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Karzaï Tend la Main Aux Taliban

Par Eric de Lavarène, L'Express

Afghanistan

Le 18 Mai 2005



La politique de réconciliation du président afghan commence à porter ses fruits: affaiblis militairement, les anciens maîtres de Kaboul sont de plus en plus nombreux à se rallier au nouveau régime.

Au sommet d'un piton rocheux qui domine une vallée encaissée, à Gulbakhan, dans la province de Khost, une centaine de soldats afghans surveillent la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan. Au début du mois d'avril, ils ont été réveillés par des bombardements. «Une dizaine d'obus tirés à partir du Pakistan, raconte le commandant du poste. C'était une nuit sans lune. Les taliban ne pouvaient pas viser. Mais ils nous ont attaqués et nous avons dû riposter. Heureusement, nous étions sur les hauteurs et nous avons rapidement pris le contrôle de la situation.» L' incident pourrait bien, si l'on en croit ce militaire, relever du baroud d'honneur: «Avec les pourparlers entre le gouvernement et les fondamentalistes, nous ne devrions plus subir de tels assauts. L'année dernière, les rebelles étaient encore puissants; en revanche, ils ne peuvent plus ignorer aujourd'hui l'amnistie offerte par le président.»

«Islamabad a compris son erreur, après des années d'égarement»

Voilà plusieurs mois que les autorités de Kaboul cherchent à convaincre les taliban de déposer les armes en échange de l'assurance qu'ils ne seront pas poursuivis. Et cette politique commence à porter ses fruits. Mi-février, quatre anciens hauts fonctionnaires du régime taliban - Abdul Hakim Moudjahed, ex-envoyé spécial auprès des Nations unies, Arsallah Rahmani, ex-vice-ministre de l'Education, Ramatullah Wahidyar, ex-vice-ministre des Réfugiés, et Habibullah Fawzi, ex-premier secrétaire à l'ambassade d'Afghanistan au Pakistan - ont fait allégeance aux autorités afghanes et promis d'entraîner dans leur sillage plusieurs dizaines d'hommes. Dès le mois suivant, plusieurs responsables provinciaux pactisaient, à leur tour, avec le régime.



Les premiers contacts entre les taliban et le président afghan, Hamid Karzaï, remontent à octobre 2003, à la suite de la libération, par les Américains, du mollah Wakil Ahmad Muttawakil, ancien ministre des Affaires étrangères. Après son ralliement aux autorités de Kaboul, ce dernier a été chargé d'une mission dans les zones tenues par les rebelles. Objectif: rallier les combattants en leur offrant une amnistie. Mollahs et chefs de tribu, qui font figure d'autorité dans les villages, ont peu à peu été intégrés au processus. Quant au pouvoir pakistanais, très proche des taliban pendant près de dix ans mais soumis désormais aux pressions américaines, il aurait cessé de les aider. «Islamabad a compris son erreur, après des années d'égarement», assure un général de l'armée pakistanaise à la retraite.

A Khost, on est déjà passé à la phase suivante, post-taliban: la ville commence à accueillir des investisseurs. Les travaux de la grande mosquée ont repris et le bazar s'est agrandi, tandis que les routes ont été bitumées. «C'est pour cela que nous travaillons à ce processus de réconciliation, souligne un habitant de la région, Mohammed Shams. Pour en finir avec la misère et construire enfin un avenir.» Massif, coiffé d'un turban noir, Shams possède des terres et une ferme fortifiée tout près de la frontière. Comme tous les notables, dans ces contrées imprévisibles, il est en permanence entouré d'une garde rapprochée. Une dizaine d'hommes qui, pendant notre visite, jouent négligemment avec leurs fusils-mitrailleurs en buvant du thé. «J'ai été taliban, comme la plupart des gens ici, reprend le maître de maison. Je ne m'en cache pas. A la fin de 2001, je me suis enfui au Pakistan. A l'époque, nous étions près de 500 combattants à avoir traversé la frontière, avec nos familles. Aujourd'hui, seuls quelques dizaines d'entre nous ne sont pas revenus. Et la plupart sont prêts à se rendre.» Comme bien d'autres, il avait espéré que les taliban «remettraient enfin de l'ordre dans le pays». Mais il reconnaît que c'est, finalement, le président Karzaï qui y est parvenu. «Nous sommes fatigués de nous battre», ajoute-t-il.

«Ces gens-là n'ont vraiment plus les moyens d'affaiblir le processus de paix»


Plus personne, à Khost, ne croit à une nouvelle attaque d'envergure des taliban. Une analyse partagée par Mike Eckart, l'attaché de presse des forces de la coalition militaire sous commandement américain: «Ces gens-là n'ont vraiment plus les moyens d'affaiblir le processus de paix.» Il n'exclut pas cependant «quelques actes désespérés contre la communauté internationale ou les autorités de Kaboul».

Sa prévision semble corroborée par deux incidents récents: fin mars, dans la capitale afghane, deux véhicules, dont l'un appartenait à l'ambassade du Canada, ont été touchés par l'explosion d'une bombe cachée dans la charrette d'un marchand de fruits. Quatre personnes ont été blessées. Quelques jours plus tôt, un attentat avait fait cinq morts à Kandahar, l'ancien fief du mollah Omar, chef spirituel des taliban lorsqu'ils étaient au pouvoir. «Ils tentent d'agir de nouveau ici, après avoir envoyé une partie de leurs effectifs en Irak, estime un expert français en poste à Kaboul. Ils pensent s'être suffisamment bien implantés là-bas pour pouvoir revenir en Afghanistan. Ils demeurent dangereux, mais leur moral est bas.»

Les Américains soutiennent activement la politique de réconciliation du président Karzaï. «Nous avons changé notre façon de travailler en Afghanistan», précise Juanita Chang, porte-parole de Salerno, la principale base américaine sur la frontière pakistanaise, dans la province de Khost. Les GI s'efforcent désormais de ne plus se comporter en terrain conquis. Fusil-mitrailleur à l'épaule, ils prennent le temps de parler aux gens, évitent de braquer leurs armes, aident à la reconstruction d'écoles, de puits, de dispensaires.

Reste que beaucoup de sang a été versé et que le processus de réconciliation nationale s'annonce délicat. «Le gouvernement aurait dû mettre en place une structure capable de déterminer le degré d'implication de chaque combattant dans les crimes commis, avant de proposer des offres d'amnistie. Nous devons savoir quels liens entretenaient ceux qui regagnent la société civile avec les anciens responsables politiques», estime le porte-parole de la Commission afghane des droits de l'homme, Nader Nadery. Lui souhaiterait la mise en place d'une «commission Vérité», sur le modèle de celle créée en Afrique du Sud après la fin du régime de l'apartheid. «Il est grand temps d'entreprendre un travail de mémoire, insiste-t-il. Et pas seulement avec les anciens taliban. Comment peut-on imaginer des victimes croisant tous les jours leurs anciens geôliers?»

Ce point de vue reste marginal. Pour les chefs de tribu et les mollahs prêts à collaborer avec Kaboul, le travail le plus urgent consiste à en finir avec la guerre, donc à désarmer les taliban et à les réintégrer. Pour Ramatullah Mansour, un notable, ex-taliban lui aussi, qui travaille pour le Conseil des ethnies de Khost, le temps presse. «Les combattants les plus engagés, qui avaient quitté la région, sont en train de revenir, affirme-t-il. Il ne faut pas leur laisser le temps de se réorganiser et, surtout, d'embarquer avec eux les plus modérés.» Il espère une nouvelle vague de redditions. Tandis qu'à Khost, à l'ombre des deux minarets de la grande mosquée en chantier, on se demande quand les militaires américains et leurs alliés réussiront enfin l'exploit dont ils rêvent: la capture d'Oussama ben Laden et du mollah Omar. Pour eux, il n'y aura pas d'amnistie.


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