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La longévité, miroir de la société

 

Par Raphaëlle Rérolle, Le Monde 

 

12 décembre 2008

 

Monde

 

Le vieillissement de la population mondiale atteint les pays du Sud.

 

Les mentalités collectives et les différentes manières de percevoir le grand âge ont-elles une influence sur le nombre de centenaires ? A niveau de vie équivalent, les Etats ne sont pas égaux dans le domaine de la longévité humaine. Entre le Japon, la France, l'Italie ou l'Espagne et certains pays du nord de l'Europe, il existe même des variations notables. Comme si les personnes très âgées trouvaient, à certains endroits, des conditions de survie plus favorables qu'ailleurs. La question de l'alimentation a sûrement son importance, celle des structures d'accueil aussi, mais ces facteurs pourraient ne pas être les seuls en cause. C'est en tout cas ce que soupçonnent les démographes, même si tous ne s'accordent pas sur le sujet.

Prenons l'hypothèse qui prévaut dans les pays du sud de l'Europe, à commencer par la France. Jean-Marie Robine, spécialiste r econnu des centenaires, est directeur du laboratoire Démographie et santé de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à Montpellier. "La France, l'Italie, l'Espagne ou le Japon, qui comptent beaucoup de centenaires, sont des sociétés hyperfamiliales, explique-t-il. Les plus âgés y sont souvent pris en charge par leurs familles, parfois mal quand ils sont maternés à outrance. Mais ce type de nursing très développé tend à maintenir les gens en vie."


A l'inverse, les pays scandinaves ont un culte de l'indépendance qui rend cette réintégration familiale beaucoup moins fréquente. Or, en dépit d'un niveau de vie élevé, le nombre de centenaires n'y est pas aussi important qu'on pourrait le croire. Le cas du Danemark est abondamment cité par les chercheurs : voici un Etat doté d'un système de soins et de prise en charge des personnes âgées très performant, un pays plutôt prospère où la mortalité infantile est extrêmement faible, et que découvre-t-on ? Le nombre de centenaires n'a enregistré qu'une progression de 50 % dans les dix dernières années, soit un chiffre très inférieur au doublement, voire au triplement rencontré ailleurs. Actuellement, les Danois comptent 733 centenaires, pour une population totale de 5,4 millions d'habitants (soit 0,014 % de la population, contre 0,03 % pour la France).


Au Danemark, société très égalitaire, l'individu jouit de tous ses droits dès la naissance. Les jeunes sont encouragés à quitter le domicile familial à leur majorité – ils reçoivent même une bourse pour cela. Du coup, ils ne vivent pas très longtemps sous le même toit que leurs parents et ceux-ci, devenus très âgés, ne trouvent pas naturellement refuge chez leurs enfants. "La moitié reste chez elle, grâce à un système d'aides très élaboré, l'autre va dans des maisons de retraite, presque aucun ne se retrouve chez ses enfants, observe l'épidémiologiste danois Bernard Jeune. Mais cela ne signifie pas qu'ils sont seuls : ils bénéficient, par exemple, d'une assistance à domicile plus poussée que n'importe où ailleurs. Tout est fait pour qu'ils puissent rester chez eux le plus longtemps possible. Prenez ma mère : deux personnes sont venues sept fois par jour pendant trois ans, avant qu'elle n'aille en maison de retraite."


Pour les experts du sud de l'Europe (au sens large), ce modèle est perçu comme une sorte d'entrave au grand vieillissement. Certains démographes pensent que le culte de l'autonomie pousse à maintenir les gens en bonne santé (les centenaires danois sont réputés en meilleure forme physique que leurs homologues du sud de l'Europe et les plus indépendants du point de vue fonctionnel) mais pas à les garder en vie le plus longtemps possible. "A quoi cela sert-il d'allonger la vie pour la passer dans une chaise roulante ?", se demande d'ailleurs Bernard Jeune. Même quand elle est jugée raisonnable, cette conception du vieillissement est aussi perçue de façon relativement négative au sud.


TROPISMES CULTURELS


En Italie, par exemple, où la cellule familiale est la grande ressource des personnes âgées. "Nous n'avons pas de centenaires vivant seuls, souligne le professeur Vincenzo Marigliano, gériatre et directeur du département des sciences du vieillissement à l'hôpital Umberto-I de Rome. Presque tous sont dans leur famille, mais aussi dans des communautés religieuses ou en maison de retraite." Dans la Péninsule, où la famille est perçue comme une valeur absolue, les centenaires sont relativement nombreux (officiellement 11 497) et majoritairement pris en charge par leurs proches – surtout par les femmes. "C'est une famille organique, fusionnelle, qui se vit en groupe", affirme Jean-Marie Robine. Ce que ne conteste pas, à Rome, la démographe Graziella Caselli, professeure à l'université La Sapienza de Rome : "En Italie, la dépendance fait partie de notre ADN, s'exclame-t-elle en souriant. On ne sait pas vivre seul, les garçons restent chez leur mère jusqu'à 30 ans, les familles se retrouvent le dimanche et, si on laisse un vieux seul, il meurt. Moi-même, je téléphone tous les jours à mes parents, où que je me trouve."


Mais cette sociabilité très poussée, surtout dans le sud du pays, n'est pas seulement due à des tropismes culturels. Elle tient aussi à la faiblesse du système de prise en charge, comme l'explique Mme Caselli : "Le "welfare" [bien-être] est géré en famille : si nos personnes âgées sont peu nombreuses en institution, c'est en partie parce que l'Italie est mal équipée pour cela. On envoie les femmes à la retraite dès 60 ans avec une "prime de fécondité", pour qu'elles puissent s'occuper des enfants et des vieux. Elles ont souvent quatre personnes âgées sur les bras."


Modèle familial surprotecteur contre modèle institutionnel ? La vérité réside sans doute entre les deux. D'autant que les chiffres, en matière de démographie, sont toujours extrêmement complexes. Au Danemark, la faiblesse du nombre de centenaires tient aussi, remarque Bernard Jeune, à une "stagnation de l'espérance de vie des femmes dans la période 1975-1995, car elles ont commencé à travailler et à fumer très tôt par rapport à d'autres Européennes". Mais au fond de chaque argumentation perce souvent la défense d'un modèle social donné. Il faut dire que les thèses des uns et des autres véhiculent plus que des données scientifiques : toutes mettent en jeu des composantes très profondes de la culture de chaque peuple. Comme si, à travers les centenaires, s'exprimait la relation de chacun avec sa propre humanité.


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