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Banques et Assurances à la Conquête du Marché de la Retraite

Dominique Gallois et Anne Michel, Le Monde

February 23, 2004

Dès l'entrée en application de la loi Fillon, début mars, l'ensemble des Français pourra désormais cotiser à un régime complémentaire. 17 millions de salariés du secteur privé sont les premiers concernés. Mais seuls les plus hauts revenus pourront se permettre ce placement à vie.

Spots télévisés ou radio, campagnes d'affichage, courriers publicitaires, démarchage téléphonique... Depuis l'automne 2003, banquiers et assureurs mènent l'offensive pour sensibiliser leurs clients aux nouveaux plans d'épargne-retraite populaire (PERP), ces fonds de pensions à la française créés par la loi Fillon du 21 août 2003 sur les retraites, dont les tout derniers décrets d'application sont attendus début mars. 

Alors que la plupart des Français ne connaissent pas le montant de leur future retraite, cette démarche est délicate. Les réseaux commerciaux font la promotion d'une idée nouvelle en France, fondée sur un produit qui n'existe pas encore et dont les contours sont restés longtemps flous.
Surtout, cette précipitation n'est pas sans danger pour les futurs souscripteurs. Le PERP n'est pas, en effet, un produit d'épargne classique, comme l'est un contrat d'assurance-vie, dont il est possible de se désengager au terme de huit ans. C'est un engagement de long terme très contraignant, même s'il bénéficie d'avantages fiscaux. Il est proposé à tous les épargnants mais concerne avant tout 17 millions de salariés du privé et surtout, parmi eux, les 9,7 millions qui sont imposables.

A la différence des fonctionnaires (qui bénéficient de la Préfon depuis 1968), des exploitants agricoles (de Coreva, depuis 1998) et des travailleurs indépendants (souscrivant les contrats Madelin depuis 1994), la grande majorité des salariés n'ont pas la possibilité de cotiser à une retraite complémentaire. La loi Fillon instaure donc deux produits, l'un reposant sur une démarche individuelle, le PERP, et l'autre proposé par l'entreprise, le plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO). Celui-ci doit se substituer à l'actuel plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV). Ce nouveau dispositif est cependant critiqué.

"Celui qui souscrit un PERP en prend pour perpète, explique sans ambages Patrick Turbot, consultant associé chez EPS Partenaires. Le souscripteur entre dans un double tunnel : le premier avec le versement de cotisations jusqu'à sa retraite, le second en touchant des rentes jusqu'à sa mort." Contrairement à d'autres plans, il n'est pas question ici de retrouver à une date donnée tout le capital versé. "Quand on veut se constituer une rente, il faut investir régulièrement et de manière conséquente", insiste Denis Campana, coresponsable du département épargne et retraite de Mercer HRC. Il souligne ainsi que pour obtenir 1 euro de rente viagère, il faut en avoir investi 20 en capital.

La population éligible à l'épargne-retraite est restreinte : il s'agit en priorité des salariés les plus aisés, les "catégories socioprofessionnelles supérieures" et les plus imposées, à la recherche de produits défiscalisés. Ces personnes représentent néanmoins un nouveau marché important pour les établissements financiers : les principales banques envisagent de convertir au PERP entre 20 % et 30 % de leurs clients, soit près de 1,5 million d'individus pour un réseau comme BNP Paribas. Les assureurs espèrent obtenir autant de succès que sur les produits déjà existants d'épargne-retraite ou d'assurance-vie. Tous savent que ce marché démarrera lentement : il pourrait atteindre le milliard d'euros cette année, un montant à comparer aux 7,3 milliards collectés, en 2003, par les différents contrats de retraite déjà existants.

"SITUATIONS PERSONNELLES"

Pas question cependant d'être absent de ce créneau prometteur, comme en témoigne le démarrage rapide de la prospection, avant même la définition exacte du produit. Le PERP étant susceptible de devenir un outil de recrutement et de fidélisation de la clientèle aussi important que l'est aujourd'hui le crédit immobilier, tous les réseaux se mobilisent. Les Caisses d'épargne ont donné le ton dès novembre 2003. Elles ont collecté, à ce jour, 250 000 demandes d'informations prioritaires au sujet du PERP, sur un total de 7 millions de clients. "Nous n'avons pas fait signer de contrats", affirme Thierry Martinez, responsable communication de la filiale Ecureuil Vie, les clients devant être recontactés une fois les décrets publiés.

Banquiers et assureurs certifient faire œuvre de pédagogie auprès de leurs clients. "C'est un enjeu majeur pour la profession, reconnaît Gérard de la Martinière, président de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA). Ces produits de retraite sont compliqués et justifient des explications pour permettre au client de s'engager." Baudouin Prot, administrateur directeur général de BNP Paribas, tient un discours similaire : "Nous entendons renforcer notre rôle de conseil auprès de nos clients, en leur proposant un diagnostic approfondi." Comme l'assureur La Mondiale, la plupart des réseaux commerciaux prévoient d'organiser des réunions d'information, en région, au premier semestre. "Il faut partir des situations personnelles pour établir les besoins de chacun", insiste le directeur général, André Cahagne. Des programmes de formation des vendeurs à grande échelle sont en cours.

Toutefois, faisant fi de toute prudence, certains établissements auraient enregistré, par correspondance, des promesses de souscription, afin de s'assurer des parts de marché. Faute d'information, le risque est de voir des épargnants très modestes, ou des salariés brutalement confrontés à une perte de revenus, piégés dans un contrat qu'ils ne pourront rompre avant leur retraite.

"Il faudra veiller aux intérêts des clients les plus modestes, pour lesquels les avantages fiscaux du PERP présentent peu d'intérêt, admet ainsi M.Prot. Ce ne serait pas une bonne idée de diriger leur épargne de précaution vers les PERP." Tous les réseaux commerciaux seront-ils aussi scrupuleux ? Si personne n'y prend garde, la bataille commerciale qui s'annonce peut provoquer des ravages et peser sur le futur de l'épargne-retraite.


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