 



Souhaitons-nous vraiment revenir en arrière, à une époque où se multipliaient les grossesses non désirées tandis que la mortalité infantile était élevée, où la grippe tuait chaque hiver, où la majorité était sous-alimentée et subissait les effets de la pauvreté et de la misère, où les quadragénaires étaient déjà des vieillards à l'antichambre de la mort ? 

Le vieillissement accéléré est un phénomène que d'autres nations ont déjà traité avec audace et courage; qu'on songe aux Pays-Bas et aux pays scandinaves, où la proportion des aînés dépasse depuis belle lurette nos prévisions québécoises pour les 30 prochaines années. Ces nations ont-elles déclaré faillite, sont-elles sclérosées ou en panne de développement ? Bien au contraire, elles cherchent à tirer profit de cette nouvelle clientèle, mais aussi à en faire de précieux partenaires sur le plan des services communautaires et de la vie citoyenne. 

Certes, le vieillissement démographique pourra exercer des pressions sur le marché du travail et nos finances publiques, en plus de nécessiter des aménagements dans la fourniture des soins et la gestion des retraites, mais à un niveau bien moins critique qu'on nous le laisse croire. 

N'avons-nous pas devant nous une occasion exceptionnelle de réfléchir à de nouveaux procédés d'épargne et de solidarité collective, basés sur les bonds constants de productivité et donc de richesse à partager, et non sur le nombre des cotisants ? 

En l'espace d'une génération, la richesse nationale a doublé ces 20 dernières années. Si les coûts de santé et de financement des retraites publiques augmentent, voire doublent, aucune importance puisque les entrées auront doublé aussi. Immense travail social à opérer donc, puisque notre problème ne se situe pas tant au chapitre de la production de la richesse qu'à celui de son inégale répartition. 

Impact du vieillissement sur notre système de santé 

Précisons d'entrée de jeu que la hausse vertigineuse des coûts en santé est la résultante des restructurations et des compressions amorcées il y a 25 ans. 

Les correctifs proposés ont-ils été efficaces ? Quel est le bilan de notre politique d'éducation sanitaire et de prévention des effets réducteurs du vieillissement, en particulier dans les milieux de travail et scolaire ? Où sont les services à domicile de qualité et en nombre suffisant, sinon dans les rapports tablettés depuis au moins une génération ? 

Où en est le soutien aux aidantes «naturelles», soutien dont l'insuffisance contraint tant de personnes lourdement dépendantes à «encombrer» les CHSLD et les centres... d'écueil ? Où en est le contrôle de l'augmentation faramineuse du coût des médicaments (plus de 200 % en 10 ans !) ? Où en est la lutte contre la pauvreté qui produit des gens prématurément vieillis et malades ? 

Plusieurs études ont par ailleurs démontré que le vieillissement démographique n'expliquait qu'une fraction négligeable de la hausse des coûts en santé : les nouvelles technologies médicales et les médicaments représentent une proportion beaucoup plus substantielle de cette augmentation. Faisant fi de ces constats, les alarmistes s'acharnent pourtant à dénigrer les aînés, qu'ils estiment responsables de l'augmentation vertigineuse des dépenses en santé. 

Un secteur en expansion 

Finalement, au lieu de concevoir la santé comme un service étatisé, comme un gouffre sans fond, n'est-il pas plus approprié de la considérer comme un secteur économique en expansion qui doit être épaulé et vitalisé ? Contrairement aux idées reçues, le défi consisterait à dépenser davantage en santé, mais plus efficacement et de façon mieux ciblée. 

Maintenir en santé le plus longtemps possible nos aînés maximisera notre potentiel collectif d'entraide et notre solidarité intergénérationnelle. Il faudrait pour cela reconnaître l'inestimable contribution sociale et économique des aînés, comme bénévoles, consommateurs, producteurs, investisseurs, mentors, relayeurs de savoirs, médiateurs des tensions familiales, transmetteurs d'héritage, dépositaires de notre mémoire, pourvoyeurs et défenseurs de valeurs. 

Le renversement du flux de solidarité entre les générations s'observe déjà : des grands-parents deviennent des soutiens vis-à-vis de leurs enfants et petits-enfants. 

Les redressements proposés actuellement pour contrer nos difficultés économiques, politiques et les inégalités sociales manquent «manifestement» de courage politique. Au lieu d'attaquer de front des plaies sociales récurrentes comme l'évasion fiscale, le travail clandestin et la criminalité de col blanc, qui privent l'État de recettes importantes, les correctifs proposés risquent de pénaliser les travailleurs ou les aînés : par exemple, la privatisation des soins, la hausse des tarifs d'électricité, l'implantation d'une caisse vieillesse et l'assurance privée contre l'invalidité. 

Des voies plus prometteuses pourraient être explorées, tels des crédits d'impôt accordés aux aidants familiaux et aux bénévoles, le soutien aux coopératives de services à domicile, le renforcement du potentiel des aînés, des programmes d'autogestion de la santé et de prévention contre l'exclusion. 

Au lieu d'envisager le vieillissement comme un péril, un risque ou un fardeau, ne serait-il pas souhaitable de saisir les occasions inédites de l'âge avancé, d'accueillir cette réalité comme une conquête et une prouesse de notre civilisation, une consécration sociale, en quelque sorte, qui invite à mettre en valeur cette précieuse ressource humaine et à y faire appel dans l'élaboration d'un nécessaire projet de société ? 

Devant tant de questionnements et face aux réponses sociopolitiques, imaginatives et créatrices que chacun peut concevoir, on peut se demander à qui profitent ces multiples manipulations d'opinion qui nous présentent le vieillissement comme la source de tous nos maux et l'origine obligée de notre déclin collectif. À quoi peut bien servir cette dramatisation univoque et systématique des enjeux du vieillissement ? Quels intérêts, individuels ou de groupes, sont ainsi mieux préservés, quels égoïsmes mieux camouflés ? [...]


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